Milan Kundera, 1 avril 1929 – 11 juillet 2023. |
Naître un premier avril ne prédispose guère au sérieux, du moins le suppose-t-on. C'est sans doute pourquoi les deux premiers livres de Kundera furent par lui intitulés Risibles amours (Směšné lásky pour les tchécophones) et La Plaisanterie (Žert). Le fait d'avoir accroché ces deux poissons de papier dans le dos des mafieux communistes qui, à cette époque, mettaient son pays en coupe réglée a bien failli faire tourner la plaisanterie au vinaigre, mais c'était trop tard : Milan se trouvait déjà à Paris. C'est là que, le premier juillet 1981, François Mitterrand fit de lui un citoyen français dûment estampillé, en même temps qu'il rendait un identique service à l'Argentin Julio Cortazar, autre grand plaisantin polygraphe. (Certains, des nauséabondants de la pire espèce, insinuèrent par la suite que ce furent là les deux seules nationalisations réussies du régime socialiste, alors encore dans les langes mais déjà fort virulent dans sa sottise dogmatique.)
C'est dans ces mêmes années quatre-vingt que j'ai lu les romans de Kundera avec passion, me précipitant à la librairie Variétés de Neuilly dès qu'un nouveau était annoncé. Pas de doute : je tenais un grand écrivain. Et puis, du temps a passé. Entre Milan et moi, ce n'était pas encore la valse aux adieux, mais déjà, dans le grand livre du rire et de l'oubli, le second terme avait tendance à prendre toute la place…
J'ai tout relu, pourtant, il y a une quinzaine d'années. Hormis pour ce qui concerne ses essais, L'Art du roman puis Les Testaments trahis, mon désenchantement fut complet. À mes yeux de relecteur, Kundera était devenu un romancier pesant, démonstratif, inutile. Ce n'était pas encore tout à fait la fête de l'insignifiance, mais pas loin. Au point que, lors d'un grand autodafé ultérieur, tous ses livres finirent leur vie à la déchetterie de Saint-Aquilin.
Dans ce cas, qu'est-ce qui a bien pu me pousser, voilà cinq ans, à acheter les deux volumes de la Pléiade qui venaient de paraître et contenaient l'ensemble de l'œuvre rejetée ? Un certain sentiment d'injustice de ma part ? L'oubli de ce que je croyais penser de cette œuvre ? Une volonté de réparation ? La peur de passer pour tchécophobe, ce qui n'aurait fait qu'alourdir mon dossier déjà proche de l'obésité morbide ? Allez donc savoir…
J'ai tout relu. J'avais le temps : j'étais alors un tout jeune et frais retraité. Et j'ai une fois de plus changé d'avis à propos de Kundera. Aujourd'hui, je dirais que ses romans “tchèques” méritent vraiment d'être lus, au moins jusqu'à La Valse aux adieux inclus, mais qu'on pourra sans trop de perte se passer de ceux qu'il écrivit ensuite directement en français. Et on conservera les volumes d'essais, au moins les deux premiers, que j'ai cités plus haut.
Avis définitif ? Opinion gravée au marbre ? Rien n'est moins sûr. La mort de l'écrivain entraîne souvent, au moins chez moi, un resurgissement de son œuvre. D'ici que les deux Pléiade – en tout cas le premier – sautent de leur rayon pour atterrir au salon, il y a moins de kilomètres que du Plessis-Hébert à Brno. Et ce sera peut-être un Kundera inédit qui s'imposera, effaçant d'un revers négligent les trois autres.
Décidément, on ne devrait jamais naître un premier avril.
Vous ne seriez pas un peu versatile, vous, des fois ?
RépondreSupprimerDes fois, oui… Peut-être n'accordé-je pas à mes propres avis tout le respect qu'ils méritent…
SupprimerEt je me demandais, il y a un instant, s'il pouvait en aller de même avec les philosophes : peut-on, à un certain âge, admirer sans condition l'œuvre de tel ou tel, puis, dix ou vingt ans plus tard, le considérer comme "inutile et incertain", comme disait l'autre. Quitte, encore une ou une deux décennies ensuite, à revenir à lui et à lui trouver une profondeur, des attraits qui nous avait échappé lors des précédentes lectures, y compris la plus enthousiaste ?
