samedi 30 janvier 2010

Disparition puis réapparition du maître de ces lieux

Je m'évanouis de la blogosphère pour aller musarder et festoyer quelques jours dans le monde réel. Je devrais faire ma réapparition dans la soirée de mardi – voire mercredi en cas de grosse fatigue alcoolisée. D'ici là, vous pourrez toujours avoir de nos nouvelles en ouvrant le journal.

vendredi 29 janvier 2010

Alzheimeeer, nous voilààà !

Il n'y a pas une demi-heure, l'Irremplaçable et moi arrivions sur le parking du Super U de Saint-Aquilin, que le département entier nous envie. Le but était de faire le plein d'eaux minérales diverses, con gas y sin gas (ou con gas et maracas, pour les fans de Starshooter...). Ainsi que d'une flasque de whisky pour elle et d'une mominette de pastaga pour moi, afin de fêter dignement nos mini-vacances : départ demain matin pour Strasbourg, retour mardi après crochet par les Ardennes.

Arrivé là, une envie irrésistible me saisit de fourrer sans plus attendre dans le disque dur de Roselyne l'adresse de mes parents. Ce que nous faisons avec un certain nombre de tâtonnements, tout en laissant tourner le moteur pour continuer d'avoir chaud aux pieds. L'affaire faite, nous allons vaillamment pousser le chariot.

Lorsque nous ressortons, je constate d'abord, d'assez loin, que cette écervelée de Roselyne a oublié d'éteindre les phares, ce qu'elle est censée faire dès que j'ai le dos tourné. M'approchant, je suis obligé d'admettre qu'elle a aussi omis de replier les rétroviseurs. Mes sourcils se froncent, je suis à la limite du sévice carrossier. Jusqu'à ce que je réalise que j'ai quitté la voiture sans couper le contact. Si bien que, durant une vingtaine de minutes, ma jolie voiture toute neuve a gentiment attendu, prête au départ, qu'un malfaisant quelconque daigne venir s'asseoir au volant et l'enlève telle une flamboyante gourgandine. Légère sueur froide rétrospective.

Là-dessus, nous voyant ouvrir le coffre, l'homme qui se trouvait dans la bagnole garée nez à nez avec la nôtre descend, s'approche, sourit, et nous explique que, s'étant aperçu que le moteur de cette voiture délaissée tournait, il s'était rangée en face pour attendre patiemment que ses propriétaires reviennent.

Comme le chantait Brassens, il reste encore du monde et du beau monde sur terre...

N'aie pas peur, ma grande !

À Polluxe, parce qu'on n'est pas chien...

Ce matin, entre premier et second cafés, j'ai trouvé ceci dans le journal des Goncourt, à la date du 14 février 1863, sans d'ailleurs que les deux frères ne semblent s'aviser que leur anecdote – à propos d'une demi-célébrité de l'époque dont la virilité partait sérieusement en quenouille – collait très bien, quoique par antiphrase si l'on veut, avec le saint du jour :

Nous citons le mot de Grassot à sa queue qui se dérobe : « Que t'es bête ! Viens donc, c'est pour pisser ! »

La citation intervient au milieu d'une conversation des plus raides entre nos deux frères, Sainte-Beuve, Flaubert, Claretie, Gavarni et quelques autres, comme il en fourmille dans le journal. On parle beaucoup de cul et de littérature, passant facilement de l'un à l'autre au gré des bouteilles qui se vident, dans ces fameux “dîners Magny”, tirant leur nom du restaurateur de la Rive Gauche qui abritait les agapes.

Le premier eut lieu en 1862, le 22 novembre très précisément, et Jules de Goncourt en rend fidèlement compte dans le journal qui nous occupe. Flaubert s'y adjoindra dès le 6 décembre (il s'agissait d'un dîner hebdomadaire). Plus tard y passeront Théophile Gautier, Hippolyte Taine, Renan, Tourgueniev, d'autres encore. Il s'agit de dîners d'hommes où l'on parle de femmes – comme dans la plupart des dîners d'hommes. La seule personne du sexe qui y fut jamais admise ne l'était qu'à moitié, femme, si l'on en juge par son nom : George Sand. On peut supposer que, lorsque la bonne dame de Nohant était présente, les autres mettaient tout de même un léger bémol à leurs propos obscènes et orduriers, mais rien n'est moins sûr : je vous tiendrai au courant, au fil de ma lecture...

jeudi 28 janvier 2010

Törless et la comtesse

Les soirées passées devant la télé se suivent (mais que pourraient-elles faire d'autre ?) et ne se ressemblent pas toujours – ce qui est heureux car, la plupart du temps, n'est-ce pas...

Grand cru, hier soir, et même double. En prim-tim, comme il paraît que l'on doit désormais dire mais non écrire, Les Désarrois de l'élève Törless, le premier film de Volker Schlöndorff (1966) , adapté du premier roman de Robert Musil (1906). (Il est curieux de noter que l'écrivain et le cinéaste, lorsqu'ils se sont penchés sur ces désarrois-là, avaient exactement le même âge : 26 ans.)

Je n'ai jamais lu le roman de Musil. Acheté il y a environ deux ans, je l'avais d'abord feuilleté, comme il m'arrive, avant de le commencer vraiment. Je l'avais laissé tomber après quelques dizaines de pages, non qu'il me déplût, mais pour des raisons extérieures, contingentes, dont je ne conserve aucun souvenir. Néanmoins, je crois pouvoir hasarder que le thème de l'homosexualité est traité de manière plus explicite chez Musil, et plus allusive – mais tout de même très fortement allusive – chez Schlöndorff. Problème de censure peut-être ? Ou de prévention de cette même censure...

Ce qui m'a davantage frappé et intéressé dans le film, ce sont tous les thèmes “girardiens” qui s'y donnent à voir. La scène où Basini, la victime expiatoire de tous les désirs diffus qui prolifèrent au sein de ce groupe d'élèves, est cerné par tous les autres qui, disposés en cercle autour de lui, se le renvoient d'une manière de plus en plus violente avant de le pendre par les pieds, ressemble en tout point au meurtre fondateur, au lynchage du bouc émissaire, au pharmakos tel que souvent décrit et étudié par René Girard. Et il produit en gros le même effet “bénéfique” : les élèves qui n'étaient au départ qu'une sorte de conglomérat indifférencié se soudent soudain en une véritable communauté, lorsqu'il s'agit de s'unir pour faire face aux autorités collégiales – communauté véritablement et directement issue du meurtre (virtuel certes, joué, représenté) de Basini.

Vertigineuses aussi les réflexions auxquelles aboutit Törless sur la banalité du Mal et l'interchangeabilité des victimes et des bourreaux, leur parfaite identité, qui annoncent à la fois le nazisme, Raul Hilberg, Hanna Arendt, ainsi peut-être que la rage judiciaire et pénale des combattants du Bien et de la Pureté qui pullulent aujourd'hui.


Après cet intense “moment de cinéma”, nous avions prévu de regarder je ne sais plus trop quelle daube hollywoodienne. Mais, comme nous disposions de vingt-cinq minutes de battement, j'ai émis le souhait de revoir le début de La Comtesse aux pieds nus, de Mankiewicz (du diable si je saurai jamais écrire son nom, à celui-là !) Naturellement, au bout d'un quart d'heure, il ne fut plus question de changer de chaîne, tant est grande la puissance d'envoûtement de ce film cruel et triste, même quand on le connaît par cœur.

Quand on croit le connaître par cœur : la construction en est si complexe, ou en tout cas subtile, la matière à la fois si riche et si fluide, qu'il y aura toujours des scènes, des plans, des répliques qui passeront à travers le filet de la mémoire et rendront le film intact à la vision suivante.

Et demeure toujours la même question : le comte Torlato-Favrini aime-t-il réellement Maria Vargas, lui qui n'hésite pas à l'épouser sans l'avertir au préalable de son impuissance, uniquement pour pouvoir accéder un jour, post mortem et avec elle, à la galerie de portraits des aïeux ?

mercredi 27 janvier 2010

Notes sur les frères Goncourt (I)

Je suis plongé depuis une grosse semaine dans le journal des Goncourt. Plongé n'est d'ailleurs pas le terme exact : j'ai l'impression de davantage le parcourir que de le lire. Par exemple, je survole très rapidement, ou même saute carrément, les minutieuses descriptions d'intérieurs, poussées jusqu'à la maniaquerie, où pas un bibelot, pas un bout de tapis ne doit échapper. Les considérations sur les femmes, les sempiternelles plaintes à leur sujet, à propos de leur “putanisme” ont elles aussi vite fait de tourner à la rengaine un peu vide.

M'intéressent bien davantage les Scènes de la vie parisienne qui se tissent page après page, le tableau des mœurs éditoriales et journalistiques qui s'élabore au jour le jour, sorte de version feuilletonnesque de ce que Balzac a si magistralement ramassé dans la deuxième partie de ses Illusions perdues.

Et justement, à propos de Balzac. Il y a une dizaine de jours, dans un billet, sortant à peine des Splendeurs et misères, j'esquissais un court (trop court...) parallèle entre Hugo et lui, partant de leurs deux figures de forçats, Vautrin et Valjean, et concluant au net avantage de Balzac. Je n'ai donc pas été fâché, cet après-midi, de lire ceci, sous la plume des deux frères (mais plus probablement sous celle de Jules), à la date du 25 avril 1862 :

« Une grande déception pour nous, Les Misérables d'Hugo. J'écarte la morale du livre : il n'y a point de morale en art ; le point de vue humanitaire de l'œuvre m'est absolument égal. D'ailleurs, à y bien réfléchir, je trouve assez amusant de gagner deux cent mille francs, – qui est le vrai chiffre de vente – à s'apitoyer sur les misères du peuple !

