Joseph de Maistre, 1753 – 1821. |
Les cuistres à diplôme ne sont hélas pas l'apanage de la Bibliothèque de la Pléiade : on en trouve aussi pour sévir entre les pages des “Bouquins” de Robert Laffont. Celui qui s'est occupé de régler son compte à Joseph de Maistre, qui n'en demandait pas tant, se nomme Pierre Glaudes. D'après la quatrième de couverture du volume, il serait professeur de littérature française à l'université de Toulouse II, alors que d'après Dame Wiki, il enseignerait à Paris IV après avoir fait la même chose à Grenoble : louche d'emblée, donc. Toujours d'après Dame Wiki, M. Glaudes ferait “ savamment dialoguer la critique littéraire et la psychanalyse post-freudienne ”, ce qui est quand même limite fout-la-trouille. On a raison d'avoir peur, car voici les trois lignes qui suivent :
« L’assimilation qu’il propose entre la forêt d’Atala et un « sein immense » reste exemplaire : ce sein « excite la convoitise » de l’enfant-Chateaubriand, « puisqu’il contient à ses yeux toutes les “richesses” du monde, tous les “trésors” imaginables : des bébés, des excréments, et surtout le pénis que le Père y a laissé. » De manière complémentaire, Pierre Glaudes repère dans l’Empereur du roman de Victor Segalen, René Leys, une « figure du pénis maternel ».
C'est dire si j'ai abordé au continent glaudien avec un maximum de précautions réticentes : muselière à élastiques auriculaires, gestes barrières, vaccin dûment homologué et tout le tremblement. Une combinaison de savant atomiste serait-elle passée à ma portée qu'on m'aurais vu sauter dedans à pieds joints. De fait, je n'ai nullement été déçu. Afin de rendre ce billet plus vivant, je m'en vais prendre un exemple de ce que je me suis infligé en lisant l'introduction glaudienne (glaudicante ?) aux Six Paradoxes à Madame la marquise de Nav… de M. de Maistre.
M. Glaudes en vient rapidement à s'interroger sur l'identité de cette mystérieuse marquise destinataire, et même à se demander si elle existe vraiment. Il conclut d'abord par l'affirmative, notamment en raison de “certains détails trop précis apparemment pour avoir été inventés”. Le lecteur, moi pour l'heure, peut déjà tirer une première conclusion : M. Glaudes juge Joseph de Maistre trop limité, trop bête, trop je-ne-sais-quoi, pour, ayant créé un personnage fictif, lui donner deux ou trois caractéristiques précises destinées à rendre sa création crédible.
Quels sont donc ces détails “trop précis apparemment pour avoir été inventés” ? M. Glaudes nous les rappelle en une essentielle note de bas de page : la marquise “cultive la langue anglaise” et a “les nerfs délicats”. En effet, personne n'aurait l'imagination assez débridée, proche de la démence à dire vrai, pour inventer deux choses aussi ébouriffantes ! Il faut donc bien que la marquise existe… ou pas. M. Glaudes n'est finalement pas très sûr… il y a du pour et du contre… faudrait voir…
Ce “un coup je te vois, un coup je ne te vois pas”, M. Glaudes, toujours dans sa note de bas de page capitalissime, l'exprime de la manière la plus involontairement savoureuse qui soit : « Ces détails semblent aller dans le sens de la référentialité. Mais ils peuvent être interprétés, contradictoirement, comme un “effet de réel” dans un contexte fictionnel. » En langage de tous les jours : « J'en sais rien, pensez ce que vous voulez. »
Mais, au passage, d'autres questions angoissantes ont surgi, dans l'esprit enfiévré du pauvre lecteur glaudifié. Comment des détails s'y prennent-ils pour aller dans le sens de la référentialité ? D'ailleurs, y vont-ils réellement, puisqu'on nous dit qu'ils semblent y aller ? Sait-on de source sûre dans quel sens va la référentialité elle-même ? Les détails pourraient-lis décider brusquement d'aller dans un autre sens ? Auquel cas, choisiraient-il le sens exactement contraire ou obliqueraient-ils par un chemin de traverse ? Et, s'ils s'aventurent trop loin dans le contexte fictionnel, s'exposeront-ils alors à un méchant effet de réel ? Je défie qui que ce soit, les âmes les mieux trempées, de sortir indemnes d'un tel labyrinthe, dans lequel, en outre, on est menacé de se retrouver soudainement face à face avec une figure du pénis maternel, ce qui est toujours un choc, on s'en doute.