SupprimerJe ne peux pas vous répondre : j'admire tous les philosophes (je ne parle pas des vivants). Même Sartre, c'est dire.
SupprimerC'est ça le problème, avec les philosophes : ils ne répondent jamais aux questions qu'on se et leur pose…
SupprimerPuisqu'on en est là, si vous considérez que votre fidèle lectorat est tenu d'être dument informé que vous avez changé trois d'avis sur M. Kundera, pourquoi donc n'iriez vous pas plus loin, jusqu'à nous exposer les raisons de ces revirements successifs, et le fond de votre jugement actuel ? Peut être que vous même n'en savez rien, peut être que cela est le signe de l'inéluctable évolution des opinions au cours de la vie, l'engouement de la jeunesse, suivi par le rejet de la maturité, et la réconciliation des contraires pour la troisième voie de la vieillesse...
SupprimerVotre explication me semble excellente : adoptée !
SupprimerDG
Je me disais bien que j'aurais mieux fait de me taire !
SupprimerPour ma part, je pensais qu'il était déjà mort (en fait je m'en fous).
RépondreSupprimerDans les réseaux sociaux, tout le monde lui rend hommage (en ne parlant que de l'insoutenable légèreté de l'être), c'est grotesque. Moi, j'ai mis de l'ail dans mes pommes de terre sautées, ce qui n'a rien à voir mais est sans doute aussi important.
J'avais pas relevé le titre du billet. C'est une honte (pour moi).
SupprimerLes imbéciles parlent de ce roman-là (très loin d'être parmi les meilleurs de son auteur) simplement parce qu'ils ont vu le film ridicule qui en a été tiré. Enfin, je le soupçonne.
SupprimerQuant aux pommes sautées, il y faut évidemment de l'ail. sinon, c'est péché.
Un mordu de cyclisme comme vous !
SupprimerHeureusement que vous parlez de cyclisme parce que, bien qu'ayant lu le titre, je n'avais pas "percuté". Mea (maxima) culpa...
SupprimerIl fallait bien vous mettre sur la piste…
SupprimerCyclable, la piste.
Supprimer...désolé...
Vous n'étiez pas obligé de souligner à gros trait ma remarque tout en finesse et légèreté !
SupprimerJe crois que ce qui vous a poussé à acheter d'un coup deux Kundera dans la belle collection c'est probablement la survenue inattendue d'un pécule ou bien un ticket à gratter gagnant. Mais je confirme un peu le propos Kundera c'est bien et c'est pas bien.
RépondreSupprimerNon, non, non : je n'ai jamais attendu d'avoir de l'argent pour le dépenser !
SupprimerJe confirme ! Moi
Supprimerje pensais certaines citadelles imprenables, mais faut croire que pour le cas Kundera, c'est du "en même temps" aussi pour vous, je suis d'ailleurs certain que Macron ira de son petit couplet sur l'ami tchèque(tchécoslovaque?) pour encore passer pour un homme de culture et nous dire combien le droit d'asile est une réussite. Que dire!! je ne l'ai pas assez lu sinon qu'il me vient assez souvent à l'esprit lorsqu'on a certaines actualités, je me réfère souvent à la Plaisanterie, il n'y a par exemple dans notre époque, aucun second degré possible, tout sera pris au sérieux et sévèrement puni, l'insoutenable légèreté de l'être est à mon avis un bon exemple de notre époque, le soucis n'est pas la légèreté, mais la pesanteur, la gravité, la lourdeur des gens...au présent son roman devrait s'intituler l'insoutenable pesanteur des êtres qui illustre l'impossible second degré, évoqué plus haut!!...Mais puisque vous parlez de Cortazar, j'avais une amie sud-américaine, dont c'était l'auteur fétiche, elle me récitait certains de ces poèmes en Espagnol et avait Rayuela (marelle) comme livre de chevet.
RépondreSupprimerJ'ai dû lire "Marelle" deux ou trois fois, ces cinquante dernières années ! Mais je conseillerais plutôt d'aborder Cortazar par ses nouvelles : "Octaèdre", "Tous les deux le feu" ou encore "Façons de perdre".
SupprimerOn les trouve en recueils séparés chez Gallimard, mais aussi réunies en un seul gros volume "Quarto".
DG
Tous les feux le feu, bon sang ! (Saloperie d'iBigo...)
Supprimer