Rien de plus difficile à extirper des esprits que cette croyance selon laquelle les savants, et surtout parmi eux les génies illustres, seraient plus aptes que le commun des mortels à juger de toute chose qui ne serait pas du ressort de leur science particulière. J'en trouvais encore un exemple, tout à l'heure, sur un blog que je visite parfois, quand j'éprouve le besoin de me sentir jeune :
Outre son
sérieux bagage de connaissances acquises par de très studieuses et
longues études, le scientifique aura toujours besoin de sa pensée
structurée, du ciment de sa raison logique, à grand renfort de
langage mathématique, ardu et magnifique. […] Ce langage
savant, logique-structuré et ouvert à l'intuition s'exerce en tout
domaine. Cas d'une équation en mathématique, tout aussi ''pointue''
qu'une savante observation concrète.
Nous passerons sur le langage quelque peu rocailleux du vieux poète exténué, pour nous pencher sur ce qu'il tente de dire : que les qualités et les capacités dont le savant a dû faire preuve pour réussir dans le domaine qu'il a choisi, il va automatiquement les mettre à profit dans toutes les occurrences de sa vie. Or, il est très facile de constater qu'il n'en est rien. Que l'on songe seulement aux délires quart-mondistes d'un Albert Jacquard, aux âneries proférées par un Professeur Got dès qu'il est question de sécurité routière, où encore aux formules à l'emporte-pièce d'Albert Einstein, à propos d'un peu tout et surtout de n'importe quoi. J'ai déjà évoqué, dans un billet remontant à un peu plus de trois ans, la manière cinglante dont, en 1937, José Ortega y Gasset avait remis Einstein à sa place, celle d'un “barbare spécialiste”, selon la terminologie ortéguienne, lorsqu'il s'était mêlé de discourir à propos de l'Espagne et de la guerre civile qui la ravageait.
On pourrait trouver maint exemple plus actuel du même phénomène : des prix Nobel de médecine faisant tomber sur nos têtes courbées la vérité révélée à propos du réchauffement climatique, des médailles Field nous disant quoi penser de l'immigration, ou encore des physiciens nucléaires nous révélant la vérité sur la faim dans le monde ou l'avenir de la Sécurité sociale. L'étrange n'est pas que tous ces hommes donnent leur avis : après tout, n'importe quel blogueur fait de même. Non, ce qui est surprenant c'est le crédit énorme qui leur est accordé, en raison de leurs prix, médailles, diplômes, alors même que ceux-ci ne concernent en rien le domaine dans lequel il ont choisi de s'exprimer et de prendre parti. C'est un peu comme si on recueillait, tels des oracles, les avis d'un chef de cuisine triplement étoilé à propos de la composition du gouvernement ou des mérites et dangers du système parlementaire, sous prétexte qu'il sait mieux que nous lier les sauces et combiner les saveurs.
Or, répétons-le : les savants, aussi imprégnés de génie qu'ils puissent être, ne disposent d'aucune lumière supplémentaire dès lors qu'ils quittent leur champ de compétence professionnel, et surtout s'ils s'aventurent sur un terrain tout gorgé d'idéologie ; ils peuvent même, alors, faire preuve d'une sottise, d'un aveuglement et d'une hargne aussi comiques que les nôtres. On m'objectera que, de par leur formation scientifique, ils sont, mieux que nous, entraînés à ne considérer que les faits, à les analyser froidement et lucidement, etc. La réponse à ceux-là est fournie par Marcel Proust, à qui je laisserai le mot de la fin de ce billet :
« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas. Ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir. »
Tout dépend comment on définit le génie : comme une lumière capable d'éclairer n'importe quel domaine de la pensée ou bien comme une sorte de malformation de la nature donnant à un individu une capacité accrue dans un domaine étroit.
RépondreSupprimerOui, évidemment. Il est tout de même bien rare que le génie s'exprime dans tous les domaines de la connaissance et de l'activité humaines…
SupprimerLisant votre commentaire par chez nous, j'ai de suite senti que vous aviez la "main chaude" et la bouilloire qui frémissait sous le feu. Bien que la charge soit disproportionnée, elle ne manque pas de clairvoyance, ni de justesse, n'en déplaise à mon (mes) ami(s).
RépondreSupprimerLa charge, la charge… n'exagérons rien !
SupprimerAvoir un "sérieux bagage de connaissances acquises par de très studieuses et longues études" ne peut suffire pour constituer un génie. Si c'était le cas nous serions cernés par les génies comme d'autres pensent que nous sommes cernés par les cons.
RépondreSupprimerEt puisque vous avez réussi à contester le génie de Einstein soi-même, je me dis que le seul génie que personne n'aurait l'idée de contester, et que tout le monde aimerait rencontrer, un jour ou l'autre, c'est celui qui sortait en temps utile de la lampe d'Aladin.
Oh, mais je ne conteste nullement le génie d'Einstein ! J'en serais d'ailleurs foutrement incapable.
SupprimerIls me font bien rire avec leur Einstein. Le seul génie qui soit reconnu par la république française, c'est celui qui est placé au sommet de la colonne de la Bastille, modestement appelé "génie de la liberté". Qu'on se le tienne pour dit.
