Je vais faire pour ce livre, ce que j'ai fait pour le précédent de son auteur : plutôt qu'une “critique” dont je ne me sens pas vraiment capable, reproduire ce que j'ai pu en noter dans mon journal, panaché d'un échange de mails avec l'auteur. Avant cela, je tiens à dire ceci : si Rémi Usseil accomplit un bond comparable, entre ce livre et le prochain, à celui qu'il a fait depuis Berthe au grand pied, alors il va nous donner quelque chose d'extraordinaire, dans l'avenir proche. Donc, ç'a commencé comme ça, par un mail envoyé à l'auteur :
Mon cher Rémi,
Ayant liquidé mes lectures en cours, j'ai enfin pu, ce matin, retomber en Enfances.
Je t'avouerai que, avant de commencer, je doutais de ma capacité à lire
ton livre jusqu'au bout : 420 pages de “geste”, peste ! cela risquait
d'outrepasser mes capacités…
Or, les vingt premières
pages lues, j'ai su avec certitude que, oui, j'irais au bout, et que
j'irais d'un bon pas. Étant parvenu à la fin de la première, de ces
“enfances”, je suis déjà sûr d'une chose : tu as considérablement
progressé depuis Berthe ; une liberté de ton, une aisance que tu
n'avais pas encore dans le premier livre, assorties à une écriture qui me
semble avoir gagné à la fois en ampleur, en souplesse et en raffinement
: c'est véritablement un grand bonheur que de te lire. Le plus
étonnant, pour moi, est que tu parviennes aussi bien à faire que les
parties versifiées (les “arias” de ton opéra) ne paraissent jamais
artificielles ou forcées, qu'elles ne soient pas ressenties par le
lecteur comme une contrainte liée au genre, mais qu'elle coulent aussi
naturellement et agréablement.
Je trouve très fort
aussi, dans ce premier chapitre, la façon dont tu parviens à rendre
vivante et animée ta "chanson dans la chanson", celle d'Aymard : du
grand art, puisque que, à plusieurs reprises, j'ai pu oublier que
j'étais dans un livre consacré à Charlemagne et non aux hauts faits de
Clovis.
Bref – et ce sera ma conclusion provisoire :
si, ce matin, je m'effrayais un peu de ces quatre cents pages, je me
réjouis maintenant d'en avoir encore trois cent cinquante devant moi.
Amitiés,
Didier
Quelques heures plus tard, ceci, dans le journal :
Depuis
ce courrier, j'ai lu une cinquantaine de pages de plus – soit tout le
chapitre II –, et mon enthousiasme n'a fait que croître. Le
rassemblement de ses quelques fidèles autour du jeune Charles (victimes
de ses deux enculés de demi-frères bâtards) et leurs portraits sont d'un
picaresque réjouissant : on ne se croirait pas très loin de l'abbaye de
Thélème ou de la forêt de Sherwood. Mon avis – mais je me trompe
sûrement – est que les cinq chevaliers fidèles ont été créés par Rémi ;
peut-être pas eux-mêmes, ex nihilo, mais au moins les portraits qu'il en dresse. Il faudra que je pense à lui demander ce qu'il en est.
Mais il y a mieux et plus haut, dans ce chapitre : la première moitié est occupée par la description du chemin de croix
(c'est bien de cela qu'il s'agit) du très jeune Charles, portant la
dépouille de son père, Pépin, empoisonné le même jour que son épouse
Berthe, entre Paris et Saint-Denis, en passant par la Montjoie. Pages
d'une maîtrise parfaite, où la fatigue, la douleur, l'insensé courage
deviennent perceptibles par le lecteur, vraiment ressentis par lui. Et
puis, aux qualités propres du texte qu'on lit vient s'ajouter, comme en
surimpression, le sentiment étrange et mélancolique que, au fond, en
refaisant vivre ces chevaliers pétris de bravoure et d'honneur, toujours
prêts à se sacrifier pour Dieu et le roi, mais aussi ce petit peuple de
paysans, de gardes ou de marmitons, il nous réaffirme, l'air de ne pas
trop y toucher, dissimulé derrière les plis de ses étoffes et les
armoiries de ses écus, que la France a réellement existé, que son
histoire aura été longue et fertile en très riches heures ; une vérité
qui, en ces temps d'agonie où nous sommes entrés pour n'en plus
ressortir, sans doute, fait à la fois l'effet d'un baume et celui d'un
fer porté au rouge. En ce sens, Les Enfances de Charlemagne, en plus de son côté puissamment onirique, peut aussi être considéré comme un livre de combat.
