C'est dans le journal de juillet.
mardi 30 août 2016
samedi 27 août 2016
De l'utilité comptable du beurkini
La nécessité d'une aussi stupide polémique ne m'est pas apparue tout de suite, il me faut l'avouer : que pouvait bien me chaloir la manière dont, sur le sable ou les galets tout empoissés d'huile solaire, se vêtaient ces corps innombrables en état de mort cérébrale, ou au moins de catalepsie bronzante ? Mais, à force de me poser la question, j'ai fini par discerner une bonne raison de ne point empêcher l'usage du beurkini, et même, éventuellement, de le promouvoir.
Imaginons que, dans trois jours ou l'été prochain, un petit détachement de bons musulmans surarmés décide de s'en aller kärchériser une plage du Midi ou de la côté atlantique, à grandes rafales zigzagantes de Kalachnikov : comment feront ces moissonneurs de l'éternel enfer pour séparer le rare et précieux bon grain des respectueuses croyantes de l'ivraie des mécréantes impudiques ? Jusqu'à maintenant, ce devait être un casse-tête tel qu'il expliquerait assez bien que ces glorieux combattants ne soient point encore passés à exécution. Désormais, l'affaire sera simple : il leur suffira, d'un coup d'œil, de repérer les beurkinis, avant d'éviscérer en large et en travers toutes les salopes qui n'en portent mie. Non seulement ils feront là œuvre pie, mais en outre ils cloueront le bec méphitique de leurs détracteurs qui, avec la mauvaise foi qui les caractérise le plus souvent, osaient prétendre jusqu'à récemment que ces braves soldats dAllah tuaient aveuglément.
jeudi 25 août 2016
La photo lugubre du jour
La France d'avant, la France de pierre et d'air, contemplant les déjections bariolées que la modernité la plus échevelée, malgré les pots de chambre retournés en casques, a répandues sur ses tapis de sable et de siècles. Et il nous prend des impatiences : voyant tel méchef, qu'attend donc l'archange pour, d'un trait de feu, leur accabler le chef ?
vendredi 19 août 2016
Simon Leys ou l'anti-Belkacem
Simon Leys / Pierre Ryckmans sur le quai de la gare de Canberra, le 26 avril 2014, quatre mois avant sa mort. |
Je dois d'abord adresser un grand merci à l'ami cher qui m'a chaudement recommandé la biographie de Simon Leys, sous-titrée : Navigateur entre les mondes. Elle est signée d'un certain Philippe Paquet, dont je n'avais onc ouï dire quoi que ce fût. Me renseignant, je découvris qu'il était coiffé de la triple casquette de sinologue, d'historien et de journaliste, ces deux derniers couvre-chef ne m'incitant guère à commander son œuvre. Fort heureusement, l'enthousiasme de l'ami fut plus fort que mes préventions, car il s'agit d'une biographie remarquable, telle qu'on n'en voit que rarement paraître en France – mais il est vrai que l'auteur est belge, à l'instar de son modèle. Il n'est pas si facile, pour un biographe, de trouver la bonne distance où se situer par rapport à son personnage, de repérer la frontière toujours assez mouvante qui sépare l'empathie de l'approbation béate, de se garder aussi bien de l'hagiographie que de l'enquête de police vétilleuse. Philippe Paquet y parvient sans peine apparente. Pas facile non plus de reconstituer les divers milieux, époques, pays dans lesquels a vécu le modèle, de les restituer vivants, aussi bien dans leur unité que dans leurs contradictions, d'en montrer les énigmes et d'en suggérer les clés. Là encore, M. Paquet s'en tire avec les honneurs. Comme, en sus de tout cela, il écrit dans une langue claire et précise, jamais jargonnante (mais qui trébuche à quelques reprises, pourtant ; notamment lorsqu'il semble croire que “expérience” et “expertise” sont, en français, synonymes…), et même assez élégante, il n'est pas exagéré de dire (formule journalistique) que ces six cents pages sont une complète et passionnante réussite. Il est vrai que l'homme qu'il a pris pour sujet est à soi seul un monument, dont on se sent parfois absurdement fier d'avoir été le contemporain ici-bas.
