J'ai terminé juste avant le dîner – un gratin parfait – L'Éducation sentimentale :
après cette troisième lecture (au moins), mon admiration pour ce roman
est intacte. Je trouve notamment prodigieux d'avoir réussi à bâtir une
œuvre aussi cohérente, solide dans ses moindres parties, alors que
Flaubert l'a volontairement dépourvue de tout centre de gravité, du
moindre pôle d'attraction un peu efficace, ne l'ayant peuplée que de
personnages falots, velléitaires, ballottés par les événements,
incapables de vouloir vraiment quelque chose, à l'inverse des
personnages balzaciens. Admirable aussi de tisser ensemble sa “comédie”
sur son fond historique, sans que se voie la moindre couture, les
événements réels étant là essentiellement pour rendre perceptible
l'écoulement du temps (le roman se déploie sur 27 ans), en marquer les
ralentissements et les précipitations. Toujours aussi étonnante, bien
qu'archi-connue depuis l'article de Proust dans la NRF en 1920, cette énorme faille temporelle qui sépare le dernier
paragraphe de l'avant-dernier chapitre du premier du dernier (non mais
quelle phrase, je te jure ! l fallait oser…), ce gouffre d'années qui s'ouvre
entre : « …et Frédéric, béant, reconnut Sénécal. » et : « Il voyagea. Il
connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente,
l'étourdissement des paysages et des ruines, l'amertume des sympathies
interrompues. Il revint. Il eut d'autres amours encore., etc. » Et quel
tour de force que de bâtir tout un roman autour d'un individu aussi
pâle, aussi veule, aussi inintéressant que Frédéric Moreau ! À mon
tableau d'honneur des personnages de roman antipathiques et méprisables,
il figure à la meilleure place, juste à côté de Lucien Chardon dit de
Rubempré – c'est tout dire.
Je n'aurai qu'une chose à dire Didier : à ma grande honte je n'ai pas lu cette oeuvre, mais vous me donnez l'envie de m'y mettre au plus vite !
RépondreSupprimerDeux lectures seulement. Mais le fait d'y être revenu dit tout.
RépondreSupprimerRelisant votre billet, je repensais à la fameuse phrase de Flaubert, que vous citez souvent ici, que non seulement il ne veut pas être dérangé, mais ne pas risquer de l'être, et je me rappelle à ce sujet que les Goncourt avaient écrit que Flaubert aurait interdit à son domestique de lui parler de toute la semaine, ne lui autorisant qu’un : " Monsieur, c’est dimanche." le dernier jour.
RépondreSupprimerCe Flaubert, un sacré personnage !
J ai un problème: je lis (presque) beaucoup, au moins un livre par semaine mais j'ai beau avoir essayé, Flaubert fait partie de cette palanquée d'auteurs que je n'arrive pas à lire et pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé ! Une solution ? Un remède ?
RépondreSupprimerEssayez donc "Les Trois contes".
SupprimerC'est le meilleur de Flaubert. Et pourtant, il a écrit ces contes en pestant, râlant...
Si on n'aime pas, pas la peine d'insister.
Je comptais dire exactement la même chose.En précisant que, pour avoir une vision exacte de l'écrivain qu'est Flaubert, il me semble important de les lire tous les trois.
SupprimerJe suis persuadé que, si on demandait à un échantillon de Français de culture moyenne de citer une œuvre de Flaubert, ce roman extraordinaire qu'est l'Education Sentimentale serait en quatrième position, bien après Madame Bovary, Bouvard et Pécuchet, et même Salammbô : mais pourquoi donc ?
RépondreSupprimerFranchement, je ne crois pas : à mon avis, "L’Éducation sentimentale" viendrait juste après "Madame Bovary" et peut-être "Un cœur simple", très étudié dans les collèges et lycées. "Bouvard et Pécuchet" souffre quand même de son statut d’œuvre inachevée, et "Salammbo" est surtout connue par sa première phrase souvent citée, mais je doute qu'on le lise encore beaucoup en entier !
SupprimerJe suis d'accord avec M. F.
SupprimerJe vous trouve bien sévère avec Lucien Chardon.
RépondreSupprimerSans doute, en tant que journaliste, vous rappelle t'il la jeune (co)respondante de votre précédent billet.
Droopyx
« …et Frédéric, béant, reconnut Sénécal. »
RépondreSupprimerVoilà. Pas besoin de meubler. Et en plus, ça passe très bien.
Ponson du Terrail -que je ne compare pas à Flaubert, hein, c'est juste le premier qui me revient en mémoire- défigure ou blesse mortellement un Rocambole que l'on retrouve intact à l'épisode suivant. Peu importe.
Mes personnages antipathiques dans les romans: Les Henrouille dans le Voyage au bout de la nuit...et il y en a beaucoup dans l'oeuvre de Céline, le père Karamazov mais plus pour sa lâcheté et sa veulerie en fait il n'est pas entièrement détestable, Stepanovitch dans les démons ou les possédés, Raskolnikoff mais je dois avouer que je me suis arrêté à la partie crime, je n'aime pas les rédemptions...je vais commencer à faire cette liste, de personnages tout à fait antipathiques...et bien entendu Evremont que je n'ai pas encore côtoyé mais que je vais adorer détester. Ne me demandez pas pourquoi.
RépondreSupprimerAh, mais bien sûr, des personnages antipathiques, il y en a beaucoup ! Mais je parlais, moi, de personnages pivots, ceux autour de qui le roman considéré est entièrement bâti.
