Par quel enchaînement de
circonstances, aussi stupide que néfaste, ai-je dû attendre le mois de
février 2016 pour lire quelque chose de Jack London ? Et encore, sans
Michel Desgranges, mon infatigable génie littéraire (qu'on ne trouve pas
dans une lampe magique mais, plus généralement, dans son salon ou
autour d'une table garnie de victuailles diverses), je serais encore
aujourd'hui plongé dans cette dommageable ignorance. Car c'est bien lui,
mon génie, qui m'a incité, la semaine dernière à lire Profession : écrivain,
ensemble d'articles, de lettres, etc., de London, tournant autour de
son expérience littéraire, aussi bien en tant que lecteur que comme auteur, que viennent de publier les Belles Lettres. J'ai été emballé,
intéressé, amusé par la première partie du livre, celle dans laquelle
London traite, avec un humour volontiers sarcastique, des “ficelles” du
métier, des écueils et des bévues qui attendent l'écrivain débutant,
etc. J'avoue que la suite, la partie purement critique, m'a moins
convaincu.
Ce fut néanmoins suffisant pour me donner le désir de pénétrer au
cœur de l'œuvre, et je commandai aussi sec Martin Eden ainsi que L'Appel de la forêt.
Le second étant fort court, et racontant une histoire de chiens, c'est
par lui que j'ai commencé hier matin… et fini l'après-midi même : roman
remarquable, où l'allégorie est renforcée par le fait que l'auteur
connaît véritablement ce monde des chiens de traîneau dont il parle, que
ceux-ci ne lui sont pas un simple prétexte. Catherine, quand
elle l'aura lu, va l'envoyer à Gaston, son petit-fils. Mais même s'il
est un enfant intelligent, éveillé et apparemment pris par le goût de la
lecture, j'ai peur que ses huit ans soient encore trop peu nombreux
pour lui faire aimer ce livre. Mais au fond, qu'en sais-je ? Il me
semble bien me souvenir que, lorsqu'on est enfant, on n'est pas vraiment
dérangé, dans les livres qu'on lit, par les parties qu'on ne comprend
pas ; il y a, de ce point de vue, une sorte de fatalisme de l'enfance,
période où l'on est plus ou moins habitué au fait que beaucoup de choses
nous échappent, que c'est normal, qu'il n'y a pas lieu de s'en mettre
martel en tête, que de toute façon on comprendra quand on sera grand.
Et puis, je pense que c'est aux enfants eux-même de faire le tri dans
les livres qui se présentent à eux, et certainement pas aux adultes qui
les entourent et prétendent les gouverner. À peine fini celui-ci, je me
suis plongé dans Martin Eden qui, dès les premières pages (les
seules lues à cette heure) semble d'une toute autre facture, et pas du
tout “pour enfants”. Il me semble y entendre comme un écho de Thomas
Hardy, celui de Jude l'obscur. On verra si la suite de la lecture
confirme cette impression – mais je crois que oui : après tout, le nom
même d'Eden implique bien l'idée d'une chute.
Je ne sais si pour vous on est encore un enfant à dix-sept ans, mais j'ai le souvenir de cet adolescent, en classe de seconde, qui venait essayer d'acquérir, chez moi, les "bases" en français, que personne dans notre belle Éducation nationale n'avait réussi à lui inculquer. A la première dictée que j'essayai de lui faire faire, il me dit : "Madame, la pluie, comment ça s'écrit ?" J'en conclus qu'il ne lisait pas, et ayant le souvenir que Jack London avait été très apprécié par mes propres enfants, je lui conseillai d'acquérir "L'Appel de la forêt". Ce qu'il fit. A quelque temps de là, après une de ces séances assez éprouvantes pour lui comme pour moi, je lui demandai : "Et ton London, ça avance ?" Il me répondit d'un ton piteux : "Oui, mais je ne comprends rien à ce que je lis !"