« Passons et venons à l'œuvre. Elle grandit Balzac, elle grandit Eugène Sue, elle rapetisse Hugo. Titre injustifié : point la misère, pas d'hôpital, prostitution effleurée. Rien de vivant : les personnages sont en bronze, en albâtre, en tout, sauf en chair et en os. Le manque d'observation éclate et blesse partout. Situations et caractères, Hugo a bâti tout son livre avec du vraisemblable et non avec du vrai, ce vrai qui achève toutes choses et tout homme dans un roman par l'imprévu qui les complète. Là est le défaut et la misère profonde de l'œuvre.

« Pour le style, il est enflé, tendu, court d'haleine, impropre à ce qu'il dit. C'est du Michelet de Sinaï. – Point d'ordre : des demi-volumes de hors-d'œuvre. Point de romancier : Hugo et toujours Hugo ! De la fanfare et point de musique. Rien de délicat. Une préméditation du grossier et de l'enluminé. Une flatterie, une caresse de toutes les grosses opinions, un saint évêque, un Polyeucte bonapartiste et républicain ; des soins lâches du succès qui vont jusqu'à ménager MM. les aubergistes.

« Voilà ce livre ouvert pour nous comme un livre de révélation et fermé comme un livre de spéculation. En deux mots, un roman de cabinet de lecture écrit par un homme de génie. »

Qu'il y ait des excès dans cette critique “à chaud” – le roman venait tout juste de paraître –, c'est certain : “court d'haleine” me paraît bien sévère. Mais, à côté, l'adjectif “enluminé” me semble d'une justesse parfaite.

De toute façon, il ne faut pas chercher de critiques posées ni d'opinions raisonnées chez les frères Goncourt. Ou bien, s'il s'en trouve, c'est au milieu de dizaines de jugements à l'emporte-pièce (la charge furieuse contre Ingres !), parfois dictés par ce qui pourrait bien être, et qui est presque à coup sûr, la jalousie et l'aigreur : les différentes esquisses du portrait de Flaubert par exemple, ainsi que les jugements sur ses livres. C'est en effet l'un des leitmotivs de ce journal : ses auteurs ne sont pas reconnus à leur juste valeur – qu'ils placent très haut –, ils sont nés par malheur dans un siècle où tout ce qui est grand est rabaissé, et tout ce qui a du succès est vil et compromis.

Il reste que ces trois mille pages (dont j'achève tout juste le premier tiers) fourmillent de notations crues, voire cruelles, mais qui “sonnent ” juste, sur les sommités journalistico-littéraires de la seconde moitié du siècle. En tant qu'écrivain en bâtiment, je ne pouvais évidemment rester insensible à ce que les Goncourt écrivent du plus célèbre et talentueux d'entre nous : Ponson du Terrail (19 juin 1861) :

« On aperçoit, passant modestement, le profil de Ponson du Terrail, avec, à l'horizon, sur le boulevard, son dog-cart et son cocher, la seule voiture d'homme de lettres roulant sur le pavé de Paris. Le pauvre garçon, au reste, la gagne assez et par le travail et par l'humilité de la modestie. C'est lui qui dit aux directeurs de journaux où il a un immense roman en train : “ Prévenez-moi trois feuilletons d'avance, si ça ennuie le public ; et en un feuilleton, je finirai. ” On vend des pruneaux avec plus de fierté. »

Être feuilletoniste pour les journaux, si ces derniers publiaient encore des romans en feuilleton, voilà qui conviendrait à merveille, il me semble, à ma trop fâcheuse propension à ne me mettre au travail qu'en dernière extrémité – et je crois que j'aurais bien aimé cela.

On y parle aussi, dans ce journal, énormément des femmes, sur un ton froidement misogyne très “d'époque” et avec un penchant pour les histoires de "lorettes”, d'actrices et de putains, lesquelles sont très souvent les mêmes, soit tour à tour, soit en même temps : pas de quoi enthousiasmer nos féministes. Cela étant, les hommes ne sont guère mieux traités, surtout s'ils sont “du peuple”, ce qui va nous mettre également les socialistes à dos. Et j'en terminerai pour aujourd'hui avec cette anecdote (27 décembre 1860) :

« Je tombe, en feuilletant un livre, sur ce mot sublime, à noter dans notre pièce de la Révolution. Le peuple criant : “ À la guillotine ! à la guillotine ! – On y va, canaille ! ” dit une marquise. »

Où l'on voit quels mauvais instincts Edmond et Jules flattent en moi.

mardi 26 janvier 2010

Chiens & chats, idées reçues (sans examen)

Suite à mon burlesque appel d'hier, L'Hérétique à eu la gentillesse et l'humour d'écrire ce matin un court billet dans le seul but de faire grimper La Meute des gâteux au classement zoophilo-wikiesque. Qu'il en soit remercié, d'abord : on n'est pas des bêtes, nous. Il y prend vigoureusement la défense des chats et, fatalement, ses commentateurs se ruent à poings fermés bouche-que-veux-tu couilles rabattues, enfin ils se précipitent dans l'éternel combat des cynophiles et des félinophobes – lequel inclut évidemment son exact contraire. Faisant partie des gens qui possèdent cadors et matous, je ne me suis senti nullement tenu d'y participer. D'autant que je le trouve de peu d'intérêt et le sais sans issue. Néanmoins, il ne me semble pas inutile de relever une idée reçue, au moins parce qu'elle est en fait une totale contrevérité.

Deux ou trois des commentateurs de L'Hérétique reprennent en effet la vieille antienne selon laquelle il serait “criminel” d'avoir des chiens en ville (je suppose qu'ils veulent dire "en appartement”), cependant que le chat, lui, y serait parfaitement adapté. C'est tellement peu vrai que c'est en fait tout le contraire.

Le chien est essentiellement un animal de meute – c'est même pour cela que ses détracteurs lui reprochent ce qu'ils croient être sa soumission quand ce n'est pas sa servitude volontaire : anthropomorphisme quand tu nous tiens... À ce titre, pour son équilibre, sa tranquillité et, soyons anthropomorphe nous-mêmes durant une seconde, son bonheur, il importe qu'il soit le moins possible éloigné de son “chef de meute”, en l'occurrence son maître bipède. Par conséquent, que ce maître vive dans un deux-pièces sur cour rue de Clichy (je fais misérable exprès...) ou sur trois mille hectares de prés, bois et étangs au cœur de Sologne, son chien s'en battra allègrement la truffe. Poussons jusqu'au paradoxe apparent : le chien de pauvre de la rue de Clichy sera plus épanoui et mieux équilibré – pour peu que son maître l'emmène partout avec lui dès qu'il sort – que le châtelain solognot que le sien laissera seul du matin à la nuit au milieu de ses hectares.

En revanche, s'il est un animal que la nature et le grand large fascinent, c'est bien le chat. Tout félinolâtre ayant déménagé de la ville à la campagne vous le confirmera : lorsque loisir lui est donné d'aller et venir à son gré, le petit bibelot de coussin se transforme rapidement en un coureur de bois et de granges – et il ne se passe généralement pas plus de trois mois avant que son maître ne le revoie plus chaque jour (et encore...) qu'à l'heure des croquettes. On notera du reste que le fait qu'il revienne quotidiennement mendier sa gamelle plaide assez mal en faveur de cette fameuse “indépendance” dont les chats sont censés faire preuve.

Mais, évidement, chacun a compris depuis longtemps que lorsqu'il trouve le chat attirant, mystérieux, fascinant, indépendant, fier, voire rebelle, c'est en réalité lui-même que son maître contemple dans le miroir, mon beau miroir.

lundi 25 janvier 2010

Des liens, bordel, des liens ! (Appel à toute la blogosphère)

Une très-charmante Madame Wikio vient d'apprendre à l'Irremplaçable, par voie de mail, que son blog, La Meute des gâteux, était 5e au classement "animaux” et 6000 et quelques-ième au général Miko : c'est intolérable ! Intolérable et atrocement injuste de penser que quatre gargotes sans doute malpropres et pas drôles parviennent à faire de l'ombre à notre petit palais cynolâtre. Nous venons de nous faire à nous-mêmes le serment imprescriptible de ceindre la couronne de César dès le prochain classement : il y va de l'honneur de la meute.

Par conséquent, je lance solennellement cet appel, bref mais un tantinet comminatoire, à tout ce que nous comptons comme amis dans la blogosphère – et même à mes ennemis, au moins aussi nombreux :

DES LIENS, BORDEL, DES LIENS !

Nous devons passer en tête, pulvériser la concurrence, écraser l'infâme ! Et nous comptons sur vous tous : ensemble, tout devient possible.

dimanche 24 janvier 2010

Vive le blogomôme day !

Les blogomômes ne sont pas des enfants méchants ; pas même spécialement turbulents. La plupart du temps, ils jouent tranquillement dans leurs petits bacs à sable respectifs, avec leur blogoseau et leur blogopelle, à faire des blogopâtés antifascistes. Mais parfois – vous savez comment sont les enfants, n'est-ce pas ? – l'ennui les gagne, et ils deviennent alors rapidement concasse-burettes. Une seule solution dans ces cas-là : les réunir et les emmener tous ensemble au centre aéré afin que leur soient proposées des occupations nouvelles, des activités d'éveil blogoludiques destinées à titiller leur fibre citoyenne et résistante.

Le prochain centre aéré aura donc lieu le 27 mars prochain. Si vous avez, chez vous, dans votre famille, parmi vos amis ou voisins, un blogomôme présentant l'un ou plusieurs des symptômes répertoriés par la faculté, n'hésitez pas à l'inscrire : un peu de thérapie manifestante ne pourra lui faire que du bien. Pour vous aider à poser votre diagnostic, voici quels sont les principaux symptômes pouvant être présents chez le sujet :

– Il croit vivre dans une terrifiante dictature auprès de quoi le Chili de Pinochet ressemble à une garderie Ikéa.

