vendredi 20 septembre 2024

Le Nazi et le Barbier

Edgar Hilsenrath, 1926 — 2018.

 Malgré ce que le béret pourrait incliner à croire, Edgar Hilsenrath n'était nullement français mais allemand ; juif de surcroît et, durant un temps, pensionnaire obligé de divers ghettos. Ce fut aussi un écrivain, ce qui explique qu'il resurgisse ici.

Très curieux roman que Le Nazi et le Barbier, où le macabre et le burlesque sont intimement liés, où la farce et l'horrible forment un mélange parfait, mais où l'insupportable est tempéré par l'exagération volontaire. C'est ainsi que le narrateur se fait enculer par l'amant de sa mère — lequel est doté d'une bite énorme — alors qu'il est âgé d'à peine une semaine. Plus loin, on rencontre une quinquagénaire allemande, affligée d'une jambe de bois, que les Russes, au moment de la prise de Berlin en 1945, ont violée 59 fois.

Ce narrateur, Max Schultz, n'est pas qu'une victime, loin s'en faut. Fils d'une putain aryenne “de souche”, on le voit s'engager dans la SS et devenir exterminateur dans un camp de la mort, où il massacre sans hésiter plus que cela Itzig Finkelstein, son ami d'enfance, juif indiscutable mais au physique de parfait aryen, tandis que son bourreau, lui, ressemble par une incompréhensible ironie génétique à une caricature de youpin publiée dans le Völkischer Beobachter.

Ce faciès outrancièrement typé va être sa chance ; ou, disons, sa planche de salut : en 45, à l'écroulement de ce Reich qu'il a servi avec zèle et conscience, Max Schulz endosse l'identité de son ami tué par ses soins, après s'être fait déprépucer par un médecin complaisant, un ex-nazi compréhensif. Devenu juif par ce tour de passe-passe, il choisit fort logiquement d'émigrer en Palestine, où il  reprend son premier métier, coiffeur, et devient un intransigeant sioniste. La suite ? La fin ? Je ne sais pas : il m'en reste à lire.

Si j'ai écrit plus haut les mots “bite”, “enculer” et “youpin”, ce n'est pas par puéril désir de choquer les prudes ni les antiracistes de profession, mais parce que Hilsenrath lui-même manie une langue sans périphrase ni litote, une langue souvent verte et roide, qui tressaute et rebondit, un peu à l'image de son effrayant et pitoyable “héros”. Il y a, dans ces quatre cents et quelques pages, un peu de Rabelais et pas mal de Père Ubu : on s'y amuse beaucoup.

Mais enfin, il faut admettre que c'est plutôt une boisson d'homme.

20 commentaires:

  1. J'ai connu une polonaise qu'en prenait au petit déjeuner...

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  2. Lu il y a cinq ou six ans. Pas vraiment aimé, sauf pour l'évocation de la forêt polonaise et la dernière partie, en Israël.
    J'ai retrouvé la même dimension de conte fabuleux dans "La 25e heure". C'est un style qui m'agace, mais dans la «25e heure», toute la trame est vraie, ce qui est vertigineux (la population entière maintenue en camp parce que c'est plus pratique pour les Américains.)

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    1. Je note le Gheorghiu. Je vais même le commander de ce pas (ou de ce clic).

      DG

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    2. Me permets respectueusement de signaler à Maitre Goux les "Mémoires" du même... passionnantes, à moins d'être totalement étranger au genre. (Rocher 1986)
      abbé B.

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  3. Vous pensez vraiment convaincre vos lecteurs, tous wokes revendiqués, d'acheter ce truc ?

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    1. Moïse a bien réussi à ouvrir la Mer Rouge !

      DG

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  4. "Tant s'en faut" ou "loin de là", choisissez. Je sais que la mode est à l'hybride, mais quand même...

    Ursule

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    1. Je ne vois pas ce que vous reprochez à ce "loin s'en faut”, expression qui a papiers en règle et pignon sur rue.

      DG

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  5. Nonobstant son apparence bien de chez nous, certains bicornes y trouvent à redire : https://www.academie-francaise.fr/loin-sen-faut
    U

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  6. C'est amusant de remarquer que parmi les bloggeurs de votre liste de blogs, le social Jégou et le libéral Hashtable ont fait des billets avec des titres similaires ... et un peu crépusculaires.

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  7. "Malgré ce que le béret pourrait incliner à croire ..."
    L'Allemagne n'est peut-être pas le premier pays qui vient à l'esprit lorsqu'on pense aux bérets, mais il existe en fait une longue et solide tradition de port et de fabrication de bérets dans ce pays. L'ancien maire de Berlin, Ernst Reuter, par exemple, était tellement attaché au béret que même ses statues le représentent coiffé d'un béret. Il en va de même pour l'écrivain et prix Nobel Heinrich Böll : on le voyait rarement sans un béret, ou Baskenmütze, sur la tête.

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    1. Ah, vous avez raison : maintenant que vous l'évoquez, je revois très bien Böll ainsi coiffé...

      DG

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    2. Un béret sur une coupe au Boll, ça décoiffe...

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    3. Sauf que l'on prononce Beul...

      DG

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  8. J'avais commencé ce livre puis l'avait lâché, pour prednre ensuite Fuck America qui m'avait fait rire, plus que le barbier...en lisant Hilsenrath, j'y avais trouvé une parenté avec Marc Chagall, je m'étais dit que si l'écrivain avait été peintre il aurait peint des trucs dans le style de Chagall et, Chagall si écrivain aurait écrit des trucs dans le style de Hilsenrath..

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    1. Le rapprochement ne semble pas dénué de sens, en effet. (Si tant est que puisse en juger un gros nul comme moi dans le domaine pictural...)

      DG

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.