RépondreSupprimerLe petit garçon dont je parle s'est déjà attaqué à Jules Verne, Hector Malot ou Stevenson. Donc, je pense qu'il peut se risquer sur London. On verra bien…
SupprimerPour un enfant de huit ans, je recommanderais plutôt "Michael chien de cirque". Je l'ai lu à cet âge là, et qu'est-ce j'ai pleuré ! Je n'ai plus jamais voulu aller dans un cirque où l'on montre des tigres. Mon premier chien a été un Irish terrier. Même maintenant, bien des années après, chaque fois que je vois une image de fauve sur un tabouret, je sens une petite piqure qui me vient droit de ce livre.
SupprimerJe plains tout lecteur qui n'a pas découvert London avant d'avoir vingt ans. Martin Eden est un roman terrible. Un vrai roman. Un roman-maître.
Attention, si vous lisez London, vous allez devenir socialiste. (Le pauvre, s'il avait connu Staline...). Evitez "le peuple de l'abîme" si vous ne voulez pas finir distributeur de soupe populaire à Calais. Enfin, non, quand London se déguisait en pauvre pour écrire ses articles sur les malheureux qui dormaient dans les foyers d'indigents, il était très lyrique dans ses textes, mais aussi rageux, et toujours noble de cœur.
S'il vous reste après vos lectures un peu de goût pour lui, et bien que ce soit un ouvrage mineur, pas très intéressant, je vous recommande "L'Aventureuse", assez féministe pour l'époque, mais empreint d'un racisme à couper à la hache envers les populations noires de l'intrigue. Ce qu'il a écrit des Coréens pendant la guerre n'était pas gracieux non plus. Qu'importe ! C'est un grand écrivain.
Un garçon qui n'a pas lu Jack London dans sa jeunesse ?
RépondreSupprimerDécidément, vous aimez surprendre votre public en affichant des pudeurs de jeune fille (en alternance toutefois avec le cynisme de l'habile comédien)...
La véritable question étant au demeurant : qui est Didier Goux ?
Je ne suis pas persuadé de l'importance de la question que vous posez…
SupprimerPauvre, pauvre Didier Goux qui a vécu une enfance sans Jack London ! Et il m'étonnerait fort que le petit garçon résiste; je n'avais moi-même
Supprimerque 8 ans et je me souviens toujours du livre offert pour récompenser mon courage à supporter d'être "recousue" sans anesthésie, tellement autre chose que les "club des cinq" et autres mignardises...
Pendant ce temps, je lisais Jules Verne, Hector Malot, Daniel Defoe, Paul Féval, Dumas et Stevenson : on ne peut pas être partout…
SupprimerEt Zévaco ? enfin il faut avoir un peu plus de huit ans quand même. J'ai lu les Jack London de mon frère comme il a lu mes Mazo de la Roche mais je trouvais que c'était des bouquins de garçon...
SupprimerFaut admettre que c'est plutôt de la boisson d'homme, en effet.
SupprimerVous remarquerez que je m'abstiens de donner des conseils de lecture.
SupprimerVous avez tort !
Supprimerje ne pense pas.
SupprimerJe crois que c'est une métaphore militaire sur l'amateurisme et la naÏveté.
RépondreSupprimerMais que vous faisaient donc lire vos parents ! Un enfant qui n a pas lu au moins un Jack London, c'est-y pas possible !
RépondreSupprimerPuis-je vous recommander de lire Le Talon de Fer ?
Non seulement vous pouvez, mais je vous en remercie !
SupprimerJ'ai très récemment découvert Jack London à travers Martin Eden et Les mutinés de l'Elseneur. Je recommande les deux!
SupprimerEh, vous êtes gentils, les gens, mais je ne vais quand même pas m'acheter d'un coup toute une cantine de London ! Bon, je note tout de même vos mutinés, allez…
SupprimerSinon, ça va, vous, comme fille ?
Assurément Le Talon de Fer mérite d'être lu. On mentionnera également un grand nombre de ses nouvelles, genre où il excelle, marquées par leur saisissante cruauté et leur absence de commentaires : "La Peste écarlate", "La Vallée de la Lune", "Avant Adam", etc... toutes publiées chez Phébus libretto.
SupprimerGeorge Orwell n'est pas tendre avec Jack London. Néanmoins, à propos du Talon de Fer, il écrit ceci :
« Ce livre est surtout remarquable en ce qu'il affirme que la société capitaliste ne sera pas victime de ses « contradictions », mais que la classe possédante se montrera capable de s'organiser à la façon d'un gigantesque trust et même d'évoluer vers une sorte de socialisme perverti en sacrifiant nombre de ses privilèges afin de préserver sa domination.