– Il répond “chouette, j'ai très faim !” lorsque vous criez par la fenêtre de la cuisine : “Jean Moulin, à table !”

– Tous les matins, devant son bol de céréales, il invoque la déesse Laïcité, mais s'insurge si l'on prétend interdire à des foules entières de barrer les rues par leurs prières.

– Il s'égosille qu'il veut davantage de démocratie, mais trouve nauséabond que l'on puisse seulement l'envisager “directe”, à la mode helvète. (L'utilisation répétée et mécanique du mot “nauséabond” constitue déjà en soi un symptôme qu'il convient de ne pas prendre à la légère.)

– Il adore crier “NON !”, alors qu'on ne lui a encore posé aucune question.

– Prononcées devant lui, et l'une à la suite de l'autre, les trois syllabes sar, ko et zy déclenchent presque immanquablement une crise d'épilepsie à injection, parfois même bi-turbo.

Il y a encore d'autres symptômes, dont certains très divertissants, mais ceux-là sont les principaux, les plus agissants, et devraient vous suffire pour repérer les sujets infectés par le virus du blogomôme day.

Rappelons donc que, le 27 mars prochain, des centre aérés seront ouverts dans toute la France, principalement devant les préfectures et les mairies. Les organisateurs recommandent aux parents de munir leurs enfants d'une gourde et d'un quatre-heures, car il n'est pas certain que le ravitaillement puisse être assuré. (Il y aura néanmoins de nombreuses gourdes dans les cortèges.)

Enfin, il est possible qu'une grande cavalcade baptisée “Les petits maquis et les damnés de l'alter” puisse être organisée en fin de session, si le CBL – Collectif des blogomômes en lutte – parvient à convaincre les Diversjeunes de quitter leurs propres centres aérés suburbains pour venir se joindre à la farandole. En cas de réussite de ce projet, il serait alors conseillé aux blogomômes en lutte de se munir de casques de cycliste renforcés (mais tout de même fluos : c'est la fête avant tout) et de tee-shirts en kevlar.

TOUS ENSEMBLE, NOUS ABATTRONS L'HYDRE !

samedi 23 janvier 2010

Quelques excuses et une vraie joie

Bon, je le reconnais, j'ai été en dessous de tout, hier : les commentaires sont tombés comme à Gravelotte sur mes deux précédents billets, les noms d'oiseaux ont fusé allègrement, et moi, comme un grand lâche, un gros péteux, je ne me suis mêlé de rien : Dorham et Tonnégrande ont bien raison de me tailler gentiment quelques croupières...

Voilà pour les excuses. La grande joie, c'est un jeune facteur barbu et néanmoins souriant qui me l'a procurée il y a environ une demi-heure, en me remettant deux toiles d'Olivier Deprez, soigneusement empaquetées et indéniablement superbes. La première est celle qui me sert ici d'illustration, la seconde... eh bien, la seconde, je n'ai pas réussi à la trouver sur son blog : vous la découvrirez lorsque l'Irremplaçable l'aura prise en photo. À tout hasard, je signale aux aimables pèlerins passant par ici qu'il en existe bien d'autres, des toiles, et qu'il est tout à fait simple d'en faire l'acquisition...

Il reste maintenant à encadrer ces deux œuvres, ce qui sera le travail de Catherine, qui a fait encadreuse quand elle était petite et québécoise, puis à les accrocher au mieux de nos possibilités – ce qui sera également le travail de Catherine, étant pour ma part, et comme nul n'en ignore, doté d'un solide goût de chiottes en matière d'accrochage.

jeudi 21 janvier 2010

C'est la gloire, Pierre-François !

Il y a une vingtaine de minutes, alors que, vautré dans le canapé du hall, je parcourais d'un œil vaguement dégoûté le Vieil Observateur de la semaine, je me fais soudainement aborder par un homme avec qui j'ai déjà échangé quelques propos, à plusieurs reprises. Un homme que j'aime bien pour au moins une raison : comme il a plus de ventre que moi, lorsqu'il traverse le hall j'ai durant cinq à dix secondes la délicieuse impression d'être mince. Mais bref. Comprenant qu'il souhaitait me parler, je commence par faire taire sa gueule au iPod ainsi qu'à Ludwig van qui, à l'intérieur, braillait comme un sourd.

Et que m'apprend cet homme charmant ? Que je dispose d'un véritable fan club au second étage (j'usine quant à moi au quatrième), des gens, hommes et femmes qui, me précise-t-il, “vous lisent toute la journée” – j'espère pour eux qu'il n'a pas transmis l'information au patron de ces malheureux. Surpris et sottement flatté, je lui demande alors si ces admirateurs anonymes savent que le Didier Goux du blog et le bedonnant quinquagénaire qui fait semblant de lire dans le canapé pour mieux mater le cul des filles qui passent sont une seule et même personne. « Oui, bien sûr, me répond-il, mais ils sont trop timides pour oser vous parler ! » Fichtre ! je suis donc bien effrayant ? D'un autre côté, il est tout à l'honneur de ces personnes de ne pas vouloir déranger un homme qui lit, du surcroît avec des écouteurs dans les oreilles. Mais enfin, une fois de temps en temps, j'accepterais volontiers l'hommage de leurs dévotions respectueuses, moi ! Simplement parce que les lauriers me vont bien au teint, si j'ose me risquer dans le calembour approximatif.

Par curiosité, en reprenant l'ascenseur, j'ai regardé qui œuvrait au second étage : “Direction des technologies, abonnements, pub.” Diable ! Abonnements et pub, je crois bien que je comprends, ; mais “direction des technologies”, quoi t'est-ce ? Quand vous avez besoin d'une technologie et que vous ne savez pas où elle est, vous allez les voir et ils vous indiquent dans quelle direction porter vos pas ? Non, il doit y avoir autre chose...

N'empêche que me voilà vedette, mes drôles ! Et je me rends bien compte de la lourde responsabilité qui vient de me choir sur les endosses. À partir de maintenant, plus question d'écrire n'importe quoi : le deuxième étage nous regarde...


(Le titre de ce billet m'a été aimablement fourni par Gabriel Matzneff.)

mercredi 20 janvier 2010

Bounty toi-même, connard !

Quoi qu'il se passe, arrive, advienne, l'affaire est entendue : nous avons tort. Je le savais. Je savais qu'on allait me balancer ça à travers la tronche. Quoi ? Un truc comme le commentaire de ma trollette, Passante, à lire ici. Passante est très bien, indispensable même : quand elle s'est exprimée, on sait ce qu'on DOIT penser.

Par exemple, là, elle est furax. Qu'un Africain, un véritable Africain, dise des choses qui lui défrise le poil des jambes (et je reste correct), ça, elle ne supporte pas. Ce serait juste moi, tout irait bien : je serais simplement un gros con raciste, idiot, nauséabond, aussi nauséabond que les heures nauséabondes de notre histoire la plus nauséabonde-qui-ne-la-concerne-pas. Du coup, la Passante du perpétuel Sans-Souci resterait assez zen, je la conforterais dans l'image amusante qu'elle a de moi, d'elle, du monde qui l'a enfantée.

Malheureusement, ces immondices que j'ai reproduits ici même, c'est un Africain qui les a écrits. Et un ambassadeur en plus ! et un intellectuel, en plus plus. Merde ! C'est qui, ce gros con qui ose prétendre que toute la faute n'incombe pas toujours, peut-être, à ce fameux homme blanc si pratique ? Sans déconner, qui est ce trublion très foncé qui, se foutant visiblement des trémulations génitales de Passante, Céleste, OH ! et d'autres, ose s'adresser à ses frères africains (si tant est qu'il les considère comme ses frères, ce qui est rien moins que prouvé) en les secouant comme des pruniers indolents, en leur jetant à la face des choses désagréables – et qui doivent être aussi désagréables pour lui-même ?

Mais qui est-il, ce sale con de nègre ? Comment peut-il oser contredire nos vaillantes passantes, qui savent de tout temps la vérité du monde ? De quel droit, ce salopard, stigmatise-t-il ces pauvres noirs que, nous autres, parce que nous continuons à les mépriser comme nos arrière-grands-pères à casque colonial, exonérons systématiquement de tout ce qui peut leur arriver ? Est-ce qu'il ne voit pas, le gars André, que, du petit négrillon toujours enfantin de Tintin au Congo, jusqu'à la figure pseudo-christique de l'Africain d'aujourd'hui, il n'y a finalement aucune solution de continuité ? Eh, si, justement, il le voit très bien ; et il le dit. Et c'est bien ce que personne ne lui pardonne. Il est trop con, ce nègre : il ne tape pas sur l'homme blanc ! il essaie de réfléchir, de voir un peu plus loin ! Si on le connaissait personnellement (et on serait assez pour), on se dirait qu'il n'existe que pour renvoyer aux poubelles de l'histoire nos Passante, Céleste, OH !...

Mais il y a peu, très peu de chance que notre ambassadeur ait connaissance de l'existence de ces trois petits crétins. C'est logique : il a autre chose à faire dans sa vie que de dorloter ces trois connards. Il a notamment à faire ceci : écrire un texte par lequel il appelle ses "frères africains" à se lever, il lance un appel à la fierté ; pas mal, non ?

Eh bien, si, c'est très mal. Passante trouve que c'est très mal. Passante n'aime pas du tout qu'un Africain dise du mal de l'Afrique. Passante aime que les Africains s'expriment à condition qu'ils disent ce qu'elle attend d'eux : que tout est de la faute de l'homme blanc.