J'ignore tout à fait où l'on peut joindre M. Paquet ; si je le savais, je lui poserais sans tarder la question qui me taraude, depuis plusieurs jours que je vis partiellement avec lui. À plusieurs reprises, il fait allusion au journal que, si j'ai bien compris, Pierre Ryckmans a tenu pendant toute sa vie, ou, au moins, durant une très longue période. Et je donnerais gros pour savoir s'il est prévu d'éditer ce journal, et si oui dans des délais qui ne m'obligeraient pas à le consulter post mortem. Pour finir, et parce qu'il faut bien que je justifie mon titre racoleur, voici quelques lignes de Simon Leys. Elles sont tirées du discours qu'il prononça le 18 novembre 2005, lorsqu'il fut reçu docteur honoris causa de l'Université catholique de Louvain, où Pierre Ryckmans avait fait une partie de ses études, un demi-siècle plus tôt. Les voici :
« Si l'exigence d'égalité est une noble aspiration dans sa sphère propre – qui est celle de la justice sociale –, l'égalitarisme devient néfaste dans l'ordre de l'esprit, où il n'a aucune place. La démocratie est le seul système politique acceptable, mais précisément elle n'a d'application qu'en politique. Hors de son domaine propre, elle est synonyme de mort : car la vérité n'est pas démocratique, ni l'intelligence, ni la beauté, ni l'amour – ni la grâce de Dieu. […] Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste. »
Son biographe rapporte que le vénérable auditoire de Simon Leys avait été quelque peu secoué, ce jour-là, à Louvain, en l'entendant commencer son discours par une citation de Flaubert (dans une lettre à Tourgueniev) : « J'ai toujours tâché de vivre dans une tour d'ivoire. Mais une marée de merde en bat les murs, à la faire crouler. » Simon Leys n'a jamais eu la langue dans sa poche, en les deux acceptions du mot langue : on s'en apercevra en lisant ou relisant la plupart de ses essais, qu'ils concernent ou non la Chine.
lundi 15 août 2016
Angoisse culinaire
On ne se représente que malaisément la déprime qui doit s'emparer de notre estomac lorsqu'il voit arriver un plat de tripes.
vendredi 12 août 2016
Mousse ! Il est donc marin, ton père ?
Pourquoi la solitude (qui est la mienne depuis hier et pour deux semaines) me ramène-t-elle toujours à Tristan Corbière ? (À François Villon aussi, mais restons pour ce soir avec Corbière.) Qu'est-ce qu'un vieil homme comme je le suis devenu sans m'en apercevoir a en commun avec ce Breton mort à 29 ans, né cent dix ans avant moi ? Pourquoi, installé dans mon fauteuil de salon, suis-je revenu ici pour tracer ces lignes ?
Si l'on était tenté de croire Wikipedia, Corbière serait une figure du “poète maudit”. Mais non ! Pourquoi maudit ? Parce qu'il était malade et se croyait laid ? Qu'il a aimé une femme et une seule sans être payé de retour ? Parce qu'il rêve d'une épopée de marin et qu'il ne peut rien faire d'autre que lire les poètes qu'il aime et qui, d'une certaine façon, l'écrasent ?
Parce que ses Amours jaunes, son seul livre, tomberont dans un silence parfait, et que Paul Verlaine ne les relèvera qu'après sa mort ? Parce qu'il rêvait de grand large et vécut confiné et souffrant ?
