Hier, tandis que la nuit prenait résolument ses aises, et que je
naviguais à sauts et à gambades entre les différentes chaînes de
télévision, j'ai brusquement basculé dans une espèce de monde
surnaturel, qui était bien entendu le nôtre et qui rappelait par son
étrangeté mi-inquiétante, mi-comique, ce pays littéraire où les lapins ont des
montres à gousset, et les sourires, une complète autonomie d'existence.
C'était une émission consacrée à ces jeux que l'on nomme paralympiques, et que je serais tenté de rebaptiser plutôt guignolympiques. Au moment où je débarquai, se disputait entre le Brésil et la Turquie la fin d'une première mi-temps de cécifoot
: en modernœud, le mot désigne une partie de football réservée aux
aveugles et se pratiquant sur un terrain beaucoup plus petit que le
vrai. Passé la première minute d'incrédulité peureuse, je me mis à
osciller assez violemment entre le fou-rire nerveux et la béance pure et
simple. Finalement, le rire l'emporta haut la main, devant ces bienheureux
en short et maillot jetant maladroitement leurs pieds cramponnés en
avant, quand la balle était déjà à deux mètres d'eux ; rire libérateur,
rire sain, rire nostalgique aussi : qui, de nos jours, a encore
l'occasion de se foutre de la poire des aveugles ? Même celui qui se
sentirait de taille à braver l'opprobre induit par une telle
malveillance serait bien empêché de dauber, vu la raréfaction dramatique
de cette catégorie d'infirmes. Passerait-il une journée entière sur un
banc public, face à un réverbère, qu'il n'aurait pratiquement aucune chance de voir un
porteur de canne blanche venir s'y écraser le nez. Mais, là, soudain,
cette innocente petite joie m'était rendue pour quelques minutes. La
mi-temps se termina sur le score de 1 à 0 en faveur du Brésil. L'autre
source d'amusement et de pouffade était le décalage entre la
sarabande incertaine qui se donnait à voir et le sérieux papal dont
faisait preuve les deux commentateurs appointés.
Après,
j'eus droit à un 400 mètres pour culs-de-jatte. On les pose sur des
sièges qui ne sont pas sans rappeler ceux des tracteurs de notre
enfance, monté sur un châssis équipé de trois roues : une moyenne à
l'avant et deux grandes latérales arrière ; c'est en poussant ces
dernières à la force des bras que les athlètes s'élancent sur la piste.
J'ai attendu jusqu'au premier virage, pour voir, en cas de chute, ce qui
allait se passer : je me demandais si, en bordure de piste, les organisateurs avaient prévu une escouade de ramasseurs de cul-de-jatte, comme il y eut naguère des lanceurs de nains. Mais tout ce petit monde passa sans encombre.
J'ai ensuite découvert un sport inconnu (inconnu de moi), qui se pratique sur un terrain de la même taille
que le cécifoot et dont j'ai oublié le nom. De chaque côté, le fond du
terrain est presque entièrement occupé par une cage de but extrêmement
longue. Deux équipes de trois joueurs s'affrontent. Ils sont à
demi-assis, à demi-allongés (un mauvais esprit dirait : vautrés) sur le
sol. L'un des joueurs d'une équipe se lève, attrape le ballon et l'envoie
d'un déroulé du bras vers la gigantesque cage de ses adversaires ;
lesquels, ne le voyant pas arriver, le laissent passer ou bien le
stoppent par hasard, parce qu'ils se trouvaient sur la trajectoire :
après deux ou trois minutes, cela devient un peu monotone, malgré les
paracommentaires enthousiastes des deux parajournalistes parasportifs.
J'ai
encore patienté un peu, espérant vaguement assister à une épreuve de
tir à l'arc pour manchots ou à une course de Formule 1 pour aveugles. J'attendais aussi l'épreuve de saut à la perche pour nains, mais j'ai réalisé que les personnes-de-petite-taille n'étant pas considérées comme des infirmes, elles ne devaient pas être autorisées à sauter à la paraperche ; ce qui est une façon particulièrement vicieuse de les discriminer. Je
suis donc finalement allé me coucher, pas tout à fait certain d'être revenu
dans le monde réel, ni même de l'existence d'une réalité quelconque.
Pour le tir à l'arc pour manchots, attendez les élections présidentielles, vous serez servi !
RépondreSupprimerEt pourtant, Dieu sait que nos politiciens ne sont pas des flèches…
SupprimerLe tir à l'arc pour manchots, et même pour amputés des deux bras, ça existe : https://www.facebook.com/rio2016/videos/1255696744465202/
SupprimerAh mais vous ne comprenez rien au sport !