De l'homme blanc, mais pas de la femme blanche, attention ! Si le monde avait été bidouillé par cette crétine de Passante, il va de soi qu'il n'y aurait jamais eu la moindre guerre !

Et alors, Passante, cette conne malheureuse, a le mot : Bounty. C'est très pratique, "bounty" : c'est un homme (ou une femme) noir à l'extérieur et blanc à l'intérieur, si j'ai bien compris. Soit, un noir qui, parce qu'il dit une certaine vérité, devient un allié des blancs. Ça permet, cette notion absurde, aux petits crétins blancs, de se faire croire à eux-mêmes qu'il peut en effet y avoir des hommes noirs à l'extérieur et blancs à l'intérieur ; idée stupide, idée de crétin d'hommes de gauche. C'est très utile pour les connards du genre Passante, ou Céleste, ou n'importe qui d'autre. Ça permet de renvoyer tout le monde, noir ou blanc, dans les poubelles de l'histoire, d'une histoire que ces cons ne veulent même pas voir.

mardi 19 janvier 2010

Suprême de brigade sauce mondaine : la recette

Ingrédients :

– Cinq walkyries de belle prestance, mais point trop exclusivement hétéros (préférez les walkyries de plein air aà celles élévées en batteries, plus molles et dont la chair se réduit à la cuisson).
– Un diplomate férocement jaloux, imbu de lui-même, indécrottablement France-qui-gagne.
– Un employé de banque fou à lier mais ne payant pas de mine et faisant très correctement son travail, bien que travaillé par une libido aberrante.
– Une ex-danseuse classique capable de s'auto-brouter la case trésor, entre autres prouesses moins avouables les unes que les autres.
– Trois nains.
– Pas de raton laveur (ou alors juste pour la décoration).

Recette :

Sous la surveillance attentive et participative de votre ex-danseuse, commencez par faire abondamment passer l'une de vos walkyries à la casserole, en la mélangeant intimement avec vos trois nains. Réservez les autres walkyries.

Battez vigoureusement ensemble le diplomate jaloux et le caissier fou, jusqu'à ce que votre mélange soit bien explosif. Réservez également.

Revenez à vos walkyries que vous ferez monter rapidement à ébullition non sans les avoir copieusement farcies de farine spéciale, pas en vente libre mais aisément trouvable dans toutes les bonnes banlieues.

Réunissez tous vos ingrédients dans une marmite grande-bourgeoise et socialo-sarkozyste, et faites-les sauter à feu très vif sans mégoter sur la béchamel auto-produite ni les sucs sui generis.

Ajoutez les nains au moment de présenter et servez très hot.

N'oubliez pas votre à-valoir.

Si tu écris ça et que tu es blanc, t'es mort !

La liberté des Haïtiens n’aura servi à rien sinon à accoucher des régimes tyranniques.

Le terrible séisme qui a détruit la capitale d’Haïti focalise de nouveau l’attention de tous les médias sur la situation catastrophique de ce pays, le plus pauvre des Amériques, un des plus pauvres du monde. Haïti est le premier pays noir, si pas l’unique, à s’être libéré des chaînes de l’esclavage grâce au génie militaire de son leader Toussaint Louverture, il y a 219 ans. Pourtant, loin d’avoir permis le développement de leur pays, la liberté des Haïtiens n’aura servi à rien, pourrait-on dire, sinon à accoucher des régimes tyranniques tout juste aptes à appauvrir leur peuple et, au contraire, à favoriser l’enrichissement des dirigeants.

La situation d’Haïti est en tous points semblable à celle de la plupart des pays d’Afrique noire, et ce compris, bien évidemment, sur le plan racial. D’où la pathétique question que tout le monde se pose tout bas mais qui est dans tous les esprits : les Noirs ne seraient-ils que des incapables ? Oser poser publiquement la question me vaudra probablement la remontrance de beaucoup de mes frères de couleur, étant donné l’extrême susceptibilité dont nous faisons généralement montre. En effet, on se rend compte maintenant, après le demi-siècle des indépendances africaines, combien la maxime de Léopold Senghor fut juste : "L’émotion est nègre, la raison hellène".

Beaucoup de cadres africains comprennent aujourd’hui que c’est la difficulté de gérer nos émotions qui nous empêche de prendre les bonnes décisions pour une meilleure gestion de nos pays. En considérant notre allergie à la critique, nos détracteurs concluent à l’infériorité du Noir. Nous sommes bien obligés, même à notre corps défendant, de convaincre qu’on nous juge mal, non pas en proférant des menaces donquichottistes mais en apportant les preuves de notre volonté d’essayer de bien faire. Pour ma part, j’ai tenté de donner réponse à cette question dans un ouvrage (Africains, nous devons changer) paru l’année dernière chez l’Harmattan à Paris.

Pour commencer, il est peut-être nécessaire de rappeler que de nombreuses études scientifiques faites dans le monde ont démontré que tous les êtres humains, abstraction faite de la couleur de leur peau, ont les mêmes aptitudes au point de vue de l’intelligence. En revanche, notre culture apparaît comme un handicap ne favorisant pas un comportement rationnel en matière de gestion d’un Etat moderne. A mon humble avis, notre vision du monde et le rapport au pouvoir qui en découle semblent toujours obéir à la tradition, alors même que nous sommes en charge de gérer des pays modernes que, malheureusement, nous n’avons pas créés mais qui l’ont été par le colonisateur.

Dans nos traditions, le pouvoir du chef (le roi) était absolu, au-delà de ce qui pouvait se concevoir dans d’autres cultures. Les biens (terres et bétail, là où il y avait élevage) et les hommes, donc aussi les femmes, appartenaient au roi, qui en disposait comme bon lui semblait.

A ce jour encore, même bardés de diplômes universitaires, beaucoup de nos dirigeants considèrent le pays comme leur "chose" pour laquelle ils n’ont de compte à rendre à personne, et encore moins à l’étranger. C’est ainsi que pourrait s’expliquer, par exemple, l’extrême susceptibilité des dirigeants congolais, de Mobutu à Kabila. Comment ne pas donner raison à ceux qui accusent nos dirigeants de se moquer des conditions de vie de leur peuple ? Si cette culture a traversé les siècles malgré les bouleversements de l’histoire, c’est certainement parce que nous n’avons pas pu nous approprier la culture du développement économique et technologique ayant accompagné le colonisateur.

C’est simple : jusqu’à ce jour, dans la plupart des pays d’Afrique noire tout comme à Haïti, les instruments de production demeurent la houe et la machette, les déplacements se font à pied, le transport des marchandises à dos d’homme. Or, ce qui contribue à la mutation de la culture, ce sont, essentiellement, les outils et les rapports de production. L’existence d’un secteur économique moderne, bien souvent géré par les étrangers, ne suffit apparemment pas à induire le changement de culture, parce qu’il n’est pas intégré par la population, sinon rien que par la consommation. Il est certain que si les populations acquièrent la possibilité de produire des biens en quantité, d’accéder à des meilleures conditions de vie, elles auraient une autre compréhension de la gestion de la chose publique; seraient par conséquent plus désireuses de se choisir des dirigeants aptes à promouvoir l’intérêt général, et donc éventuellement, à se battre pour sanctionner les dirigeants corrompus et inefficaces.

Le drame de Haïti soulève une autre interrogation, au regard du silence assourdissant des pays africains au moment où le monde entier se précipite au chevet de ce pays éprouvé. Dans leurs fréquents déplacements à l’étranger, les Chefs d’Etat africains voyagent en avion spécial, accompagnés d’une nombreuse délégation pour des coûts onéreux en millions de dollars. Prétendre que c’est un manque de moyens qui les empêche d’aller au secours d’un pays frère éprouvé relève de la pure hypocrisie. Aussi, si l’indépendance a été une chance historique dont il faut absolument se féliciter, il faudrait maintenant que nous ayons le courage de constater que notre culture n’est pas à même de favoriser le développement, voire est antagonique au développement(...)

Albert Kisonga Mazakala, ancien ambassadeur de la République démocratique du Congo en Belgique.

Texte paru dans La Libre Belgique.

lundi 18 janvier 2010

Osez le pari du hot-dog déstructuré !

Lorsque nous avons quitté Évreux, l'Irremplaçable et moi, il était près de deux heures – nous n'avions pas déjeuné. Afin de gagner du temps, en escamotant la préparation d'un véritable repas, nous avons décidé de nous contenter d'un simple hot-dog, mais “maison” : achat d'une baguette à Pacy et de saucisses de Strasbourg au Super U, la moutarde, le ketchup et les oignons étant déjà dans le frigo.

Ce déjeuner sur le pouce a produit sur moi un effet étrange, dans la mesure où le hot-dog est ma nourriture de base lors de mes périodes de célibat. Effet que j'ai traduit comme suit pour l'Irremplaçable : « C'est bizarre, j'ai l'impression que tu n'es pas là. » Sinon, j'étais ravi, car j'ai toujours eu une appétence coupable pour les hot-dogs. Simplement parce que je trouve ça bon, mais bon au premier sens du terme, selon la classification établie par Renaud Camus à la page 477 d'Une chance pour le temps :

« Je ne suis pas un raffiné. Et je suis très attaché à ma confuse théorie des deux bontés, en matière de nourriture – mais ce n'est, je l'espère, qu'une métaphore : une nourriture est bonne parce qu'elle satisfait le boulimique, parce qu'elle donne du plaisir au moment où elle est avalée, parce qu'elle est conforme à un désir sommaire de nourritures agréables au palais (sucrées, par exemple, ou grasses) ; une autre est bonne en un autre sens, infiniment plus relevé, parce qu'elle est vraiment bonne, de bonne et haute qualité, ayant été préparée avec intelligence, recherche et talent. Je n'ai jamais bien pu m'expliquer sur ce point, qui a reçu peu d'écho et ne semble pas avoir été compris, ni surtout dire grand-chose à qui que ce soit : les gens voient bien ce qu'un plat réussi de grand cuisinier a de bon, mais ils comprennent mal ce que je veux dire quand je parle de ce qu'un cheeseburger, ou une barre de Mars, ou un paquet de mauvais biscuits, peuvent eux aussi avoir de bon. »

Eh bien, moi, je le comprends fort bien, et ma référence en ce domaine, le “Petit Véhicule” qui m'a aidé à entrer dans le distinguo gastro-camusien, c'est le hot-dog – plus spécialement ce que j'ai coutume d'appeler le hot-dog “en kit”, et qu'on pourrait, pour ajouter un peu de noblesse et de patine intellectuelle, nommer le hot-dog déstructuré.

