On entend dire fréquemment que Henry James (1843 – 1916) est le plus anglais des écrivains américains : ce n'est pas parce que tout le monde le répète que c'est obligatoirement faux. Les tenants de cette thèse font généralement valoir que le romancier a passé la plus grande partie de sa vie féconde à Londres et qu'il fut naturalisé anglais sept mois avant sa mort. Il reste néanmoins un écrivain américain, par l'acuité du regard qu'il porte sur la société de son pays natal (langage de journaliste : honte !), comme on peut le constater dans l'un des romans majeurs de sa maturité, Les Bostoniennes, dont je crois bien avoir déjà parlé ; et aussi par sa propension à plonger certains de ses compatriotes dans le bain de l'Europe aux anciens parapets, afin de voir quelles réactions vont se produire dans les deux sens : c'est ce qui se passe en particulier dans son Portrait de femme.
Washington square est un roman à la fois très simple et complexe. Simple, il l'est par son écriture, vive et claire (ce n'est que des années plus tard que la phrase de James s'alourdira et se ramifiera, parfois à l'excès) ; il l'est aussi par son intrigue qui ne met en scène que quatre personnages : une jeune fille peu gâtée par la nature mais très riche d'espérances, son père, brillant médecin qui l'a élevée après la mort de la mère, la tante, sœur du précédent, vieille célibataire romanesque un peu folle, et, moteur de l'intrigue, le prétendant beau parleur et beau garçon mais désargenté. Aucun suspense ni coup de théâtre : dès les premières pages, on sait que le coureur de dot n'est rien d'autre que cela et que l'héritière va tomber dans ses filets ; en effet, tout se déroule exactement comme le lecteur le prévoit. Mais c'est aussi un roman complexe, en ce que ces quatre protagonistes ont chacun une personnalité ondoyante et diverse, en particulier le père et la fille, dont les rapports ne cessent de se modifier à mesure des chapitres, ou en tout cas d'être éclairés différemment par l'auteur. Ce sont des portraits superbement maîtrisés et fouillés, mais des portraits “en action”, les quatre personnages ne cessant de se révéler sensiblement différents, sous l'effet des chocs qui les jettent les uns contre les autres. Complexe aussi parce que James ne nous accorde pas la facilité de nous désigner les bons et les méchants, les généreux et les sordides, les intelligents et les stupides, etc. Chacun d'eux est un composé instable, mais tout de même homogène, de ces divers défauts et qualités, et aucun d'eux ne nous apparaît jamais comme tout à fait sympathique, ni complètement l'inverse. Le plus étonnant, peut-être, est que de ces diverses incertitudes qui forment la trame du roman, il ressort une impression de totale maîtrise psychologique : à chaque moment, même quand son premier mouvement est la surprise, le lecteur se dit que oui, en effet, le personnage devait faire ou dire exactement ce qu'il vient de faire ou dire, y compris lorsque lui-même semble s'empêtrer dans des contradictions qu'il ne contrôle pas ou peu. Il ressort de l'ensemble du roman une impression de fatalité certes pesante, mais où le drame et ses éclats sont toujours tenus en lisière.
Cela donnerait presque envie de lire un roman (mais j'ai déjà dépassé mon quota pour la décennie en lisant le vôtre...)
RépondreSupprimerN'allez pas nous risquer le claquage !
SupprimerLe seul livre que j'ai lu, il y a des lustres, de Henry James, s'appelait, je crois, "L'Image dans le tapis". Cela m'avait fait une très forte impression. Mais je ne me souviens pas que cela puisse être un roman. Une nouvelle peut-être ? Et encore...
RépondreSupprimerC'est en effet une nouvelle, l'une des plus connues de James, avec Le Tour d'écrou.
SupprimerTiens tiens...
RépondreSupprimerAuriez-vous suivi mon conseil?
Ai lu "Les Européens".
Je l'ai en effet suivi, et m'en suis fort bien trouvé ! J'ai commencé ce matin le Portrait de femme du même. Et j'attends avec impatience votre verdict, quant à ces Européens…
Supprimerje n'ai pas trop aimé "portrait de femme". Votre analyse des personnages de l'Education sentimentale pourrait s'appliquer à Isabelle et ses compagnons il me semble.
RépondreSupprimerdans "Ondine", James fait une peinture comparée de la bonne société américaine, des nouveaux riches américains et de la noblesse française assez réjouissante
By the way, comment va madame Goux ce matin ? Bien j'espère !
RépondreSupprimerUn peu mieux chaque jour, merci.
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