La famille Moskat, éponyme de l'ample roman d'Isaac Bashevis Singer,
vit à Varsovie depuis toujours. Ce sont des Juifs hassidim, de plus ou
moins stricte observance selon les individus. Nous la découvrons, cette
famille, au moment où Reb Meshulam, le patriarche millionnaire, vient de
prendre épouse pour la troisième fois : lui-même se demande bien quel
coup de folie l'a empoigné ; ses enfants, déjà adultes, encore bien
plus. Mais, en dehors de ce petit soubresaut dans les habitudes, on
baigne dans l'éternité, tout semble immuable, on est assuré qu'aucun
bouleversement ne viendra secouer ces Juifs pieux, solidement ancrés
dans leurs habitudes féodales. Nous sommes, dans ces premiers chapitres,
à l'orée des années 10 du XXe siècle.
Lorsque le roman s'achève, 850 pages plus avant, l'armée du IIIe Reich
est occupée à envahir la Pologne et à bombarder sa capitale. Tout va
bientôt se terminer, et le lecteur sait comment, pour les quatre
générations de Moskat qu'il a vu vivre et vieillir devant lui. Mais,
pour Reb Meshulam et sa descendance, l'écroulement du monde a déjà eu
lieu. De larges fissures sont apparues dans l'édifice qui semblait aussi
solide que le temple de Jérusalem, et qui va crouler comme lui. Le
ferment le plus visible de la dissolution, c'est la mort du patriarche
et les dissensions provoquées par son héritage. En apparence au moins.
Car, en réalité, le drame est plus profond, le mal vient de plus loin :
c'est le XXe siècle naissant qui constitue l'acide le plus corrosif.
Car les Moskat se sont divisés contre eux-mêmes. Il y a les Moskat
“modernes”, ceux dont les filles n'hésitent pas à fréquenter des goyim
et qui rêvent de l'Amérique, où ils vont aller vivre en effet. Il y a
les Moskat “sionistes”, qui frémissent de partir pour la Palestine, y
fonder une colonie pieuse ; certains franchiront le pas et les mers. Et
il y a les Moskat qui, à partir de 1917, se laissent happer par la
tentation diabolique du communisme russe. Enfin, il faut compter avec
les influences diverses et contradictoires des éléments extérieurs à la
famille proprement dite.
Tout cela donne un foisonnement de personnages aux prénoms exotiques,
mais au milieu de qui le lecteur ne se perd jamais ; sauf dans la
dixième et dernière partie, mais c'est normal : à ce moment, alors que
tous les Moskat se retrouvent à Varsovie pour la Pâque de 1939, la
famille n'est déjà plus qu'un champ de ruines, et ses membres eux-mêmes
ont bien du mal à se reconnaître entre eux, à retisser les liens de
parenté, entre ceux qui arrivent de New York, les autres qui débarquent
de Jérusalem et les derniers qui sont demeurés dans la capitale
polonaise. Peu de temps après cette ultime réunion, qui n'est déjà plus
qu'un simulacre désespéré pour retenir le temps, les bombes se mettent à
pleuvoir sur Varsovie. Le roman se termine par ces lignes :
Et Hertz Yanovar éclata en sanglots. Il tira d'une de ses poches un
mouchoir jaune et se moucha. L'air à la fois confus et honteux, il
ajouta, comme pour s'excuser :
« Je n'ai plus du tout de force. »
Il hésita un instant, puis dit en polonais :
« Le Messie va bientôt arriver. »
Asa Heshel, stupéfait, le regarda :
« Que voulez-vous dire ?
– La mort est le Messie. Voilà la vérité. »
Et qu'on ne vienne pas me dire que j'ai déjà publié ce billet il y a trois ans : je le sais mieux que vous !
RépondreSupprimerPremier à vous auto-commenter... Non seulement vous trainez des pieds pour pondre un billet (et je ne parle pas de Nicolas qui roupille).
SupprimerEh ! oh ! Quand on commence une phrase par "non seulement", on est tenu de donner aux lecteurs le "mais encore" qui le suit obligatoirement ! C'est le non tantum / sed etiam des latins, quoi.
