vendredi 19 janvier 2024

Alejandra sur le banc du parc Lezama


  Commencé, au saut du lit ou quasi, à relire le deuxième roman d'Ernesto Sábato (il n'en a écrit que trois, en cent ans de vie), Héros et Tombes, qui est sans doute le meilleur de la trilogie, celui qu'il convient de lire si l'on a décidé de n'en lire qu'un seul. 

Et c'est ainsi que, oubliant le gel qui, ce matin, cristallise la Normandie, on se retrouve d'emblée assis sur un banc dans un parc de Buenos Aires, le parc Lezama pour être tout à fait exact, observé par une étrange jeune fille aux longs cheveux noirs semés de discrets reflets roux, pas très loin de la villa Devoto, cette prison dont il est longuement question dans Le Chant du coq, ce superbe disque du Cuarteto Cedron, que je possède — d'abord en vinyle, aujourd'hui en CD — et écoute depuis près de cinquante ans. Le soleil décline lentement sur le Río de la Plata, tandis qu'il tarde à se lever ici. Quelque part dans une rue portègne, ou bien aux alentours immédiats du port, au même instant que s'éloigne du parc la longue et flexible fille brune, déambule un réfugié polonais du nom de Witold Gombrowicz, songeant au Trans-Atlantique qu'il s'apprête à écrire.

En attendant le livre du Polonais, il nous faut tomber amoureux d'Alejandra, et d'un amour funèbre puisque nous la savions vouée à l'immolation dès le tout premier paragraphe du roman, extrait d'une chronique policière parue dans le journal de Buenos Aires, La Razón :

« Les premiers résultats de l'enquête ont révélé que l'ancien Mirador qui servait de chambre à Alejandra avait été fermé à clé de l'intérieur par Alejandra elle-même. Ensuite (même si en bonne logique on ne saurait dire au bout de combien de temps), elle tua son père de quatre coups de pistolet calibre 32, pour finalement arroser la pièce d'essence et y mettre le feu. »

Mais mieux vaut, pour le moment, profiter encore de la douceur du soir en s'attardant sur ce banc du parc Lezama.

2 commentaires:

  1. Il me semble que Villa Devoto est un quartier avant d'être une prison.

    Je dis parce qu'il faut bien commenter, hein !

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    1. Certes... mais, moi, j'ai surtout fréquenté la prison !

      DG

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.