Saisissante est la description que fait Ernest Renan* d'Antioche, au moment où y fut fondée l'une des toutes premières Églises chrétiennes, soit alentour l'an 40 de notre ère (car fonder une Église chrétienne en l'an 40 avant J.C. eût été pour le moins problématique…) ; saisissante parce que propageant des échos perceptibles jusques aux rivages splendides de notre agonisante époque. Voici le passage :
« Antioche, au bout de trois siècles et demi d'existence, se trouva un des points du monde où la race était le plus mêlée. L'avilissement des âmes y était effroyable. Le propre de ces foyers de putréfaction morale, c'est d'amener toutes les races au même niveau. L'ignominie de certaines villes levantines, dominées par l'esprit d'intrigue, livrées tout entières aux basses et subtiles pensées, peut à peine nous donner une idée du degré de corruption où arriva l'espèce humaine à Antioche. C'était un ramas inouï de bateleurs, de charlatans, de mimes, de magiciens, de thaumaturges, de sorciers, de prêtres imposteurs ; une ville de courses, de jeux, de danses, de processions, de fêtes, de bacchanales ; un luxe effréné, toutes les folies de l'Orient, les superstitions les plus malsaines, le fanatisme de l'orgie. Tour à tour serviles et ingrats, lâches et insolents, les Antiochéniens étaient le modèle accompli de ces foules vouées au césarisme, sans patrie, sans nationalité, sans honneur de famille, sans nom à garder. Le grand Corso qui traversait la ville était comme un théâtre, où roulaient tout le jour les flots d'une populace futile, légère, changeante, émeutière, parfois spirituelle, occupée de chansons, de parodies, de plaisanteries, d'impertinences de toute espèce. La ville était fort lettrée, mais d'une pure littérature de rhéteurs. Les spectacles étaient étranges ; il y eut des jeux où l'on vit des chœurs de jeunes filles nues prendre part à tous les exercices avec un simple bandeau ; à la célèbre fête de Maïouma, des troupes de courtisanes nageaient en public dans des bassins remplis d'une eau limpide. C'était comme un enivrement, comme un songe de Sardanapale, où se déroulaient pêle-mêle toutes les voluptés, toutes les débauches, n'excluant pas certaines délicatesses. Ce fleuve de boue qui, sortant par l'embouchure de l'Oronte, venait inonder Rome, avait là sa source principale. Deux cents décurions étaient occupés à régler les liturgies et les fêtes. La municipalité possédait de vastes domaines publics, dont les duumvirs partageaient l'usufruit entre les citoyens pauvres. Comme toutes les villes de plaisir, Antioche avait une plèbe infime, vivant du public ou de sordides profits. »
Est-il besoin de le préciser : toute esquisse de parallèle avec d'autres contrées et d'autres cités serait à la fois inepte et fort mal venu…
* Ernest Renan, Histoire des origines du christianisme, Robert Laffont, Bouquins vol. I, p. 426.
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