Le hot-dog en kit, ou déstructuré, ne peut se consommer qu'à un moment bien particulier de la journée : entre dix et onze heures du matin, et à plusieurs conditions essentielles : 1) vous n'avez pas pris de petit-déjeuner ce jour-là ; 2) vous mourez de faim alors que le déjeuner est encore lointain ; 3) vous êtes en train de faire les courses. Si la configuration est parfaite, il vous suffit de glisser dans votre chariot à roulettes un paquet de saucisses de Strasbourg (les Francfort marchent aussi bien) et un petit verre de moutarde forte – non sans avoir pensé au préalable à acheter une baguette supplémentaire lorsque vous étiez à la boulangerie de Pacy.

Ensuite, une fois votre coffre de voiture empli, il ne vous reste plus qu'à vous installer au volant et, moteur coupé pour ne pas trop attirer l'attention, à tremper vos saucisses froides dans le verre de moutarde, tout en mordant à même la baguette surnuméraire : c'est le hot-dog en kit, celui qui vous plongera, le dévorant (car il s'agit là d'engloutir sans retenue : ce n'est pas de la nourriture pour chichiteuse), dans une semi-animalité bien douce, dont il vous faudra tout de même ressortir si vous voulez pouvoir ramener votre voiture jusqu'à la maison sans incident notable. – Le restant de moutarde pourra sans dommage être utilisé ultérieurement.

dimanche 17 janvier 2010

Roselyne et Audette (essai de beaufitude comparée)

Les grands esprits se rencontrent, les grands esprits se rencontrent : c'est un peu vite dit ! Oui, certes, bien sûr, la conjonction est toujours possible. Mais ce qu'on oublie trop souvent est que la rencontre peut avoir lieu sur les sentiers de la pure bouffonnerie, quand ce n'est pas dans les marécages toujours un peu honteux de la beaufitude la plus repérable.

Il se trouve qu'en 2007 et 2009 respectivement, Renaud Camus et votre serviteur en bâtiment ont vécu une expérience similaire : le remplacement de leur Peugeot par une voiture neuve d'une autre marque – Audi pour lui, Renault pour moi (qui ne suis pas vendu à l'étranger, lequel vient fumer les arbres à came des bons Français, c'est assez connu). Une chance pour le temps – journal 2007, en atteste de façon indubitable, puisqu' il s'ouvre et se referme sur cette automobile teutonne ; quant à moi je vous annonçais la naissance de Roselyne dans un tout récent billet. Voici ce qu'écrit Camus, dès la page 50 :

« Mercredi 31 janvier, dix heures du soir. Le clou de la nouvelle voiture, une Audi qui a été livrée aujourd'hui, c'est – si l'on en croit du moins la fierté du marchand sur ce point – le GPS qui orne le tableau de bord. L'homme, qui est très aimable, nous a fait une démonstration. Il a choisi l'Espagne, il m'a demandé de nommer une ville de mon choix, j'ai dit Sigüenza, nous avons soumis le cas au GPS pour qu'il indique la meilleure façon de nous rendre là-bas. L'appareil a proposé aussitôt un itinéraire (par Bordeaux, un peu bizarrement) qui nous eût permis d'être là-bas à onze heures, ce soir (il était environ trois heures de l'après-midi). Mais moi, si je vais à Sigüenza, je mets trois jours. Et l'un des plaisirs du voyage, c'est de choisir son trajet en fonction de goûts, de curiosités et de vésanies qu'aucune machine ne pourra jamais appréhender. »

L'auteur en conclut, fort justement il me semble, que cet appareil est probablement très utile pour se retrouver dans une ville inconnue, une banlieue pourrie où un sort contraire nous a attiré, etc., mais qu'on ne saurait en aucun autre cas se reposer sur lui – ou au moins entièrement sur lui. Lisant ce passage, et l'ayant signalé à l'Irremplaçable, je lui avais fait remarquer qu'au moins, et contrairement à nous, ni Renaud Camus ni M. Pierre n'étaient assez tarés pour avoir affublé leur GPS d'un prénom féminin, ni pour se payer sa fiole en prenant systématiquement d'autres voies que celles indiquées sur l'écran. Je me trompais grave. À la date du 31 décembre, le volume se clôt par trois pages de considérations automobiles – où se déploie de façon irrésistible cet humour que d'aucuns dénient à leur auteur –, de récriminations anti-audiennes, parmi lesquelles ce paragraphe :

« Pierre et moi l'avons surnommée Audette et passons notre temps à la défier, à la mettre hors d'elle, à ne rien faire de ce qu'elle exige (sauf techniquement, bien sûr : nous lui donnons de l'huile quand elle en réclame, ce qui est assez fréquent). Ou bien nous imaginons toute une équipe qui nous suit de l'œil grâce au GPS, dans une tour d'Ingolstadt, et qui s'arrache les cheveux face à nos initiatives d'itinéraires :

“ Et voilà ! Et voilà ! Ils ne veulent en faire qu'à leur tête, et encore une fois ils ont pris un chemin qui ne mène nulle part, ces deux couillons !” »

Roselyne... Audette... On finit par se demander si le toujours délicieux François M. n'aurait pas un peu raison, quelque part, lorsqu'il écrit qu'au bout du compte Didier Goux pourrait bien être l'ultime vérité de Renaud Camus – ou l'inverse, j'ai oublié.

samedi 16 janvier 2010

Droit de vote des étrangers : et c'est reparti pour un tour !

Pourquoi donc changerait-on une vieille recette, si elle est toujours appréciée et conserve l'essentiel de ses vertus ? C'est bien ce qu'a dû se dire la piteuse Martine Aubry en nous ressortant de son chapeau le joli lapin du droit de vote accordé aux étrangers, dans les élections locales.

D'abord, pourquoi dans les élections locales seulement ? Le seul argument que ressasse la gauche ad nauseam depuis trente ans au moins est que, puisqu'il travaillent et paient des impôts en France, il est normal qu'ils puissent prendre part aux décisions qui les concernent. Soit. Seulement, ils ne paient pas d'impôts que locaux, il me semble. Par conséquent, ne nous arrêtons pas en si bon chemin et accordons-leur un droit de vote complet et général. À toutes les élections.

On se doute de ce que je pense de cette histoire. Elle est absurde, et même plus qu'absurde : aporétique. Le vote est l'un des droits inaliénables du citoyen d'un pays, en tout cas lorsque celui-ci est une démocratie. Or, qu'est-ce qu'un étranger ? C'est précisément un homme qui n'est pas citoyen ; en tout cas pas citoyen du pays dans lequel il réside. Par ailleurs, vouloir leur accorder le droit de vote au motif qu'ils paient des impôts, cela porte un nom : le suffrage censitaire. Y revenir serait consentir à un bond en arrière de plus d'un siècle, et c'est pourtant la gauche qui défend ce système parfaitement réactionnaire et rétrograde.

Mais tout le monde a bien compris, au fond, que Martine Aubry et ses petits camarades se moquent pas mal que les étrangers votent ou non. Seulement, ils savent bien que les Français y sont majoritairement opposés et que le simple fait de lancer l'idée suffit généralement à rendre de bonnes joues au Front national... et donc à emmerder un peu l'UMP, voire à créer quelques petites triangulaires dans certaines régions, lesquelles seraient ravageuses pour la droite. Toujours bon à prendre, ça...

vendredi 15 janvier 2010

Toujours présent, jamais là

Ce journal 2007 (voilà trois fois que je recommence ce billet, incapable de trouver le ton, la phrase, le mot même – qui sonnent à peu près juste), ce journal 2007 présente une manière de rupture par rapport à tous ceux qui l'ont précédé, depuis l'année 2000 inclusivement. Et, ce, avant même d'en avoir tourné la première page. La photographie de la jaquette (je ne m'en lasse pas : mon côté gamin...) a été prise par Renaud Camus, en Italie. La mer, des voitures au parking, un trottoir – et Pierre, comme surgissant. Surgissant d'où ? Et pourquoi maintenant ? C'est ce qu'il serait intéressant de savoir. Depuis 1999, année de son entrée dans la vie de l'écrivain qui nous occupe, Pierre a radicalement bouleversé le journal ; mais il l'a fait en creux, comme une sorte de “ point aveugle”. Pierre, dans le journal de Renaud Camus, c'est celui qui est toujours présent, mais pour ainsi dire jamais là. Il ne prend jamais – presque jamais – la parole, on ne sait pas trop ce qu'il pense, ce qu'il aime ou déteste, sinon par raccroc, de biais, comme en passant. D'autre part, et ce n'est pas sa moindre influence, grâce (ou à cause, diront certains) de lui, le journal est devenu pudique, le sexe s'en est retiré en se concentrant sur lui seul.