SupprimerDu coup, je commente le billet d'il y a trois ans.
SupprimerCe n'est pas "non solum" plutôt ?
SupprimerVous avez lu " Le Club des policiers yiddish" de Michael Chabon ? je crois que ça vous plairait.
Les deux sont équivalents… si mes souvenirs de lycée ne me trompent pas !
SupprimerLe mouchoir était jaune ? C'est la piste aux étoiles ce roman !
RépondreSupprimerOui, hein ? C'est de loin ce qu'il y a de meilleur dans ce billet, il me semble.
RépondreSupprimerQuand j'ai lu la célébration hassidique d’Élie Wiesel, je n'imaginais pas que le fondement d'une religion pouvait être le doute sur l'existence de Dieu. Un livre sans doute assez inintéressant sur le plan littéraire, qui a la vertu de nous plonger au cœur du judaïsme.
RépondreSupprimerLe doute sur l'existence de Dieu ? Z'êtes sûr de ce que vous avancez là ?
SupprimerOui.
SupprimerBon, bon, si vous vous mettez à plusieurs pour le dire, d'accord…
SupprimerCela dit, les quelques textes que j'ai lus sur le sujet ne semblent pas confirmer l'existence d'un tel doute.
SupprimerMais j'ai peut-être mal lu.
Hassidiques n'existe plus depuis la fusion avec l'ANPE. C'est maintenant Paul Emploi.
RépondreSupprimerIl faut dire qu'être juif, vivre à New-York, et se rendre à Varsovie en 1939 ne témoigne pas d'un flair politique très aiguisé.
RépondreSupprimerJe préfère le titre d'il y a 3 ans.
RépondreSupprimerLa réplique qui clôt votre billet m'avait déjà ébranlé, et c'est toujours le cas.
Merci de ce rappel salutaire.
C'est plus subtil.
RépondreSupprimerUn rabbin, dont j'ai oublié le nom, a eu la bonne formulation :
"Pour les juifs, Dieu est une hypothèse".
Quant à moi, il n'y qu'un seul Juif dont je sois une fan absolue !
RépondreSupprimerVous le connaissez sans doute, il est né vers l'an 6 avant notre ère, sous le règne de l'empereur Auguste à Bethléem en Judée. Il était le fils d'un charpentier de Nazareth. Il se nomme Iéshoua.
Maintenant si vous aimez les histoires plus épicées, je vous renvoie à celle de Jacob dans la Genèse où les incestes et autres putasseries abondent à tel point que ce pauvre Olivier Duhamel à côté, pourrait passer pour un enfant de choeur.
Et quant à la littérature, s'il m'est arrivé de lire du Singer, il y a au moins quarante ans, je dois dire que je trouve bien supérieurs nos Juifs à nous, tel notre Proust !
Pour ce qui est des Juifs New-Yorkais je confesse volontiers que Woody-Allen et ses films comblent largement mon appétit d'humour juif.
Essayez Edgar Hilsenrath (Fuck America, le Nazi et le Barbier, ...).
SupprimerPlus marrant que Woody Allen, moins chiant que Proust.
Que du bon.
Je vous remercie très sincèrement pour ce conseil de lecture, et j'espère qu'il pourra servir à d'autres car pour ma part, au cas où vous ne l'ayez pas compris, j'ai une overdose pour tout ce qui touche à cette époque !
Supprimer"aux hassidiques" ? Mais vous n'étiez pas en retraite vous ?
RépondreSupprimerCertes. Mais vous reconnaîtrez avec moi que "Didier G. émarge à la caisse de retraite" n'aurait pas eu tout à fait la même saveur…
SupprimerCertes. (aussi)
SupprimerOn imagine les premières difficultés des Moskat aux Etats-Unis
RépondreSupprimer-"We are Hassidiques"
- "What? you're Ass and dick??"
allez pour la gloriole et le jeu de mots pourris...bien sûr, toute enquête par la police des idées devra être dirigée vers l'hébergeur du blog qui tend la perche pour des jeux de mots pourris/racistes/antisémites....