RépondreSupprimerJe m'en flatte, mon cher, je m'en flatte !
SupprimerVous avez raison. Il n'empêche qu'en tant que journaliste, vous êtes obligés de faire semblant. Quand j'étais consultant, j'étais forcé de parler de n'importe quoi avec les clients.
SupprimerPar exemple, pour le foot, vous pouvez toujours dire que "on a un problème de milieu de terrain". Cela fonctionne toujours et on vous félicite pour avoir mis le droit sur "le vrai problème". Véridique. Je l'ai testé au bistro auprès d'abrutis en mettant Tonnégrande (qui a le même respect pour le sport que vous et moi). Il l'a lui-même testé au boulot, travaillant avec des jeunes cons un tantinet Lyonnais ou simplement Mâconnais.
Vous oubliez que je suis un journaliste d'archives et uniquement d'archives ! Pas question d'accepter de me frotter à mes contemporains…
SupprimerLe plus sympathique, c'est de semer la zizanie entre supporter du PSG et de l'OM ,ces fous feraient passer un combat de pitbulls pour une dispute de garnements.
SupprimerBon, il faut le matos, mais à la poste, j'ai l'embarras du choix.
Vous noterez que l'équipe de France de foot de "non-voyants" ne comporte aucun Noir, contrairement à celle de "bien-voyants", dans laquelle, au contraire, ils sont majoritaires ; autrement dit : pour taper à côté de la balle, les Français de souche sont bien meilleurs que les immigrés.
RépondreSupprimerTiens, c'est vrai, ça : ils font quoi de leurs journées, les nègres aveugles (pardon : les Lyonnais non-voyants) ?
SupprimerPourtant avec tous ces ivoiriens en ce pays, il y a des possibilités insoupçonnées.
SupprimerC'est vrai qu'une équipe d'Ivoiriens pourrait essayer de s'immiscer dans la compétition. Juste pour voir…
SupprimerMerci d'avoir égayé ma soirée...
RépondreSupprimerBien cordialement
Quand on peut rendre service…
SupprimerJe partage le commentaire de Burg mais c'est de la pause méridienne dans un triste bureau de l'administration qu'il s'agit pour moi, ce qui fait un bien fou... Merci beaucoup!
SupprimerJoël
Si vous vous faites prendre à rigoler pendant les heures de bureau, je vous autorise à tout me coller sur le dos.
SupprimerVoilà des années que j'ai commencé à me brouiller avec la moitié de mes amis à ce sujet. Guignolympique me va tout à fait et je m'en resservirai dès que possible. Comme aucun d'entre eux ne lit votre blog, ça se saurait, je dirai que c'est de moi, ainsi je me fâcherai avec l'autre moitié, guignolympique c'est aller trop loin quand même !
RépondreSupprimerJe me jette dans YouTube dès que possible car je n'ai jamais vu de cécifoot, une journée où l'on n'a pas ri, etc.
Je suis tout à fait fâché d'apprendre que vos amis ne lisent pas mon blog !
SupprimerIl ne faut pas confondre le handicap qui est un désavantage, une infériorité (ex. le nain), avec un infirme qui a une absence de jouissance ou une jouissance incomplète de quelque fonction corporelle alliée à une bonne santé par ailleurs (ex. l'aveugle, le cul-de-jatte)
RépondreSupprimerLe mot "handicap", fort laid vocable anglais, ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je lui préfère "désavantage", ou "infériorité".
SupprimerUn certain Smythe a bien su utiliser le mot Handicap en anglais:
Supprimerhttp://titanbooks.com/andy-capp-annual-4972/
affirmer ouvertement que les handicapés sont des etres inférieurs et désavantagés, vous cherchez vraiment la condamnation en justice
SupprimerMais pourquoi appeler ça cécifoot ? cette rage de donner des noms à n'importe quoi est agaçante ; d'ailleurs je trouve ça plutôt humiliant pour les sportifs en question
RépondreSupprimerD'un autre côté, le ridicule du mot s'accorde bien avec la bouffonnerie de la chose qu'il désigne.
SupprimerJe ne m'étonne plus de rien. Dans mon quartier la semaine dernière était organisée une partouze réservée aux frigides et aux impuissants.
RépondreSupprimerJe dois avoir gardé une certaine candeur d'âme, car, moi, ça m'a sidéré.
SupprimerComment voulez-vous qu'ils y voient clair avec le bandeau qu'ils ont sur les yeux ?