Et voilà qu'il apparaît en couverture, sur cette jetée, au coin de ce qui pourrait être un café, en tout cas une boutique. Pour ceux qui l'ont croisé, il est tout à fait reconnaissable. Mais, la photo étant floue, tremblée, incertaine, il n'est pas pour autant identifiable. Il est là sans y être – comme avant, finalement. « Je suis Pierre, mais attrape-moi si tu peux... »

On ne prendra pas le risque de la psychanalyse de bazar – ou de comptoir, ce qui nous conviendrait déjà mieux –, mais est-il indifférent que cette apparition de Pierre se produise l'année même de la disparition de Mme Camus ? Laquelle fournit très explicitement le titre de ce volume, ainsi qu'il est expliqué succinctement en quatrième de couverture : beau chassé-croisé dans la vie de l'auteur, ramassé en une silhouette que l'on devine souriante et cinq mots exclamatifs de la désormais absente.

Évidemment, si l'on venait nous expliquer que la photographie a été choisie avant le mois d'août 2009, ce billet tomberait complètement à l'eau. Et, après tout, il ne mérite sans doute pas davantage.

Suite au travaux sur l'eau froide sanitaire

C'est une phrase affichée depuis hier sur la porte des toilettes de la glorieuse entreprise de presse qui me donne le bifteck. Je vous la recopie, en en respectant scrupuleusement la typographie :

Suite au travaux sur l'eau froide sanitaire .


Depuis ce matin, je ne cesse de me la répéter mentalement et je finis par lui trouver un très grand charme, voire un certain pouvoir d'envoûtement maléfique.

mercredi 13 janvier 2010

Tu reviendras à Plieux – peut-être

Bon, voilà. On a a décidé, et déclaré hautement, l'Irremplaçable et moi, que ce mois d'août 2009 à Plieux nous avait bien suffi. Et puis, cette photo, où il se pourrait que ce soit moi, dans le fauteuil (non, pardon, dans le canapé), face précisément à Béatrice et Dante, tels que nous le fûmes en effet, chaque soir de ce mois d'août. – Et je me rends compte que je n'ai rien dit de cela, de ces vingt ou trente soirées dont la fin (c'était l'été) ressemblait à cette photo, la nuit venant, plus tard, certes, mais venant tout de même. Et cet homme, cette ombre d'homme, il n'est pas impossible que ce soit moi – il manque les chiens à mes pieds, mais c'est peut-être moi tout de même, cet été. Et, si c'est l'été, je sais ce qu'on peut voir – quels flamboiements en tournant très légèrement la tête.

Un jour le diable fit une java (en studio)

À Marie-Georges Profonde

Évidemment, tout le monde connaît la Java du Diable de Trenet, au moins la mélodie : tatitata – tatitata... Les paroles dans leur intégralité, c'est déjà moins répandu : à part Marie-Georges et moi, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas le sujet, comme dirait Nicolas.

Le sujet, c'est que je viens de découvrir par hasard (évidemment, par hasard...) où Trenet avait pris l'inspiration de cette chanson : chez Marcel Aymé ; dans une nouvelle de juillet 1933, intitulée Le Diable au studio, et finalement reprise dans le recueil posthume, La Fille du shérif. Qu'on ne me dise pas qu'il pourrait s'agir d'une coïncidence (enfin, oui, la coïncidence est toujours possible, mais je n'y crois guère) : contrairement à la plupart des chanteurs, gens d'inculture notoire et éclatante, Trenet n'était pas ami avec Max Jacob, Jean Cocteau et d'autres QUE pour des raisons de sexualité minoritaire.


La nouvelle de Marcel Aymé s'ouvre sur cette phrase : « Une année que le le Bon Dieu était en vacances, le diable fit des siennes sur la terre un peu plus qu'à son habitude. » En clair, il plante sa zone, exactement comme, une petite vingtaine d'années plus tard, le fera celui de Trenet. En l'occurrence, il s'introduit dans un studio de cinéma, le Royal Écran, où se tourne l'édifiante histoire d'une humble fleuriste, pauvre et ingénue, en butte aux manœuvres égrillardes de vieux richards, mais finalement sauvée par l'amour d'un jeune peintre aussi pauvre que talentueux et beau comme un ténor d'opéra italien.

Un soir, à l'issue d'une journée de tournage, le diable frappe les trois stars (comme on ne disait pas encore) d'amnésie, mais aussi les seconds rôles, les figurants, faisant croire à chacun qu'il est réellement son personnage du film et l'obligeant à se comporter comme tel, une fois retourné à la vie “hors caméra” : au bout de huit pages, tout le monde ou presque se retrouve en prison, et il faut le retour en catastrophe de Dieu pour empêcher un effondrement général. Dieu qui, du reste, n'est pas capable de faire plus et mieux que de rétablir le statu quo ante, dont aucun des protagonistes ne s'estime satisfait.

Et comme j'ai cité l'incipit de la nouvelle, je ne peux faire autrement que de conclure sur sa dernière phrase, qui concerne les malheureux figurants censés représenter les richards libidineux que le diable, après les avoir rendus fous, a envoyés méditer un temps dans les culs-de-basse-fosse de la République : « Cependant, les vieux melons, qui se tenaient modestement à l'écart, s'entretenaient des mérites de leurs épouses et d'une certaine façon d'accommoder les choux-fleurs qui en facilitait la digestion. »

Magie du cinéma.

mardi 12 janvier 2010

Le petit Nicolas se fait épingler (façon papillon) par le prince Ygor

Le Stalker a eu la riche idée d'accueillir en ses colonnes mon ami Ygor Yanka et sa lettre ouverte à Nicolas Sarkozy. J'encourage vivement tout un chacun à aller savourer ce superbe texte (on ne parle plus de billet, à ce stade...) : je ne me souviens pas avoir jamais lu un aussi noble et implacable réquisitoire sur aucun blog ; on est très loin des coups d'épingle des vigilants – très loin au-dessus. Personnellement, ça m'a passé l'envie de devenir Nicolas Sarkozy quand je serai grand. Enfin, bon : grands, vous l'êtes assez pour vous faire votre opinion, hein...

lundi 11 janvier 2010

L'immigration de peuplement prend des proportions

Lors de notre dernier recensement officiel, les chardonnerets bénéficiant des aides sociales dans la fraternité autonome du Plessis-Hébert étaient, on s'en souvient, au nombre de cinq. Ils sont désormais huit. L'ACC, (Action Solidarité Chardonnerets) est une association à but non lucratif mais dûment subventionnée, nouvellement créée dans le but de rendre illégal et passible des tribunaux le comptage des chardonnerets, lesquels n'ont pas à être discriminés puisque chacun sait qu'il n'existe ni race ni espèce chez les volatiles, ainsi qu'il est solennellement stipulé dans la Déclaration des Droits du Piaf. Tout au plus, et dans un premier temps aussi court que possible, sera-t-il toléré d'évoquer une ethnie chardonneret, afin que ses représentants puissent demeurer légitimement fiers de leurs racines buissonnières – mais sans en abuser. Il est fortement recommandé de s'habituer dès maintenant à les appeler tout simplement “oiseaux”, en prenant conscience que, loin de toute plumophobie malsaine et nauséabonde, les chardonnerets représentent une véritable CPJ – Chance Pour nos Jardins.

L'ACC envisage d'autre part d'étendre son action en faveur du becqueter-ensemble afin que d'autres composantes du conglomérat-à-plumes (anciennement appelé “peuple”) puissent en bénéficier. Dans ce souci d'apaisement et de tolérance de toutes les volatitudes qui ont fait la richesse de notre jardin, elle préconise que les verdiers, trop souvent stigmatisés en raison de fumeux fantasmes de violence, soient désormais appelés “oisillons”, cependant que les mésanges bleues deviendront des mésanges de couleur.

Prenez-en de la graine.

dimanche 10 janvier 2010

Les Énigmes licencieuses : de quoi butiner à son aise

À Monsieur B.L.

Hier, dans mon billet sur les Demeures de l'esprit, je notais comme en passant le plaisir qu'il pouvait y avoir, en ces pages, à découvrir tel ou tel poète dont on ignorait encore tout une minute plus tôt, y compris son nom – et je citais Honorat de Racan, puisqu'en effet, il figure bel et bien en ces Demeures. Aujourd'hui, je m'en fais amicalement tancer par l'un de mes lecteurs.

« Ne perdez pas votre temps avec cette vieille chouette de Racan ! m'admoneste-t-il en substance. Et découvrez plutôt les sonnets de Marc Papillon de Lasphrise ! »

On tendrait à lui donner aveuglément raison, sans même chercher à creuse plus avant : qui donc aurait le cœur de résister à un nom semblable ? On y résiste d'autant moins que, dans la suite de son mail, monsieur B.L. nous propose ce sonnet :

Çà, je veux fourniller en ton joli fourneau
Car j’ai de quoi éteindre et allumer la flamme ;
Je vous veux chatouiller jusqu’au profond de l’âme,
Et vous faire mourir avec un bon morceau.

Ma petonne, inventons un passe-temps nouveau,
Le chantre ne vaut rien qui ne dit qu’une gamme ;
Faites donc le seigneur et je ferai la dame,
Serrez, poussez, entrez, et retirez tout beau.

Je remuerai à bonds d’une vitesse ardente,
Nos pieds entrelacés, notre bouche baisante,
La langue frétillarde ira s’entre-mouillant.

Jouons assis, debout, à côté, par-derrière
(Non à l’italienne) et toujours babillant,
Cette diversité est plaisante à Cythère.


Et non content de cette incitation en forme de sonnet, notre décidément fort obligeant lecteur nous en livre un second, qui se clôt par ces deux vers :

Ha Dieu ! que j'ai de bien en ce doux exercice,
Maniant l'honneur blond de son petit tonneau.