(...)
La grande force des Oligarques est leur conviction de bien faire.
(...)
Si London a pu prévoir le fascisme, c'est certainement parce qu'il avait en lui une inclinaison fascisante, ou du moins une prédisposition marquée à la brutalité et un penchant presque irrépressible à prendre parti pour les forts contre les faibles. Il savait instinctivement que les businessmen américains se battraient si leurs possessions étaient menacées, parce qu'il se serait lui-même battu s'il avait été à leur place.
(...)
D'un autre côté, jamais il n'oubliera la misère sordide de son enfance, et sa loyauté envers les classes exploitées fut constante.
George Orwell, Introduction à "Love of Life and Other Stories de Jack London (novembre 1945). In Essais, Articles, Lettres. Vol. IV (1945 - 1950). Éditions Ivrea.
Corto, une fois de plus m'a devancé! Le talon de fer est indiscutablement à lire en ces temps troublés.
SupprimerPour le petit, vous pouvez essayer, plus court que l'appel de la forêt: "construire un feu" avec ses deux versions: commencer par l'optimiste !
Corto,
SupprimerC'est celui dont j'allais parler, le Talon de fer.
Il n'y a pas que les enfants à ne pas être dérangés de ne pas comprendre tout ce qu'ils lisent. J'ai cru remarquer le même phénomène chez nombre de journalistes et critiques littéraires.
RépondreSupprimerAlain
Mais eux ne se rendent pas compte qu'ils ne comprennent pas ; les enfants, si.
SupprimerLe premier livre de "grandes personnes" que j'ai lu, j'avais douze ans. C'était un magnifique volume illustré sur la vie de Manon Lescaut que j'avais pris sans permission dans la bibliothèque familiale. Je n'y avais pas compris grand chose, mais ça m'avait intriguée. Le second, j'avais quatorze ans, c'était "L'Amant de lady Chatterley" que j'avais subtilisé à mon cousin de six ans mon aîné. Là, j'avais tout compris, et comme j'avais jugé que c'était dégueulasse, j'ai jeté le livre dans le vide-ordures.
RépondreSupprimerCelui qui conduit lui-même sa Rolls ?
SupprimerCette histoire l'a rendu méfiant envers le petit personnel de maison.
Je me demande si vous n'auriez pas besoin d'une seconde béquille pour être plus drôle ?
SupprimerMais de toutes les façons, non, ce n'était pas lui, vous avez mal suivi !
Je pensais à ce cousin là...
SupprimerIl est vrai que nos lectures étaient très orientées. Jamais on ne m'a offert un Jack London. Enfant, mes voyages se faisaient avec Pearl Buck.
RépondreSupprimerEt comme toutes les petites filles élevées au Canada, je ne jurais que par Mazo De La Roche.
Est-ce un tort, je ne sais.
Toujours est-il que je n'ai jamais rien lu de London, et j'ai bien peur que ce soit fichu pour moi.
@Didier :
" Mais eux ne se rendent pas compte qu'ils ne comprennent pas ; les enfants, si."
Que trop vrai !
Hé, ho, moi aussi je lisais Verne, Defoe, Dumas, Malot, Cooper et autres (Stevenson je n'aimais pas, Féval je l'ai lu plus tard !)....mais j'étais désolée que London vous ait échappé, le grand nord et les chiens de traîneau, c'était magique. Pauvre Enid Blyton n'était là qu'à titre de repoussoir pas de lecture principale...Heureusement pour moi.
SupprimerNe comptez pas sur moi pour renier Enid Blyton !
SupprimerSi on supporte les liseuses, il y a du London chez le remarquable site :
RépondreSupprimerwww.ebooksgratuits.com
Tous leur ebooks sont très bien faits.
je viens de télécharger l'Appel de La Forêt puisque je dois confesser ne pas encore en avoir lu.
Droopyx
Pas de liseuse, en ce qui concerne. Mais, ce matin, j'ai commandé (en livres…)Les Vagabonds du rail ainsi que Le Peuple d'en bas.
