Gueorgui Vladimov, écrivain russe, 1931 – 2003. |
L'essentiel du roman de Gueorgui Vladimov, auquel j'ai emprunté son titre, se déroule en vingt-quatre heures environ – peut-être un peu plus –, à la fin de 1943. À la première page, une jeep quitte les bords du Dniepr, avec quatre hommes à son bord : outre le chauffeur, il y a le général, son aide de camp et son ordonnance. Lorsque, 450 pages plus loin, arrivés en vue de Moscou, tel Moïse découvrant Chanaan, ils feront demi-tour pour revenir à leur point de départ, scellant ainsi leur quadruple destin, ils n'atteindront pas Kiev, qui vient tout juste d'être libérée de l'occupant allemand par un général rival du nôtre. De nos jours, si l'on en croit Google Maps, le trajet Kiev – Moscou s'effectue en dix heures et sept minutes. Durant ce temps, par un jeu de flash-back admirablement agencés, on aura suivi, seuls ou ensemble, les quatre occupants de la jeep, de la guerre civile des années vingt, à la défense de Moscou en 1941, en passant bien sûr, et c'est le cœur du récit, par les efforts faits, les manœuvres entreprises, les stratégies mises en place, pour reprendre Kiev – qui, du reste, ne s'appelle pas ainsi dans le roman.
Le pivot de l'histoire est bien entendu Foti Ivanovitch Kobrissov, général en titre et du titre, commandant la 38e armée soviétique. Personnage à demi-fictif, entouré d'autres qui le sont autant que lui, mais aussi d'acteurs bien réels : Joukov, Khrouchtchev, Beria, Staline, Vlassov, Guderian (scène superbe que celle où l'on voit le général allemand signer l'ordre de retraite de son armée, à Iasnaïa Poliana où il est cantonné, sur le bureau même de Tolstoï). Vlassov aussi, Vlassov surtout est saisi par le romancier dans toute sa complexité, héros de l'Armée rouge devenu traître à sa patrie (avoir tenté de comprendre un tel personnage et de le peindre sous des couleurs vraies sera violemment reproché à Vladimov, lors de la sortie de son roman en 1995, par tous les esprits binaires, les adeptes du “noir ou blanc”).
Malgré ce que je viens de dire, Le Général et son armée n'est pas un roman historique ; ou pas seulement ; ou pas d'abord. C'est le parcours d'un homme, son destin, les déchirements de sa conscience entre son dévouement à sa patrie russe, et donc à ses dirigeants de l'heure, et sa liberté de jugement, son attachement à des valeurs humaines réputées périmées, comme la dignité ou l'attention aux souffrances d'autrui.
Il n'en reste pas moins que c'est aussi un roman de guerre, un roman d'action à la trame serrée, un tableau du second conflit mondial qui, par sa vérité et sa force, rappelle beaucoup l'Août 14 de Soljénitsyne. Du reste, lorsque le roman le plus connu de Vladimov (Le Fidèle Rouslan) fut publié dans le samizdat, à la fin des années soixante, beaucoup de lecteurs crurent que Soljénitsyne en était l'auteur. Et, en 2004, dans la revue Novy Mir, l'auteur de La Roue rouge a rendu un vibrant hommage à celui du Général et son armée, l'inscrivant sans hésiter dans la grande histoire de la littérature russe. Une place qu'à mon sens, le roman à peine refermé, Gueorgui Vladimov mérite pleinement.
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