Le journal est vivant, mais que de morts on y croise ! Je ne parle pas des disparus de corps : ils le sont évidemment tous. Je parle des morts littéraires. De tous ces gens de lettres devenus armée des ombres. Certains sont encore vaguement connus de nom. D'autre même pas, qui n'existent plus que par un fil : celui, justement, qui les relie à ce journal léautaldien. Pourtant, tous ont écrit et publié ; ils ont eu des ambitions, se sont agités, poussés, autopromus ; ils ont obtenu des prix, des médailles, des prébendes, parfois même des ambassades. Et que reste-t-il d'eux ?
Lors de cette nouvelle relecture, j'ai pris une nouvelle habitude : chaque fois qu'apparaît entre les pages l'un de ces fantômes, je demande à Dame Ternette de me renseigner sur sa situation, de me fournir en quelque sorte ses états de service. Quatre fois sur cinq, sa réponse est un couperet : gloire et renom sont tombés en poussière, poussière elle-même invisible, et aucun des multiples livres de l'écrivain visé par ma recherche n'a été réédité depuis sa mort physique. Pas un. Parfois, on trouve tout de même certains de leurs ouvrages dans des éditions séculaires, comme cryogénisés dans l'une ou l'autre des nombreuses catacombes de l'occasion qui se sont creusées à notre époque. Mais qui pour les décongeler et les lire ?
C'est ainsi que ce journal, si vivant en lui-même, se met à prendre des allures de cimetière à gens de plume. Ses trois tomes sont des stèles et ses pages une nécropole. La nécropole Léautaud, du nom de son intuable gardien. Voici ce que j'en disais en 2015, lors d'une précédente relecture :
Enchantement intact ! Chaque paragraphe y déborde de vie, le quartier de l'Odéon s'anime, les rues de Paris s'emplissent de cris, d'odeurs, du bruit des voitures à chevaux, des appels des marchands ; on croise Vallette et Gourmont, Rachilde et Van Bever, Charles-Louis Philippe ou Paul Valéry, Apollinaire et Carco, Gide, Gallimard et Paulhan ; eux aussi vivent leur existence à pleine force ; un monde entier, géographiquement restreint certes, sort tout bruissant de ces pages, donnant l'impression au lecteur qu'il lui suffirait de quitter son fauteuil et de faire un pas en avant pour y pénétrer physiquement et sans retour.
Et s'il y a une personne qui ne me pardonnerait pas le moindre retard de gamelle, la plus courte rétention de croquettes, c'est bien Léautaud.
RépondreSupprimerEh oui, en effet...
Belle chute !
Catherine m'a dit la même chose...
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Oui mais c’était quand vous vous êtes cassé la gueule en sortant de la baignoire.
SupprimerJe n'ai même pas de baignoire !
SupprimerDG
Le Journal de Léautaud est vertigineux. L'absence d'artifice dans le style laisse transparaître la personnalité de l'auteur, exactement le contraire de ce que les faux amateurs de littérature attendant d'elle. C'est d'ailleurs un thème de réflexion chez Léautaud, cette volonté d'écrire exactement ce que l'on veut dire, sans simagrées.
RépondreSupprimerC'est bien pour cela, je pense, qu'il demeure aussi vivant. Il donne envie, par moment, d'interpeller Léautaud, de lui apporter telle ou telle contradiction, comme si lui-même l'était aussi, vivant.
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... et rien sur Pierre Perret?
RépondreSupprimer(je n'ai guère lu Léautaud, mais le connais via ses liens avec le chanteur)
Des "liens" fortement discutables : Léautaud, qui s'étendait longuement, chaque soir dans son journal, sur ses rencontres de la journée, ne fait aucune mention, pas une seule fois, d'un certain Pierre Perret...
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Oui, j'ai eu vent de cette affaire, relatée par "Le Nouvel Observateur. Cela fit pas mal de foin...
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