Et, certes, on donnerait des strophes et des strophes, la moitié de la Pléiade ou presque, pour conserver à part soi cet honneur blond de son petit tonneau...

samedi 9 janvier 2010

Tant que l'esprit demeure

Depuis trois ou quatre heures, je suis plongé dans ces Demeures de l'esprit que je suis donc allé chercher au bureau de poste hier. Paradoxalement, mais ce ne doit être un paradoxe qu'en apparence, ces livres (celui-ci est déjà le quatrième de la série inaugurée en 2008 avec la moitié sud de la Grande-Bretagne) où le sujet principal, donné comme tel, est les “demeures”, c'est-à-dire les maisons, les châteaux, leurs ruines aussi bien, les points fixes, le matériel, le solide, ces livres sont en fait une puissante invitation au voyage, au déplacement rapide, à la présence furtive, une ode à la lumière, à l'air, ainsi qu'un hymne aux fantômes, à ce et à ceux qu'on ne peut plus voir, une nostalgie en mineur – en quoi ils sont camusiens de pleine naissance. Les noms y ont autant de droits et d'espace que les lieux, ce qui est bien naturel puisque, sans les noms qui s'y rattachent, qui les habitent peut-être encore, les lieux ne seraient rien d'autre qu'eux-mêmes, parfois plus ou moins conservés (souvent moins), parfois plus ou moins défigurés ou réduits à presque rien par leurs immédiats alentours (souvent plus).

Il y a aussi, pour le lecteur de culture médiocre ou lacunaire, l'étonnement puis le plaisir d'entendre parler pour la première fois de tel ou tel poète du XVIe siècle – par exemple –, et de le découvrir charmant ; de se dire que l'on va sans tarder se procurer ses œuvres et le lire plus avant – se doutant que l'on n'en fera probablement rien. Car pendant le temps que l'on se fait cette réflexion, la page a tourné et déjà nous quittons Honorat de Racan pour Honoré de Balzac. Non sans nous promettre de revenir ensuite à la maison de Tante Léonie, trop vite aperçue, en prenant cette fois par le côté de Méséglise.

vendredi 8 janvier 2010

Invasions barbares (mais que fait Besson ?)

“C'est une invasion !”, pépie la mésange bleue ; “On n'est plus chez nous !”, trille le pinson ; “Qu'est-ce que c'est que ces bariolés de merde qui viennent bouffer nos graines de tournesol ?”, s'étrangle la sitelle ; “ Un ça va, c'est quand ils se multiplient que ça pose des problèmes...” , conclut doctement le rouge-gorge – et même ces petits cailleras de verdiers semblent n'en pas mener très large face au péril tout neuf.

Les autres hivers, dans les périodes de froid rude, nous avions le plaisir de la visite d'un, voire deux chardonnerets. Il y a deux ans, je me souviens en avoir recensé trois, et nul n'avait fait mine de s'inquiéter. Mais ce matin, ils étaient cinq à prendre d'assaut la mangeoire : la contre-colonisation est en marche, plus rien ne semble en mesure de l'arrêter.

De plus, observez bien leur tête, pauvres volatiles méfiants et apeurés : ce sont des rouges !

La prison pour mourir est une fade école

Il a beaucoup été question de Jean Genet, ici même il y a deux jours, à propos de Valjean et de Vautrin, de Balzac et de Hugo. À tort, me semble-t-il ; ou par glissement progressif, comme dirait l'autre. Toujours est-il qu'on s'est retrouvé, quelques-uns, à parler du Condamné à mort. Et notamment de cette version chantée par Marc Ogeret sur la musique d'Hélène Martin. Comme j'ai proposé de dupliquer ce disque et que la proposition a été agréée, je viens de le récouter par capillarité, en quelque sorte.

Je ne crois pas que Genet soit un grand poète, mais la question n'est pas tellement là ; il est de toute façon davantage poète que je ne suis son juge. Il reste que le disque que je viens de réentendre m'est très précieux, poète ou non.

J'avais 21 ans lorsque j'ai entendu prononcer pour la première fois ce nom apparemment sans histoire : Jean Genet. C'était à Orléans, en 1977, sans doute au mois de juillet et, de façon certaine, à un comptoir de bistrot, aux alentours de la rue Bannier – on ne saurait être plus précis. J'accomplissais mon tout premier stage das la presse, à La Nouvelle République du Centre-Ouest, quotidien qui, depuis, tournant le dos à Jeanne d'Arc, a déserté Orléans.

Et j'étais donc au bistrot avec deux journalistes ; un vieux de 50 ans, Eugène Boucherie (pas bien sûr de l'orthographe et pas le cœur de vérifier – d'ailleurs où ?), et un “inqualifiable” de 35 ans (aux yeux d'un polichinelle de 21 ans, un homme de 35 n'est réellement pas qualifiable), Philippe Delalande, que je m'étais choisi comme modèle et qui, le comprenant je crois, l'avait accepté. C'était une forme de mimétisme, bien sûr, mais de celui que René Girard qualifie de “bon”, parce qu'il suppose une médiation externe : pas de rivalité possible entre un journaliste confirmé de trente-cinq ans et un tout nouvel aspirant de quinze ans son cadet. – Et tous les deux, Eugène et Philippe, se sont mis à parler de Jean Genet.

Mais je vais trop vite, là. Restons un peu à ce comptoir. Eugène Boucherie m'impressionnait fort, pour la raison qu'il avait fait partie du petit groupe de jeunes gens (lui-même ayant alors dépassé la quarantaine...) qui, en mai 68, était allés planter un drapeau rouge au sommet de la façade de la cathédrale Sainte-Croix : pour vous dire de quels tréfonds de sottise j'émerge à grand-peine. Je me souviens aussi que nous étions allés ensemble, un soir, à une conférence du dissident russe Leonid Pliouchtch, lui pour la Nouvelle République, moi pour le plaisir de l'y accompagner. À la sortie, comme il cherchait un titre à l'article qu'il devait écrire le lendemain matin, je lui suggérai (et c'était en rapport, mais ne m'en demandez pas plus) : Les Mythes nous bouffent. Eugène avait eu la bonne grâce de s'en divertir. Aujourd'hui, on y verra la preuve que, tout petit déjà, j'étais un fier représentant de la classe calembourgeoise.

Quant à Philippe Delalande, il avait alors une fille d'environ un an (ou plus : je maîtrise mal le dossier “nourrisson”) qui commençait à balbutier ses premiers mots. Et, justement, ces mots, à chaque fois qu'un nouveau apparaissait, il le notait scrupuleusement, ainsi que la date de son éclosion. Je serais curieux de savoir combien de temps il a prolongé l'expérience, et je frémis de penser qu'aujourd'hui la balbutiante doit approcher des trente-cinq ans, âge qu'avait son père alors. Mais on va me dire que je découvre la lune ; ce ne sera pas faux.

Donc, ils se sont mis à évoquer Jean Genet, et rapidement ce fameux disque de Marc Ogeret et Hélène Martin, que je ne connaissais pas – je ne suis même pas sûr, je le répète, d'avoir jamais entendu parler de Genet à cette époque, et ce n'est certainement pas au lycée qu'on se serait risqué à m'en parler. Enfin, je ne sais plus. Toujours est-il qu'à quelques semaines de là Philippe Delalande m'a invité à venir dîner chez lui – ou plutôt chez eux, puisqu'il était marié et, comme on l'a vu, affligé d'enfant. C'est au cours de cette soirée (sobre pour ce qui me concerne : je n'avais, à 21 ans, encore jamais bu une goutte d'alcool) qu'il m'a fait découvrir tout à la fois Jean Genet et Marc Ogeret, l'un chantant l'autre. C'est en ce même jour qu'a eu lieu mon premier vrai contact avec le jazz, et notamment le choc du triple album enregistré par Charles Mingus à Paris, en 1964 (si ma mémoire ne me trahit pas), avec Eric Dolphy qui devait mourir quelques semaines plus tard.

Là-dessus, frais comme un jeune gardon et lucide comme un militant communiste, j'avais réenfourché ma mobylette pour rentrer chez mes parents, à trente kilomètres de là, à La Ferté-Saint-Aubin. Mais, bon : c'était l'été, il faisait doux.

jeudi 7 janvier 2010

Colissimaux

La Poste commence vraiment à me les briser menu. Voilà deux jours que j'attends les livres que R. Camus a eu la gentillesse de m'envoyer lundi. Déjà, je trouve saumâtre de devoir payer 27 € pour une expédition aussi simple, ce qui représente tout de même le prix d'un volume supplémentaire, surtout sans que ne me soit plus désormais offerte la possibilité d'un tarif plus économique : ce sera Colissimo ou rien ; circulez, salauds de pauvres !

Encore, si le délai se maintenait à 24 heures, comme c'était le cas pour les envois ordinaires il y a encore une poignée d'années – mais non : le paquet n'aurait dû nous être livré qu'hier. Aurait dû. Car, en début d'après-midi, l'Irremplaçable a reçu un appel téléphonique de M. Colissimo (Achille de son prénom, si ma mémoire est bonne), lui expliquant qu'ils avaient eu un accident et que, de ce fait, notre paquet ne pourrait nous être apporté à domicile, ni ce jour ni plus tard : à nous de nous débrouiller pour aller le chercher au bureau de poste de Pacy. Chose rigoureusement impossible aujourd'hui puisque, ce matin, à mon réveil, il y avait vingt bons centimètres de neige dans le jardin (et je suppose également à l'extérieur du jardin) et il faisait - 11° : le réchauffement climatique continue ses ravages.

Ce qui fait que je me retrouve avec deux livres de Camus m'attendant à quatre kilomètres de chez moi mais demeurant tout à fait inaccessibles, et le volume des nouvelles complètes de Marcel Aymé que j'ai laissé à Levallois pensant le lire durant la pause du déjeuner.