SupprimerPas très élégant, d'avoir pompé la citation de Proust qui figure dans mon bouquin sur l ' homéopathie...
RépondreSupprimerJ'aurais d'autant plus dû vous rendre hommage que, sans cet indispensable opuscule, j'ignorerais encore jusqu'au nom de Proust.
SupprimerAyez un peu de respect pour vos aînés, Didier ! Trop d'ironie tue l'ironie !
SupprimerOui, c'est vrai, pardon…
SupprimerCe n'est pas son intelligence présumée qui fait que l' opinion du " génie" est considérée comme ayant une certaine valeur dans n' importe quel domaine , mais, tout simplement, sa notoriété , condition jugée suffisante : c'est selon ce principe que des candidats aux élections se prévalent du soutien de vedettes du cinéma , du music-hall ( pardon : du show-bizz ) ou du sport , bien que tout le monde soit d'accord pour considérer certaines d'entre elles comme des abruti(e)s notoires ( peut-être à tort , d'ailleurs ) ; mais enfin, avoir le soutien de Johnny Halliday, de Yannick Noah ou de Mireille Mathieu , il paraît que ça draine des électeurs .
RépondreSupprimerD'abord, il faudrait prouver qu'avoir le soutien de Johnny Hallyday rapporte effectivement des voix ! Ensuite, non, ce n'est pas la même chose. Ne serait-ce que parce que, souvent, les savants en question n'étaient pas si connu que cela – voire pas du tout – avant qu'ils ne commencent à se mêler de tout et de rien. Qui avait entendu parler d'Albert Jacquard ou de Claude Got avant qu'ils ne se lancent dans leurs croisades ?
SupprimerVous avez raison, le principe n'est sans doute pas le même :
Supprimer- pour les " génies", c'est " il est très intelligent, donc il doit avoir raison ( sur tout ) "
- pour les vedettes , il y a des gens pour lesquels ce sont des idoles , et une idole ne peut pas se tromper .
J'ai beau cherché, je n'ai pas trouvé d'exemple de savant et scientifique, digne de ce nom, fasciste de surcroît. A priori, je me dis que l'intelligence est universelle. D'ailleurs les sciences politiques ne sont pas majeures car ne nécessitent pas des études longues et complexes. Par contre, il est vrai que le sectarisme rend aveugle ou sourd ou les deux et même insensible. En tous cas merci pour l'adresse de ce blog qui semble bien intéressant.
RépondreSupprimerQu'entendez-vous exactement par : l'intelligence est universelle ?
SupprimerHerr Prandtl, très grand savant, spécialiste en mécanique des fluides, s'est très très bien accommodé du nazisme. était-ce par idéologie ou par veulerie, je n'en sais rien
SupprimerSans parler du Heidegger cité plus bas…
SupprimerWernher von Braun ?
SupprimerSans aller jusqu'au génie c'est une idée malheureusement assez répandue que les études "scientifiques" rendent plus aptes à se mêler de ce qui n'est pas du ressort direct de leur discipline.
RépondreSupprimerJ'ai souvenir de ce doyen d'une faculté de médecine qui confiait plein de fatuité "il n'y a que les médecins qui soient capables de décider, même mes amis politiques le disent". Je confesse n'avoir su que tourner les talons sur le moment.
Vous auriez dû lui conseiller de changer d'"amis politiques", ou même de cesser d'en avoir.
SupprimerUn billet construit, justement, uniquement pour pouvoir la placer en conclusion.
RépondreSupprimerC'est un peu raté, je la vois mal s'adapter à la démonstration!
Selon mon habitude, je vous suggère une petite citation que m'a inspiré votre billet, de Heidegger cette fois, qui savait certes de quoi il parlait dans ce cas précis : "Celui qui pense grandement, il lui faut se tromper grandement" (de mémoire).
RépondreSupprimerCe retournement où ce n'est pas l'étant qui est fondé par l'homme, mais où, tout au contraire, c'est être homme qui se voit fondé par l'Etre. Sacré Martin H
RépondreSupprimerLe seul génie qui est utile en tout quand on se retrouve sans machine à laver mais avec un petit évier c'est la lessive génie qui permet de tout laver à la main bien plus pratique qu'un gars comme Einstein pu autre prétendu génie.
RépondreSupprimer@ grandpas "geni sans bouillir"je me souviens de la reclame :-) Chez Mirbeau j ai trouve dans Le Crapeau ceci "tu connais surement cet espece d'homme farouche et feroce qu'on appelle savant"
RépondreSupprimerOui je le clame,la presence de ces vieilles merdes ravagees se decouvrant un nouveau sacerdoce m'a toujours debecter.
Dom.
J'ai lu à propos de Marie Curie, que lorsqu'elle fit un peu de cuisine, elle y prit le même soin qu'un protocole d'expérience de chimie.
RépondreSupprimerSa manière devait être intéressante à regarder, et même donner des idées. Cependant, faut-il croire sans y avoir goûter qu'elle était bien meilleure que la moyenne ?
Amike