mercredi 5 juin 2019

Devenir coucou


Le désir d'être un oiseau taraude l'homme depuis la plus haute Antiquité, même s'il n'y pense pas tous les jours, en raison des courses qu'il faut bien faire ou des mots croisés qui restent à terminer dans le journal d'hier. Mais quel oiseau ? 

Sont d'emblée écartés ceux qui ne volent pas : à ma connaissance, personne ne s'est jamais rêvé en poule pondeuse ni même en autruche des antipodes. Beaucoup, je crois, choisissent tout spontanément de devenir des aigles, sans doute parce qu'ils sentent bien que, dans leur existence humaine, ils ne le sont nullement ; ou alors par hasard, de temps en temps, presque par accident. Planer majestueusement au-dessus des pics enneigés et des gouffres amers doit flatter leur ego rampant. N'aimant ni la haute montagne ni la neige, c'est une race que je leur abandonne volontiers.

Durant longtemps, il m'a semblé enviable de devenir corbeau, même si l'idée de me nourrir de hérissons écrabouillés sur les bandes d'arrêt d'urgence ne me faisait que moyennement saliver. D'abord parce que sa chair est réputée immangeable, ce qui implique un voisinage à peu près tranquille avec les villageois armés. Ensuite parce que le corbeau est un oiseau intelligent ; peut-être même le plus intelligent. Il est également prudent, méfiant, assez peu liant de nature, presque retors. Mais à quoi bon tant d'intelligence quand on est voué malgré tout à n'avoir jamais qu'une cervelle d'oiseau ? 

Non, tout bien réfléchi, l'idéal, en cas de métamorphose, serait de se réveiller coucou – coucou d'Europe, bien entendu : j'ai peu de goût pour aller découvrir l'Amérique, quant à l'Afrique n'en parlons même pas. Coucou, donc. En premier lieu parce que les ornithologues nous apprennent qu'il s'agit là d'« un nom vernaculaire dont le sens est ambigu ». Cela me va fort bien, moi qui ai toujours rêvé secrètement d'être vernaculaire et ambigu.

Mais surtout, évidemment, il y a cette formidable insouciance reproductrice, qui rend l'existence du coucou très enviable : on se rencontre, on se plaît, on tire un petit coup sur la plus haute branche, on dépose les mômes à l'assistance sans problèmes de conscience particulier, tels des petits Rousseau piailleurs, et on se quitte en excellents termes pour aller manger un morceau, cependant que, tout autour, les autres espèces se tannent le croupion à couver, nourrir, éduquer leurs petits ingrats auxquels on a subrepticement mêlé les nôtres.

Et l'on aura même, parfois, un sourire de commisération, en songeant à ces grands cons prétentieux d'aigles royaux qui, nonobstant leur royauté, se crèvent le plumage à chasser musaraignes et lapereaux dans leurs stupides montagnes ; où, régulièrement, ils sont contraints de supporter les beuglements mégaphoniques de bipèdes écolâtres venus défiler dans les alpages avec la prétention de leur sauver l'espèce et le biotope, en trois slogans et un pique-nique éco-responsable.

Alors que le coucou, sous la ramée sereine, tout le monde lui fout la paix.

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