SupprimerJ'étais très réticent au début mais avec l'écran à éclairage latéral, je me suis converti.
SupprimerPouvoir lire dans toutes les conditions de lumière en emportant dans ma poche Lupin, Sherlock Holmes, Dumas, la Comédie Humaine, les Rougons Macquart etc etc... compense largement pour moi la perte de l'odeur du papier et de l'encre.
Droopyx
Le Peuple d'en bas est celui que j'allais vous conseiller. Ce n'est pas un roman mais le récit de sa plongée "incognito" dans l'East End, quartier misérable de Londres au tout début du XXe siècle. C'est un livre qui, parmi d'autres, me guérit de mon camusisme occasionnel, pour tout dire, en nous rappelant à quel prix une classe bourgeoise si cultivée avait pu se constituer, argument par-dessus lequel on saute trop souvent en évoquant le bon vieux temps (ô, pyramides célestes que j'aurais pu bâtir, au prix de quelques bonnes). Zola ne me fait pas cet effet-là, curieusement, alors que tel était son but, supposé-je. Mais ce côté passé au stabilo du roman à message obère toute possibilité d'emporter ma conviction. Avec London, dans celui-ci comme dans Les Vagabonds du rail d'ailleurs, même si tout est peut-être inventé (qu'en sais-je ?), flotte cette indécrottable odeur que traîne la sale réalité.
RépondreSupprimerMartin Eden figure quant à lui dans mon petit panthéon personnel des très grandes œuvres. Même ses défauts, son romantisme adolescent parmi les plus criants, me le rendent cher.
Martin Eden me semble en effet un excellent roman, même s'il me semble en percevoir les faiblesses. Mais comme il me reste une centaine de pages à lire demain, je préfère fermer mon clapet avant de dire des conneries…
SupprimerJ'y reviendrai sans doute, et j'essaierai de creuser un peu ce parallèle que j'esquissais dans le billet, entre Martin Eden et Jude l'obscur.
Deux fois "semble" dans la même phrase : c'est du boulot de blogueur, ça, mon gros !
SupprimerMartin Eden ? Lu quelques pages. M'est tombé des mains.
RépondreSupprimerJe peux comprendre ça.
SupprimerOn vient sur un blog supposé être réac, et on tombe sur l'apologie d'un romancier socialiste...On vit une époque sans repères.
RépondreSupprimerDepuis le temps, vous devriez connaître ma position, calquée sur celle de Léon Daudet : quand il s'agit de littérature, l'idéologie je lui dis merde !
SupprimerDepuis le temps, vous devriez être plus sensible au deuxième degré...Que Jack London ait été socialiste n'ajoute ou ne retire rien à son œuvre littéraire.
SupprimerEt moi, j'ai adoré Jude L'Obscur ! D'ailleurs tout Thomas Hardy me plait.
RépondreSupprimerVous vous parlez à vous même Didier ?
Remarquez, c'est parfois mieux, au moins on est sûr d'être entendu.
J'aime beaucoup Thomas Hardy également (je veux dire : en dehors du roman que j'ai cité, qui reste tout de même mon préféré).
SupprimerQuel bel hommage de groupe à Jack London, tout de même !
RépondreSupprimerl'appel de la forêt. il existe d'autres livres ?
RépondreSupprimerPetit Louis,
SupprimerOui il existe aussi "le loup des mers" de London. C'est pour les "Petits Louis" qui veulent devenir de "Grands Louis". Roman magnifique,initiatique, mais rude, âpre, brutal, désespéré.
Merci Ana.je vais tenter ce titre,mème si ce n'était pas tout à fait le sens de ma litote. Mais comme d'habitude, je m'exprime mal.bon j'en ai lu quelques uns, quand j'etais grand, il y'a cinquante piges. Peut être celui la aussi. J'oublie les titres, comme toutes mes passions d'hier, c'est le privilège des vieux coureurs de bois ;.)
SupprimerJ'arrive un peu tard, mais tant pis. Je ne sais plus à quel âge mon père m'avait lu L'appel de la forêt, mais je devais à peine savoir lire, 6-7 ans donc, et j'avais énormément aimé. Je prends le pari qu'il en ira de même pour Gaston.
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