Car c'est la bonne nouvelle du jour (bonne à titre strictement personnel) : pour cause d'enneigement déraisonnable, j'ai prévenu mes hautes instances patronales que je me livrerais aux joies casanières du télétravail, aujourd'hui et demain.

La nouvelle tragique est qu'il n'y a plus rien à boire dans la maison et qu'il ne saurait être question de descendre au ravitaillement. Subséquemment, comme dirait Brel, si vous voyez passer devant chez vous un gros chien poilu avec un tonnelet autour du cou, vous seriez bien aimable de lui fourrer un GPS dans le cul, après l'avoir programmé pour le Plessis-Hébert – d'avance merci.

(La photo d'illustration a été prise par Irrempe, à la sortie du village, il y a environ une heure.)

mercredi 6 janvier 2010

Chronique du réchauffement climatique (extrait de journal)

Neuf heures vingt. – Derniers kilomètres du retour à la maison assez pénibles : mini-tempête de neige, ABS en appelant à Dieu et à ses Saints au moindre freinage, etc. Depuis, il continue de neiger, la couche s'épaissit et il fait toujours -4° – ce qui m'agace prodigieusement : voilà un demi-siècle que l'on m'apprend (et que je constate) que, sous nos latitudes civilisées, il ne peut neiger que, grosso modo, entre -2° et +1° : avant l'heure c'est pas l'heure, etc. Or, depuis ce matin il fait réellement -4 (sans doute -5 à l'heure qu'il est) ET IL NEIGE ! Je me doute que les khmers verts et leur cohorte d'abrutis au cerveau gélatinoïde vont venir m'expliquer que c'est une conséquence du réchauffement climatique (dogme laïque, intangible, à genoux connard ! Adore tes maîtres ! ), il n'empêche que, depuis dix ans que je vis ici et vais bosser là, c'est la première année que les glaces me bloquent. À ce train, si l'année prochaine je me retrouve coincé sur la voie rapide par un troupeau d'ours blancs, ou une bande de phoques pédés-comme-des-humains, on viendra m'expliquer que l'incident est imputable à l'équatorialisation du climat, et je serai évidemment sommé d'y croire. Si je risque une grimace de doute, on me fera observer qu'il doit bien y avoir équatorialisation, puisque les Français deviennent de plus en plus noirs, crépus, lippus – non, là, je taquine.

Bref, tropicalisation normande ou pas, j'ai tout de même bien dû enclencher la marche arrière sous peine, frein à main serré, de voir la voiture glisser jusqu'à la porte du garage (Quand tu parus dans ta superbe auto, papa !). Si bien que si tout continue comme commencé, il me sera impossible de ressortir demain : et vive le télétravail, ma mère, vive le télétravail. Catherine, revigorée à l'idée que je ne quitte pas la maison demain, a d'ors et déjà admis qu'il me serait impossible de sortir. Je la soupçonne, sous couvert de regarder la télé, d'être en train d'accomplir dans le salon la danse de la neige, si tant est que celle-ci existe, ce qui ne m'étonnerait qu'à moitié, la connaissant : une femme capable de faire le GPS au Carrefour ne doit jamais être tenue pour quantité négligeable, sachez-le.

Il me semble que je voulais dire autre chose. Concernant Catherine... Ah oui : les planques à alcool. Elle continue à cacher des bouteilles, demi-bouteilles, quarts-de-bouteille de whisky ici et là. Bientôt, je suppose, elle va en arriver à emplir son début de collection de dés à coudre – bref. Le motif est louable : m'empêcher, si l'on boit, de dépasser les limites du raisonnable. (Quand on boit, où sont les limites ? Où est le raisonnable ? Nul n'en sait et surtout pas elle, mais enfin...) Donc, elle cache, planque, thésaurise, ali-babasse des cavernes de trésors que je ne songe nullement à découvrir.

Et, ce soir, se levant pour se verser un petit whisky (nous étions, moi à la bière (deux), elle au cidre brut) : – Tu veux un petit whisky ? Moi (mais assez mollement) : – Oui, pourquoi pas ? Puis, aussitôt, elle : – Ah, non, il n'en reste plus assez : je t'apporte une bière ! Moi (assez indifférent) : – D'accord...

Bruits divers dans la cuisine, frigo qu'on ouvre, porte d'arrière-cuisine qu'on referme, discret glouglou, tintinnabulis de glaçon, puis voix triomphante : – Ah, mais, je crois bien que j'ai une réserve ! De nouveau, porte qui s'ouvre, buffet qui geint, et cri de victoire : – Oui ! J'ai un quart de whisky !

J'ai eu assez beau jeu, ensuite, de lui montrer qu'il était assez puéril de planquer des flacons d'alcool un peu partout, alors même que je ne les cherchais pas, et que, pour ce soir au moins, je ne serais très bien contenté d'une 16 de plus, si c'était pour venir ensuite me les proposer et pousser des cris de victoire après les avoir en effet retrouvés. Cela étant, je lui ai sifflé sa flasque en trois coups de glotte.

Et je me demande si, pas entièrement certaine que la neige tombant serait une alliée assez sûre, elle n'a pas tenté, me liant à mon verre, de s'assurer par avance de mon immobilité cadavéreuse de demain. – Sont fortes, ces filles.

mardi 5 janvier 2010

La vérité littéraire accouchée aux forçats

Selon quels critères peut-on déterminer (si on le peut) qu'un écrivain est plus “grand” qu'un autre ? Il y en a assurément plusieurs, et chacun aura les siens – ou même n'en aura pas du tout, et se désintéressera de la question. Parmi ces instruments de mesure, il en est un qui ne fonctionne à peu près que pour les écrivains du XIXe siècle (sans doute encore un peu dans les premières années du suivant), et encore pour une minorité d'entre eux : le forçat. Le pensionnaire des bagnes, l'évadé chronique, le futur gibier de potence. J'y pensais hier après-midi, en abordant la dernière partie des Splendeurs et misères des courtisanes.

Il est difficile, devant cette Dernière incarnation de Vautrin, de ne pas penser à Valjean, l'Autre bagnard de la littérature du siècle, comme la Hollande est l'Autre pays du fromage. N'ayez crainte, je ne vais pas vous occire avec douze pages d'une analyse comparative serrée, dont je suis de toute façon incapable. Mais il ressort de la confrontation que Hugo et sa marionnette sont pulvérisés – en tout cas fortement mis à mal – par Balzac et son personnage.

Jacques Collin, alias Vautrin, alias Carlos Herrera est un criminel récidiviste, qui tue pour voler, sans jamais connaître le moindre remords – il est tout entier, ou presque tout entier, du côté du Mal, c'est-à-dire de la vie, de l'humanité ; Jean Valjean, alias M. Madeleine, alias Fauchelevent, est conduit au bagne injustement (forcément injustement, bien sûr) pour avoir volé un pain : il est plus que du côté du Bien, il est pour ainsi dire l'incarnation de l'Innocence, la pureté faite homme, un Agnus Dei laïque. Hugo, ici, préfigure la niaiserie moderne d'un Albert Camus, dont le Meursault est condamné à mort, in fine, pour n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère. Dans les deux cas, Valjean et Meursault ne sont rien de plus (mais avec bien davantage de puissance, tout de même, chez le premier) que des placards publicitaires où leurs créateurs (concepteurs serait d'ailleurs plus juste, dans ces deux cas) inscrivent les idées, les théories qu'ils ont décidé de défendre a priori – des hommes-sandwichs pour thèse ambulante.

À côté d'eux, Vautrin semble presque souffrir d'un excédent de vie, d'une sur-existence. Il est boursouflé de sang, d'humeurs, de violence, de haine ; et quand il aime, c'est avec le même excès, la même rage : sa dévotion éperdue envers Lucien n'est que le détournement vers des voies obliques d'un amour impossible à vivre et même à exprimer – c'est toujours la marque de l'inébranlable égoïsme qui est le principal sinon le seul ressort qui fait se mouvoir ce colosse.

Colosse, Valjean l'est également. Mais tandis que Vautrin met sa force et son intelligence à son propre service, sans reculer jamais devant les sentiers les plus obscurs pour parvenir à ses fins, Valjean utilise la sienne pour soulever une charrette. Ou, plus tard, pour sauver la vie du pitoyable Marius Pontmercy, soit pour établir Cosette, lui donner un mari convenable. On pourrait d'ailleurs, puisque Cosette arrive sur le tapis, remarquer que ces deux forçats ne connaissent l'amour qu'une seule fois dans leur vie, ce qui pourrait leur constituer un point commun. Or, si celui de Vautrin pour Rubempré est “interdit”, biaisé, contourné, retors, douloureux et finalement facteur de perdition, celui de Valjean pour Cosette est tout pureté et désincarnation, dévouement et abnégation – Jean Valjean est en quelque sorte le “devenir-papa” de l'homme du XIXe siècle, alors que Vautrin en exprime toutes les contradictions et les violences, en les concentrant en lui-même : loin d'être au ban de la société comme devrait l'impliquer son statut de forçat en rupture de chaîne, il en est l'épicentre. Le bagne devient ainsi la vérité essentielle du siècle. Mais où Hugo, promoteur d'avenir voire de “désirs” d'avenir, l'utilise comme levier pour dénoncer, Balzac s'en sert pour exprimer le siècle. « Ce fruit est pourri ! », vocifère le premier. « Pressons-le et recueillons toujours son jus... », décide le second.

Au fond, Hugo et Balzac ne représentent peut-être, au travers de leurs deux forçats, que les faces d'une médaille frappée quelques décennies plus tôt par un autre écrivain de génie, Sade : Valjean ou les infortunes de la vertu – Vautrin ou les prospérités du vice.