RépondreSupprimerL'un des deux paracommentateurs expliquait que le bandeau était là dans un souci d'égalité. Car, parmi ces valeureux, il y a certes des non-voyants, mais aussi des mal-voyants, des pas-très-bien-voyants, etc. Donc, pour que personne ne soit scandaleusement avantagé, on rend tout le monde aveugle.
SupprimerAh ! je vois (si j'ose dire...) ! C'est une sorte de métaphore (à moins que ce ne soit une allégorie) de l'égalitarisme socialiste.
SupprimerVoilà : on ne voit rien, mais au moins on est égaux.
Supprimerau moins les bandeaux permettent d'éviter la triche
SupprimerBouffonnerie.
Supprimerje cherchais? Un seul mot résume le sujet de cet article !
Bravo et merci.
On ne devrait pas vous lire un vendredi saint.
Trop de jubilation nuit à l'abstinence à laquelle je me dois.
Comme je suis généreux, je suis prêt à proposer des idées pour donner un peu de piquant : le céci-course en-sac-foot, qui justement permet de mettre sur un pied (si j'ose dire) d'égalité, les voyants culs de jatte avec les non voyants équipés de jambes.
Je pense en faire part au comité Paralympique
Avez-vous remarqué que le gardien de but est un gros tricheur ?
RépondreSupprimerJ'ai été moi-même fort déçu lorsqu'un paracommentateur nous a informé que les gardiens étaient des "voyants".
SupprimerOui, mais des "super-voyants" :ils voient double, ce n'est pas un avantage.
SupprimerEn fait, vu la taille du terrain, on pourrait très bien imaginer que les deux gardiens voyants décident de jouer seulement entre eux, directement d'une cage à l'autre.
Supprimer@ Elie Arié : et ceux qui louchent, alors ?
Supprimer@didiergoux En meme temps le taux d'arret par match d'un gardien aveugle serait proche du zéro Autant mettre un plot ou une statue dans les "bois"
Supprimer'reusement que ce blog n'a pas de version en braille...
RépondreSupprimerOn peut y aller franco ! En revanche, méfions-nous des nains et des culs-de-jatte, gens vindicatifs par nature…
SupprimerComment font-ils pour repérer le ballon ? Contient-il un petit grelot comme les balles pour chats ?
RépondreSupprimerJ'ai cru comprendre que la balle était en effet "sonorisée".
SupprimerDonc ce sport est inaccessible aux malentendants ? Mais c'est scandaleux !
SupprimerJe me suis fait étriller par une dame car je demandais ingénument, ce que la pratique du sport apportée à ces personnes.
RépondreSupprimerDire que le lancer pour homme fort fut interdit en France car c'était dégradant pour les hommes à la verticalité contrariée en langage politiquement correct.
J'ai évidemment beaucoup ri à la lecture de votre billet.
Elle vous a répondu quoi, l'étrilleuse ?
SupprimerQue j'étais un gros bourrin mais je le savais déjà. Je lui avais simplement dit que les handicapés se donnaient l'impression de vivre en imitant les valides.
RépondreSupprimerC'est là que c'est partie en vrille.
Bon, finalement : vous l'avez sautée ou pas ?
SupprimerImpossible, c'est virtuel, de toute façon même si je pouvais la toucher, mon traitement pour la prostate me poserait des problèmes de plus ce n'est pas une perdrix de l'année même si elle a encore un beau plumage.
SupprimerC'est une autre vision du football.
RépondreSupprimerTutafé !
SupprimerVous ne croyez pas si bien dire : https://www.youtube.com/watch?v=y03axwV7-pA
SupprimerInutile de jouer les cyniques, les progressistes ont déjà osé, mais avec beaucoup d'ingénuité en ayant cru ajouter une pointe d'humour. Les cons ça ose tout...
Magnifiiiique ! Le ton de la commentatrice est à se rouler par terre !
Supprimer(Le lien.)
Je suis bien aise de passer les dernières années de ma vie dans un asile d'aliénés aux dimensions de la planète.
Cela dit, comme le signalait je ne sais plus qui en commentaire, plus haut, ce ballon à clochette est une discrimination insupportable vis-à-vis des aveugles sourds. Catherine, à qui j'en parlais tout à l'heure, émettait l'idée d'un ballon odoriférant : voilà qui mériterait un nouveau billet. On verra demain.
Certes, mais si un des ceci footballers est allergique à l'odeur proposée.
SupprimerImaginons un match contre une équipe musulmane où l'odeur proposée est celle du lardon grillé voire pour des végétaliens.
Pour concilier mon hypothèse du ballon à grelot que cet édifiant reportage vérifie, avec le souci de rendre le cécifoot accessible aux sourds, je propose le ballon péteur.
