Bien sûr, je pourrais prendre la défense de Gabriel Matzneff, ce fut
d'ailleurs mon premier mouvement, tant l'affaire dont il est le centre
depuis quelques jours éclate de ridicule, avec ses minuscules haines
maquillées en grands principes et ses bigoteries sous-jacentes. La
“pédophilie” a ceci de commun avec le “racisme” – les guillemets sont là
pour marquer l'égale et complète impropriété de ces deux termes –
qu'elle autorise, dès que le mot est prononcé, ses pourfendeurs à dire
absolument n'importe quoi, à proférer les énormités les plus saugrenues
d'un ton n'admettant aucune réplique, ni même la moindre nuance.
S
ur Causeur, une demoiselle Pélaprat écrit notamment ceci (c'est moi qui souligne), à
propos de l'homme qu'elle a pris pour cible : « […] il revendique
fièrement des rapports pédophiles qui,
par définition, ne
sont jamais librement consentis par les mineurs de moins de quinze ans. »
Par définition, vraiment ? Définition de quoi ? Établie par qui ? En
fonction de quelles prémisses ? À quel usage ? Et quelle puissance
divinatoire êtes-vous donc, Mademoiselle, pour savoir aussi sûrement ce
qui se passe dans le cerveau de
tous les adolescents de moins de
15 ans, au moment où une main adulte se glisse dans leur culotte ? À
quelle expérience mystérieuse vous adossez-vous pour écarter avec tant
d'assurance toute possibilité de plaisir, voire de
fierté, dans quelques-uns de ces cerveaux-là ?
Personnellement,
j'ai horreur des enfants, en particulier de ceux des autres. Et,
lorsque j'en étais un moi-même, jamais la moindre grande personne n'a eu
l'idée d'attenter à mon innocence sacrée. En revanche, j'ai connu trois
ou quatre personnes – dont une femme – à qui c'était arrivé et qui,
par-delà les années, n'en conservait qu'un souvenir plutôt amusé ; ou
disons : indulgent. Je n'en tire évidemment aucune conclusion générale,
ni le moindre par-définition. Et je sais bien que, placés dans les mêmes circonstances, d'autres ont pu en souffrir terriblement.
Je
ne tire pas de conclusion, mais je m'étonne que l'on puisse
tranquillement, sereinement, avec la belle conscience du devoir
accompli, appeler au lynchage d'un homme qui prétend avoir eu des
rapports sexuels avec des enfants. Car, tout de même, on parle ici d'un
écrivain qui, sous couvert d'autobiographie, peut bien raconter ce
qu'il veut, vrai ou non, exagéré ou minimisé. Que savons-nous de la
réalité ? Y a-t-il eu plaintes de ses nombreuses “victimes” ? Vous avez
des dossiers à charge pour justifier vos appels au meurtre citoyens ?
Oui,
décidément, j'aurais eu de quoi prendre la défense de Gabriel Matzneff,
même sans compter les trois ou quatre arguments supplémentaires que je
me garde dans la manche pour ne pas lasser les patiences. Mais j'ai
choisi de renoncer. Simplement parce qu'il m'est apparu avec une quasi
certitude que M. Matzneff lui-même devait, vis-à-vis de ses procureurs
vociférants, n'éprouver autre chose que le plus insouciant mépris.
Car le philopède est toujours assez hautain. Par définition.