vendredi 2 juin 2017

D'Alas, l'univers impitoyable (pas pu me retenir…)


Vargas Llosa a bien raison, qui affirme que La Régente est le meilleur roman espagnol du XIXe siècle. En réalité, mes piètres lumières en cette matière particulière ne me permettent pas d'affirmer que c'est le meilleur, mais c'est en tout cas un excellent roman. S'il n'était déjà pris, Leopoldo Alas aurait pu l'intituler Scènes de la vie de province, puisque c'est de cela qu'il s'agit : la peinture, à la fin du siècle en question, de la “bonne” société (y compris ses domestiques, plus quelques coups de projecteurs sur les pauvres) de Vetusta, une ville de province espagnole dont on nous dit que le modèle serait Oviedo, lieu natal de l'auteur. L'Église y est évidemment très présente, elle est même, dans son ensemble, l'un des pivots de ce roman sans véritable intrigue. Notamment par la personne du Magistral, don Fermin De Pas, on lorgne du côté du Zola de La Conquête de Plassans, avec une brusque embardée, au milieu des 750 pages, vers celui de La Faute de l'abbé Mouret ; mais un Zola qui aurait hérité de l'humour d'un Dickens, avec un brin de cruauté flaubertienne. Par moment, on songe aussi à une sorte de pré-Proust que l'on aurait plongé dans un milieu fortement clérical – et, bien entendu, également anticlérical, l'un n'allant jamais sans l'autre au XIXe. C'est une lecture très agréable, facile et coulant de source, malgré une construction plus subtile qu'il n'y paraît d'abord et mettant en scène un grand nombre de personnages. On pourrait reprocher à Alas un certain statisme dans les caractères qui semblent ne pas devoir évoluer du début jusqu'à la fin ; je dis “semblent” car, venant à peine d'atteindre la mi-roman, il est possible qu'il me réserve quelques surprises. Mais ce sont des caractères bien dessinés, parfaitement individualisés, et baignant constamment dans une sorte d'indulgence malicieuse, qui pourrait bien être la marque de cet écrivain, que je suis fort aise d'avoir découvert.

10 commentaires:

  1. Et pour lorgner du côté de Zola, qui pourrait trouver mieux que les lorgnons de Zola ? (pas pu me retenir non plus...)

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    1. Pas seulement le lorgnon d'ailleurs : je leur trouve un air de ressemblance…

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  2. Ah oui mais là avec ce titre ironique, on ne comprend plus bien l'intérêt.

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    1. Si vous ne comprenez pas l'intérêt d'"un Zola qui aurait hérité d'un humour à la Dickens, avec un brin de cruauté flaubertienne" ajouté à "une sorte de pré-Proust", le tout "d'une lecture très agréable, facile et coulant de source..." personne ne pourra rien pour vous !

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    2. Le titre n'était nullement ironique ; plutôt calembourien, si je puis dire.

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    3. Merci pour l'explication...

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  3. Je n'ai personnellement jamais vraiment su accrocher sur cette littérature sud-américaine que j'ai tendance à trouver un peu superficielle et verbeuse. Sans forcément être extravertie, elle ne me donne pas cette matière à réflexion que j'ai tendance à rechercher un peu partout. Evidemment, me direz-vous, gâtée dès mon jeune âge par le grand bibliothécaire argentin Borges (Jorge-Luis), j'ai pris des mauvaises manières...

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    1. Sauf que, là, en l'occurrence, il s'agit de littérature espagnole…

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  4. En effet, mes doigts ont malencontreusement abrégé ma pensée : littérature ibérique et sud-américaine. L'anti-exemple étant justement pour moi Borges qui pèse judicieusement ses mots et procède souvent par sous-entendus...

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  5. Lu votre journal d'avril, un pur régal. Captivant et émouvant, pensées spéciales pour votre fidèle chienne qui a rendu l'âme.
    Mais aussi, du léger, du spirituel, comme vous savez si bien le faire :
    "C’est d’ailleurs pourquoi il avait dû se contenter d’un demi-verre de sancerre au moment de l’apéritif, avant de passer et de se tenir à l’eau minérale. Mais, comme je le lui avais dit un peu plus tôt : « De toute façon, vous êtes censé être en carême… »"

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.