SupprimerLe bruit et les odeurs!
SupprimerEt dire qu'au train où vont les épreuves, on ne pourra même pas se vanter d'avoir les meilleurs handicapés au monde !
RépondreSupprimerExact : même dans le cul-de-jattisme et l'aveuglitude, on est battu par les Américains ou les Brésiliens.
SupprimerDans les migrants que l'on nous refile, pas un estropié mais c'est un scandale.
SupprimerCe ne serait pas très compliqué de faire un Olfactocécicoursensacfoot, avec une section spéciale sans gluten.
SupprimerLe concept d'"asile d'aliénés aux dimension de la planète" me fera la semaine sainte et l'octave de pâques.
SupprimerLes cécifootballeurs portent-ils une coquille ? Un accident est si vite arrivé...
RépondreSupprimerQuel cirque ! C'est plutôt "Freaks" chez vous Didier en ce moment.
RépondreSupprimerGageons qu'un para-commentateur appointé ou non, de la race d'un Roger Couderc, aurait agréablement agrémenté son jaspinage de formules choc, très incorrectes. 'Las les temps changent.
« Ralliez-vous à mon bâton blanc!... éclopés du bagne terrestre!... » aurait pu écrire Ferdinand.
mais ces "monstres" seront bientot a l'avant garde de l'humanité puisque tout cela ne semble etre qu'une vaste entreprise de marketing en faveur de l'homme (ou de la femme du trans etc) amplifié avec des prothèses mécaniques biologiques ou robotique (le jeu vidéo deux ex qui se déroule dans un futur proche parle d'ailleurs de ce sujet essentiel)
SupprimerTir à l'arc pour manchot, y'a qu'à demander: https://www.youtube.com/watch?v=DAD-KTOocU4
RépondreSupprimerPutain, j'y crois pas !
SupprimerLe lien…
Le mec qui remet la médaille se met tout seul dans la merde.
SupprimerC'est dingue !
SupprimerFortiche !
SupprimerAu 19e siècle, on pouvait voir dans les foires un manchot qui accomplissait cette prouesse, si j’en crois Martin Monestier. Je crois me souvenir aussi que Montaigne, dans ses essais, évoque un cas semblable, sans pouvoir jurer qu’il tirait à l’arc. Hélas, je n’ai pas les sources sous la main.
A ce propos, on voit sur la vidéo qu'il est décidément bien difficile de serrer la main d'un manchot. Mais c'est comme le cécifoot, c'est l'intention qui compte.
quelle grosse marade, surtout quand le type qui remet la médaille veut lui serrer la pince
SupprimerLes commentateurs et autres consultants étant souvent d'anciens pratiquants de la discipline, ils aurait été logique que ceux du cécifoot aient été des cecicommentateurs.
RépondreSupprimerLa cécité, chez les journalistes, est quasiment un impératif professionnel.
SupprimerDans les écoles d'enfants aveugles, on joue au foot avec un ballon à grelot, entre des ficelles tendues de clochettes. Personne ne se moque de cela, ou bien si ?
RépondreSupprimerMais ce n'est pas un spectacle...
Il me semble indispensable de se moquer des aveugles. Et particulièrement des enfants.
SupprimerBen vous irez en enfer.
SupprimerEt là, vous serez attaché et obligé de regarder en boucle tous les épisodes de "la petite maison dans la prairie" dans lesquels il est question de la cécité de Mary Ingalls. Et il y en a BEAUCOUP.
Tant pis : j'assume…
SupprimerOui : l'erreur est évidemment d'en faire un spectacle.
SupprimerJe connais une femme, devenue aveugle vers la quarantaine, qui continue à faire du ski, avec des indications de son mari qui skie à côté d'elle, et cela lui apporte beaucoup du point de vue psychologique (confiance en soi, etc.); mais elle n'en fait pas un spectacle télévisé.
Moi je connais le mari d'une femme qui..., non c'est vraiment trop méchant, vaut mieux que je me taise !
SupprimerAu royaume des aveugles, les borgnes sont rois...
RépondreSupprimerPersonne n'avait osé la coller ici... franchement... les yeux m'en pèlent.
Il existe du volley ball assis, je ne raconte pas de bêtises.
RépondreSupprimerLe photographe aveugle des jeux paralympiques de Rio
RépondreSupprimerJ'y crois pas ; on vit vraiment dans un asile de dingues !
Supprimer...aux dimensions de la planète. 'est le tôlier qui a si bien résumé la situation !
SupprimerPour les aveugles, on peut aussi faire des concours de lecture sur papier de verre!
RépondreSupprimer