Tristan Corbière n'est pas maudit : il triomphe par quelques vers, il est vivant, et il rejoint modestement le Villon dont je parlais, en le sachant, par son Pardon de sainte Anne (“Mère taillée à coups de hache…”) qui renvoie à la Ballade pour prier Notre-Dame (“Dame du ciel, régente terrienne…”), et aussi par son épitaphe, qui est un écho de la Ballade du concours de Blois (“Je meurs de soif auprès de la fontaine”…) : “Il mourut en s'attendant vivre, et vécut s'attendant mourir.”
mardi 9 août 2016
Petites fleurs faignasses
C'est nous qui les avons baptisées ainsi, ces rondelles jaunes qui viennent en myriade dans le jardin depuis que, l'été aidant, j'ai cessé de tondre ; j'ignore tout à fait leur vrai nom, mais elles ressemblent plus ou moins à celles de la photo que j'ai choisie. Elles sont assez ridiculement touchantes, en raison de leur petite tête plantée au bout d'une tige trop longue et grêle. Leur surnom vient de ce qu'il ne faut pas compter les voir s'ouvrir avant dix heures du matin, quel que soit le temps, et que, dès quatre heures et demie ou cinq heures, elles sont déjà toutes refermées pour la nuit. On aurait pu aussi les nommer fleurs fonctionnaires.
samedi 6 août 2016
Le vivre-ensemble jeté en pâture
Durant quarante-huit heures, le suspense fut à peine tolérable. La vache solitaire et dépressive avait disparu de son pré et, sans nouvelle d'elle, nous avons oscillé constamment entre le meilleur et le pire, celui-là étant un regain de vie et d'enthousiasme ruminatoire, entraînant un retour de l'égarée parmi ses sœurs de pâture plus lointaine, tandis que celui-ci nous la faisait imaginer pendue de désespoir à la poutre maîtresse de l'étable.
Elle vient de réapparaître, la spleeneuse, et, si elle est toujours en position couchée, elle l'est tout près de notre haie mitoyenne, ce qui veut au moins dire qu'elle a trouvé en elle l'allant suffisant pour boitiller jusqu'ici. En outre, nouveauté, elle est entourée par une douzaine de moutons fraîchement délainés, qui doivent lui constituer ce que, en langage ovin, on nomme je crois une “cellule de soutien psychologique”, chargée de la distraire aussi bellement que possible.
mardi 2 août 2016
La mélancolie noire des bovins solitaires
Depuis trois ou quatre jours, dans la pâture derrière la Case, se trouve
une vache, dépendant de la ferme située à l'autre bout de ce pré
(voir, colonne de gauche, la couverture de mon journal 2011). Depuis
seize ans que nous sommes ici, on y a vu tantôt des chevaux, mais plus aucun
depuis plusieurs années, des vaches en troupeau et des moutons,
alternativement. Une vache seule, c'est la première fois et nous en
fûmes intrigués ; d'autant plus que celle-ci passe des heures sans se
lever jamais, broutant couchée, ne se déplaçant que d'un mètre ou deux à
la fois, rarement et sans qu'on ait le temps de la voir sur ses pattes, si encore elle s'y met. Il
se dégage de cet animal pesant et immobile, comme affaissé sur lui-même, une impression de grande tristesse. Notre très vieille
voisine étant venue nous apporter de petites pommes de terre nouvelles
de son jardin, de celles dont il n'est nul besoin d'ôter la pelure avant
de les manger, Catherine lui a parlé de notre vache solitaire et
mélancolique ; et il est apparu que “mélancolique” était en dessous de
la vérité. D'après elle, la voisine, la vache vient d'être opérée d'une
patte et, depuis, refuse obstinément de se lever : quand les fermiers
veulent la rentrer à l'étable, il leur faut faire donner les
chiens pour qu'elle consente à se mettre debout. Catherine a d'abord
compris que, suite à l'intervention vétérinaire, la station debout lui
était encore pénible ; mais la vieille dame a alors ajouté : « Elle se
laisse mourir. » Devant la mine dubitative de Catherine, elle a expliqué
que c'était déjà arrivé, aux mêmes fermiers, avec une vache qui avait
dû subir une césarienne et qui, à la suite de cette opération, s'était
réellement laissée mourir, avec un complet succès. Celle-ci, d'après
elle, suit le même chemin, victime de ce qu'on hésite un peu tout de
même à nommer une dépression. Mais, après tout, pourquoi les bovins ne seraient-ils pas aptes, eux aussi, aux chagrins irréversibles ? D'autant qu'à force de ruminer…