mercredi 14 novembre 2018

11 avril 75, addendum


Puisque je donnais, il y a quelques jours, mon sentiment sur le numéro d'Apostrophes consacré à Soljénitsyne, le moins que je pouvais faire était de le compléter par celui du grand Russe lui-même. On le trouve (p. 156) dans Le Grain tombé entre les meules, qui est la première des deux parties de ses mémoires intitulés Esquisses d'exil ; lesquelles font suite à un tout premier volume, Le Chêne et le Veau : c'est précisément pour la parution française de ce livre-ci que Soljénitsyne se trouvait à l'émission de Pivot. Voici donc ce qu'il en dit :

« Il se trouva qu'avant d'aller à la télévision, j'avais eu une journée très dure : des rendez-vous dans l'après-midi, tout le temps sur mes jambes, de la marche à pied dans Paris, des heures à tirer quelque part en attendant le début tardif de l'émission, gros mal de tête – c'est sans énergie que j'entrai dans l'immense studio qui ressemblait à des coulisses de cirque. Des centaines de gens, brouhaha, confusion. C'est dans cette bousculade qu'on nous fit asseoir tous les sept à une table, le socialiste tendu comme un arc, Jean Daniel, du Nouvel Observateur, en face de l'homme de droite, Jean d'Ormesson, qui semblait distrait, pas mobilisé pour le débat ; les autres poussaient chacun son idée. La tête baissée, j'assistai sans intérêt et même avec désespoir à leur controverse, fatigué par leurs empoignades comiques, repoussant parce qu'il le fallait bien les attaques du socialiste et résigné à ne jamais déboucher sur un véritable entretien. Mais ma participation fut, en fait, étonnamment réussie, toutes les opinions concordèrent sur ce point. Mon calme et mon ironie sans espoir furent justement perçus comme la manière la plus digne de représenter la Russie. […] »

On peut signaler, en outre que, du point de vue de Soljénitsyne, ce mois d'avril était particulièrement meurtrier, dans la mesure où, suite au retrait américain (considéré par lui au pire comme une lâcheté, au mieux comme un aveuglement suicidaire), le Vietnam du Sud était en train de tomber aux mains des armées communistes du Nord, dont il allait ensuite subir le joug implacable, joug dont l'auteur de L'Archipel du goulag venait, lui, de se dégager tout juste.

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