Que ces consternantes fadaises ne vous dissuadent pas de lire Joseph de Maistre, lequel s'exprimait dans une langue qui n'était pas encore passée dans le mortier et sous le pilon de M. Glaudes. Un pilon que l'on pourrait appeler un “glaudmiché”, lequel, par chance, n'est capable d'inquiéter que les mouches. Et encore.
Le pénis maternel apparaît d'autant plus menaçant qu'il est immatériel, n'est-ce pas...
RépondreSupprimerJe me suis bien amusée à vous lire ; ce billet en rejoint d'autres concernant cette si particulière population d'exégètes désormais incontournables, parfois pour le meilleur, trop souvent pour le pire, qui se parent surtout du grand nom de ceux qu'ils sont en charge de commenter.
J'ai acquis le récent volume Bouquins consacré à Octave Mirbeau, parce qu'il offre, comme tout Bouquins qui se respecte, l'avantage de réunir des textes devenus difficilement accessibles. C'est le même sieur Glaudes qui présente l'affaire. Pas encore "ouvert", il est en attente, mais j'avais jeté un œil sur le CV du présentateur et, à première vue, cela ne me disait rien de bon. C'est de pouvoir lire ces autres textes de Mirbeau qui compte.
J'apprends ce matin que notre M. Glaudes a également publié des livres, dont au moins un… aux Belles Lettres ! Jugez de mon désarroi, d'autant que ce livre semble avoir bénéficié des plus élogieuses critiques…
SupprimerPourquoi un tel "désarroi", Parrain ?
SupprimerAuriez-vous contrevenu à un article du contrat vous liant aux Belles Lettres stipulant que vous vous engagez à renoncer à toute critique à l'encontre des auteurs maison, si consternants que puissent être leurs écrits ?
Non, mais enfin, on a naturellement tendance à croire que la maison qui vous a ouvert ses portes a forcément un goût parfaitement sûr, un jugement esthétique à l'épreuve des balles, etc. C'est humain…
SupprimerEt en attendant que vos commentateurs se réveillent, j'ai une petite chanson pour votre universitaire :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=gv7GESoWScI
Je pense que vous avez des tendances masochistes pour vous infliger la lecture du Glaude.
RépondreSupprimerDans la Soupe au chou, on trouve aussi un Glaude, voisin et ami du Bombé, dans le hameau des Gourdiflots.
Ah, mais ce n'est pas de ma faute si c'est lui officie à l'entrée du volume consacré à de Maistre !
SupprimerEt puis, je ne le connaissais pas, moi, ce Glaudes…
Je vais avoir du mal à le battre !
RépondreSupprimerFaites un effort, merde !
Supprimer« Ces détails semblent aller dans le sens de la référentialité. Mais ils peuvent être interprétés, contradictoirement, comme un “effet de réel” dans un contexte fictionnel. »
RépondreSupprimerC’est epoustouflifiant !
Hélène
À ce point, cela devient impossible à parodier.
SupprimerAh, son livre a reçu des commentaires élogieux ? J'en déduis qu'ils sont plusieurs Glaudes à se congratuler mutuellement pour leurs publications. La Denrée devrait les remettre dans le droit chemin.
RépondreSupprimerSi je comprends bien, pour être critique en renom, il faut s'exprimer de façon absconse et inventer même de nouveaux mots si besoin est. Le cinéma n'est pas seul à être moribond.
Barbara
Il y a une explication possible : dans un même corps vivent deux Glaudes (d'où peut-être le s final…), l'un qui écrit des livres intelligents et lisibles, l'autre des introductions et des notes idiotes et jargonnantes. Un Glaude-Jekyll et un Glaude-Hyde, en somme.
SupprimerMoi, je trouve qu'un père qui laisse son pénis dans la forêt d'Atala en compagnie de bébés et d'excréments mérite notre profond respect et ne saurait être en butte aux railleries de gens pour qui le mots générosité, don de soi et abnégation sont dépourvu de sens. Je ne vois de plus dignes que ceux qui laissent leur chemise au casino de Bagnoles-de-l'Orne.
RépondreSupprimerJe reconnais bien là votre légendaire bénévolence !
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