Le lendemain, je notais ceci :
Continué la lecture du Charlemagne de Rémi, avec toujours autant de
gourmandise. Les chapitres III et IV nous transportent à la cour du roi
mahométan de Tolède. Les divers affrontements entre les chevaliers
français et leurs homologues sarrasins (mot qui, nous rappelle-t-on en
note, est pour les auteurs de chansons de geste rigoureusement synonyme
de “païens”), ainsi que la bataille du chapitre IV, baignent vraiment
dans une atmosphère de merveilleux, avec ses excès et ses
invraisemblances que l'on ne se préoccupe pas de justifier, mais que,
quand elles deviennent vraiment trop grosses, on fait passer par une
invocation à Dieu ; lequel, il va de soi, ne peut que favoriser ses
chrétiens au détriment des adorateurs de fausses divinités. N'y manque
pas non plus l'élément cocasse représenté par le très méchant fils du
roi de Tolède, Marsile ; lequel, à force de réclamer sans se lasser, la
décapitation ou la pendaison de tous les Français qui défilent devant le
trône de son père, finit par ressembler à la fois au grand vizir
Iznogoud de Goscinny et au Chinois fou d'Hergé dans Le Lotus bleu. J'ajoute que les parties “poétisées” (décasyllabes à 4/6 ou alexandrins, tantôt rimés, tantôt assonancés)
sont parfaitement enchâssées dans le cours du texte en prose et
semblent être non pas les interruptions d'un voyage, mais des îles
éparses dans le lit du fleuve sur quoi nous sommes embarqués, ravissant
l'œil sans interrompre la navigation.
Sur quoi, l'auteur me répondait ceci :
Mon cher Didier,
Tu as bien deviné : les cinq chevaliers fidèles sont en grande partie de ma création. Dans les textes sources, ils ne sont guère plus que des noms et de vagues silhouettes.
Par ailleurs, je suis ravi que tu aies apprécié le chemin de croix de Charles vers Saint-Denis, autre passage qui me tenait à cœur.
Rémi
Tu as bien deviné : les cinq chevaliers fidèles sont en grande partie de ma création. Dans les textes sources, ils ne sont guère plus que des noms et de vagues silhouettes.
Par ailleurs, je suis ravi que tu aies apprécié le chemin de croix de Charles vers Saint-Denis, autre passage qui me tenait à cœur.
Rémi
Que dire de plus, pour l'instant ? J'approche de la moitié, le jeune Charles est en train – ce con – de tomber amoureux de la fille du roi mahométan de Tolède (je ne la sens pas, cette péronnelle, je ne la sens pas…). Mais il y a de la vaillance dans l'air, il y a un panache impossible à imiter chez Rémi Usseil ; et ce pouvoir qu'il a, de mêler les époques en un style impérial – ce qui est bien le moins quand on parle de Charlemagne.
Je vais vous le dire bien net : toute personne qui ne se précipitera pas sur ce livre devrait décemment cesser de lire mon blog, car nous vivons à l'évidence dans des mondes différents.
Encore deux ou trois jours avant d'écluser tout ce qu il me reste à lire et je m y attaque. Vous n avez même pas réussi à me décourager. Et comme j ai fort apprécié Berthe, m 'étonnerait que je sois déçu par celui-ci
RépondreSupprimerJe ne vois pas trop ce que mon billet pourrait avoir de décourageant ; vous m'inquiétez…
SupprimerA propos de Charlemagne, que pensez-vous, Didier, du nouveau calendrier Pirelli ?
RépondreSupprimerAlain
Rien. Je ne sais même pas de quoi vous parlez.
Supprimer( Désolé de m'immiscer, je réponds à la question que vous posez à Didier Goux).
SupprimerMoi, je préfère ça :
http://tinyurl.com/hyman2q
Renseignez-vous, Didier, et comparez les éditions 2015 et 2016.
SupprimerJe préfère, moi aussi, le calendrier suggestif suggéré par le docteur Arié, mais j'apprends que ce magazine renonce aux nus qui firent jadis son succès.
Alain
"J'ai su avec certitude que, oui, j'irais au bout ..." De quelle incertitude cette belle certitude est entachée pour que vous utilisiez le conditionnel ?
RépondreSupprimerMa chère, ce conditionnel me fut imposé par la règle dite "de concordance des temps"…
SupprimerAh ben, si c'est une règle, on n'a plus qu'à s'incliner !
SupprimerP.S. J'adore que vous m'appeliez : "Ma chère" ! Chacun ses petites faiblesses, mon cher !"
Il faut le reconnaître, vous n'avez pas votre pareil pour nous mettre la langue à la bouche et nous faire tomber dans la panoplie !
RépondreSupprimerAinsi parlait ma nièce Sarah !
Belle formule !
SupprimerBonjour Monsieur Goux,
RépondreSupprimerVous écrivez que Charlemagne est victime de "ses deux enculés de demi-frères bâtards". Donc nous voyons que les familles recomposées (si chères à nos "modernoeuds") posaient déjà problème...
Bien observé.
SupprimerEt pendant ce temps, chez les pirates : http://bit.ly/1IIN8CB
RépondreSupprimerÀ moi la pluie d'or des royalties !
SupprimerCe serait chouette de revivre sous Charlemagne...
RépondreSupprimerAristide
Je ne sais pas si monsieur Usseil va le regretter ou s'en réjouir mais vous allez avoir du mal à atteindre les cent commentaires avec ce sujet.
RépondreSupprimerLa vérification de vos prémonitions me font oser dire que vous êtes la Pythie de Didier, chère Madame...
SupprimerDepuis quand vous faites des comptes rendus des calendriers Pirelli ?
RépondreSupprimerJustement, il n'en fait pas et il a tort.
SupprimerAlain
Bon allez, je commande ces Enfances de Charlemagne en espérant qu'Amazone pourra livrer avant le 24 de ce mois....
RépondreSupprimerVingt commentaires en trois jours, c'est raisonnable. C'est là qu'on voit que votre Charlemagne, il était peut-être islamophobe mais il n'était pas pédophile.
RépondreSupprimerAlain