Supprimercertes il y en a beaucoup, mais faire une liste de personnages tout à fait antipathiques, même des seconds rôles, c'est bien, mais il est vrai que des personnages centraux absolument horribles, c'est compliqué à trouver.
RépondreSupprimerFace à un tel déferlement d'enthousiasme, on se sent bien seul ! Au risque de radoter, je renouvellerai l'expression du sentiment de profond ennui que m'a inspiré, il y a quelques années, la découverte de ce chef-d’œuvre. Je dois être un rustre imperméable aux choses vraiment belles.
RépondreSupprimerJe garde cependant un bon souvenir des Trois Contes et de Madame Bovary. Mais je les ai lus jeune, du temps où un rien me captivait. En irait-il de même aujourd'hui ? L'expérience ne me tente pas.
Votre goût a été gâté par tous ces films français que votre masochisme constitutif vous pousse à regarder…
SupprimerA mon grand désarroi, je ne fais pas partie de cette aristocratie qui prend le temps et le plaisir de lire et relire les chef-d'oeuvres romanesques du XIX° siècle. Que voulez-vous, en plus du papier nous avons maintenant les écrans, les blogs et leur interactivité. Chaque été par devoir et curiosité je lis un roman marqué "chef d'oeuvre" mais je n'en tire qu'un plaisir limité.
RépondreSupprimeret j'en tire un plaisir limité.
Que tentez-vous de dire ? De quelle "aristocratie" parlez-vous ? Qui vous empêche de lire (ou de relire) tel ou tel livre ? La suite de votre commentaire est plus obscure, même si je crois bien discerner la petite pique qui m'est destinée.
SupprimerC'est du 1° degré, aucun sens caché. Je considère les amoureux de la littérature comme une aristocratie.
SupprimerJe suis tout de même un peu étonné que personne ne se soit posé de question, à propos du titre de ce billet…
RépondreSupprimerC'est assez logique: chacun s'imagine qu'il est le seul à ne pas avoir compris, et ne veut pas paraître idiot ( je n'ai pas compris non plus votre truc sur les Lyonnais, dans un autre billet.)
SupprimerEt pourtant si !
SupprimerEt même que ma fée m'a copieusement enguirlandé de votre faute !
J'étais persuadé que votre titre sortait de la bouche de Frédéric. Tant et si bien, qu'à pas d'heure hier soir, je me suis mis à la recherche de mon livre. Comme j'ai l'habitude de ne rien ranger ; encore que cette fâcheuse manie ne vaut que pour les livres qui s'empilent et se tiennent comme ils peuvent ; remettre la main dessus m'a occupé un bon moment.
Bref....Le livre enfin exhumé, encore fallait-il retrouver LA phrase. Feuilletage en long, en large et en travers. Froissement de pages....agacement de la fée.
La citation, même si elle n'est pas tout à fait exacte, est bien de la bouche de Frédéric.
Ben vous me la copierez celle-là mon cher Didier ! Nous mettre des astuces de ce métal dans vos titres ! Parce qu'il y a une astuce n'est-ce pas ?
La solution serait-elle dans La Prisonnière ?
Oui, moi ! Je voulais vous écrire : "C'est quoi ce titre ?" Mais la première génuflexion était déjà en ligne et je me suis dit que ce ne serait pas à la hauteur !
SupprimerC'est malin ! J'allais justement vous la poser, la question.
RépondreSupprimerBon, la voici tout de même : le titre du billet, quel rapport avec le reste de la page ? C'est une citation ?
Si, moi. Mais j'ai eu si peur de passer pour une inculte que je me suis tenue coite, jusqu'à cette perche tendue.
RépondreSupprimerMonsieur Defrançois a gagné ! C'est en effet une phrase (un peu "arrangée" par moi pour en faire un titre) que prononce Frédéric Moreau dans le dernier chapitre du roman. Son grand amour (non consommé), Marie Arnoux, vient le voir chez lui et, tombant sur le portrait de Rosanette (cocotte et ex-maîtresse de Frédéric), dit qu'elle a l'impression de connaître cette femme. C'est alors que, un peu lâchement,Frédéric lui fait cette réponse.
RépondreSupprimerMais la Prisonnière dans tout ça ? Ne me dites pas que vous n'y avez pas pensé ? Juste histoire de nous embrouiller un peu plus.
SupprimerJ'y ai pensé… mais, là, ça devenait un peu compliqué – et long – à expliquer…
SupprimerBien sûr Didier, tel que je vous connais j'ai tout de suite pensé à Proust, et à La Prisonnière. !
RépondreSupprimerC'est M. de Charlus qui avait fait lire à Morel l’Éducation sentimentale, et depuis celui-ci pour plaisanter ne prononçait jamais le mot " impossible" sans le faire suivre de : " c’est une vieille peinture italienne " !
Bon : c'est pour quand, le prochain billet ?
SupprimerJ'ai pas d'idée ! Je tourne au vieux fruit sec…
SupprimerEt si vous faisiez paraître votre journal tous les 15 jours, et non tous les mois ? On en aurait moins à lire à chaque fois, et plus souvent.
SupprimerPrenez exemple sur moi : j'ai bu quelques cafés bien corsés tout en dégustant des dragées au chocolat noir et au gingembre. J'avais le titre, l'image de Tintin et j'ai plongé...
SupprimerEt pour moi c'est bien plus éprouvant, ayant beaucoup moins d'entrainement que vous !