Comme presque toutes les décisions graves et douloureuses, celle-ci fut prise très vite, un soir du mois dernier : dès qu'il aurait fini de perdre ses dernières feuilles, le tilleul qui occupe désormais tout l'espace entre la maison et la Case serait abattu. Parce qu'il devient trop gros, envahissant, disproportionné à son modeste environnement. Justement, depuis deux ou trois jours, il a commencé de jaunir, sans bien sûr savoir qu'il allait laisser choir sa feuillée pour la dernière fois de son existence. Et voilà que, par ce début d'agonie, je me sens moins assuré du forfait que nous méditons : ces quelques feuilles pâlissantes me sont un reproche ; encore discret, mais on sent bien que la pression va aller s'aggravant. Alors, je m'arme, me cuirasse et me caparaçonne. Lorsque mes yeux se portent vers l'arbre, je ne manque pas de lui adresser les plus vifs reproches quant aux saletés qu'il épand à plaisir sur la terrasse et dans les gouttières, d'un bout du printemps à l'autre de l'automne. Je lui assure que nous serons bien soulagés lorsque, lui disparu, nous pourrons enfin voir un bout de ciel au-dessus du jardin – et je feins de ne pas entendre les protestations piaillées des oiseaux qui comprennent bien que leur restaurant d'hiver est promis à déménagement. Je me comporte comme la Françoise de Proust, qui insultait le poulet du dimanche lorsque celui-ci ne se laissait pas tuer assez facilement à son gré. Et, sachant que le voisin d'en face viendra récupérer et débiter le colosse pour se chauffer de lui cet hiver, je tâche de ne pas trop écouter la petite mirlitonnade de Brassens qui tente de me coloniser la mauvaise conscience :
Comme du bois de caisse, amère destinée,
Il périt dans la cheminée…
C'est pas un drame pour tout le monde :
RépondreSupprimerAujourd'hui, avec l'outillage moderne, les feuilles pourries se font souffler le chignon comme une vulgaire catin chez Jacques Dessange.
Et ça leur coûte pas un rond !
Georgette Platane dans : "Les feuilles mortes se ramassent à la peine"
Peut-être planter un jeune arbre à la place?
RépondreSupprimerMéfiez-vous Didier, les vieux arbres sont comme les vieux chiens. On en garde la nostalgie.
RépondreSupprimerExtraordinaire photo et texte magnifique ! Il arrive que vous nous enchantiez.
RépondreSupprimerGeorgette : on ne ramassait jamais les feuilles, on attendait qu'elles veuillent bien disparaître d'elles-mêmes.
RépondreSupprimerLa Crevette : pas la peine, il y a un gros cerisier juste derrière !
Farr : c'est bien ce que je me dis…
Denis : c'est mon côté powète du dimanche.
On voit très clairement qu'il pousse un cri qui ressemble à celui de Munch.
RépondreSupprimerEcoutez le et accordez lui une remise de peine, un sursis.
Je précise que ce tilleul n'est pas notre tilleul.
RépondreSupprimerSinon je n'aurais jamais osé porter la main sur lui.
et puis c'est bien connu, les tilleuls mentent
RépondreSupprimerEt le nôtre joue de déverveine…
RépondreSupprimerVu que c'est pas encore fait, il reste toujours le fameux "ah remettons à l'année prochaine" qui est bien dans le tiroir "procrastination".. assorti avec un peu de "cette année on le taille juste en brosse (un tilleul?? audacieux donc)pour voir si ça ne serait pas vivable comme ça , finalement.. ah nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés... Geargies
RépondreSupprimerSi c'est celui du voisin, c'est une autre affaire. Le tilleul vous bouche la vue sur le voisin? Est-ce un avantage ou un inconvénient? Si c'est un inconvénient, l'abattre est une bonne chose! Si c'est un avantage, le voisin que vous serez alors peut-être contraint d'abattre lui aussi court un risque. Faites-le lui remarquer, il reviendra peut-être sur sa décision d'avoir moins froid cet hiver.
RépondreSupprimerSavez-vous que seuls, les tilleuls mentent ?
RépondreSupprimerAh ! Bah ! Nous sommes tous mortels. Juste quand ses os crépiteront dans la cheminée de l'infernal hiver ; quand son âme étincellera entre les chenets ; quand la chaleur de tout son corps noueux et vénérable vous éteindra et vous étreindra en plus, de ses ultimes maux d'esprit ; juste, il faudra lui crier : "Merci tilleul !"
RépondreSupprimerC'est tout.
Je fais la même chose avec mes chaussettes trouées.
Ah mais !
@ Yann : les agrès le font aussi, mais c'est plus sportif, c'est vrai.
RépondreSupprimerIci un sénat à gauche (pffff!!!), là un tilleul qu'on abat. Tout fout le camp.
RépondreSupprimerLe voisin devra attendre deux, trois ans. Le tilleul doit d'abord s'évaporer..
Quelle atroce idée ! Déplacez plutôt la turne !
RépondreSupprimerEn parlant d'arbre à abattre et de l'ami Georges méfiez vous:"Est il encore debout le chêne ou le sapin de mon cercueil?"
RépondreSupprimervous aimez vous faire vous, c'est bien vu le cri de Munch
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