La nauséabonderie va parfois, cette grande vicieuse, se nicher en des refuges où nul ne s'attendrait à la trouver. Ainsi, hier, je relisais l'excellent livre de Michel Pastoureau, Bleu – histoire d'une couleur, pour des raisons qui n'ont pas à être révélées ici (se reporter au journal de juillet, parution prévue le 31 août, pensez à réserver dès maintenant votre exemplaire). Comme s'en doute déjà le lecteur, même légèrement embourbé du bulbe, il y est question de la couleur bleue, de sa perception à travers les âges ; de son destin, n'ayons pas peur des grands mots-qui-brillent. A priori, donc, un petit parcours tranquille, qui ne devrait pas risquer de nous faire retomber dans la profonde ornière des heures les plus sombres (hi ! hi !) de notre histoire. Or voici que, soudain, au détour de la page 72 de l'édition originale (Seuil), je tombe sur le paragraphe qui envoie tout en l'air. Voici ce qu'on y lit (c'est moi qui souligne) :
« Cette étroite spécialisation des activités de teinture n'étonne guère l'historien des couleurs. Elle doit être rapprochée de cette aversion pour les mélanges, héritée de la culture biblique, qui imprègne toute la sensibilité médiévale. Ses répercussions sont nombreuses, aussi bien dans le domaine idéologique et symbolique que dans la vie quotidienne et la civilisation matérielle. Mêler, brouiller, fusionner, amalgamer sont souvent des opérations jugées infernales parce qu'elles enfreignent l'ordre et la nature des choses voulus par le Créateur. Tous ceux qui sont conduits à les pratiquer de par leurs tâches professionnelles (teinturiers, forgerons, alchimistes, apothicaires) éveillent la crainte ou la suspicion, parce qu'ils semblent tricher avec la matière. »
Aversion pour les mélanges ? La fusion comme opération infernale ? L'affaire est jugée : nos ancêtres médiévaux, je suis au regret de vous le dire, étaient des nazis. Ils se tenaient à carreau (mais pas à rayures : encore une invention du diable, les tissus rayés !) parce qu'on n'avait pas encore inventé Adolf Hitler, mais ils n'en pensaient pas moins ; ils se tenaient là, dans le repli des siècles, attendant leur heure, élevant des cathédrales gothiques pour s'occuper les mains en attendant de pouvoir bricoler des fours.
Le métissage comme infraction à l'ordre et à la nature des choses : on se demande où ils allaient chercher des aberrations pareilles, et surtout comment, au XXIe siècle, âge de toutes les lumières tamisées, d'aucuns peuvent perpétuer une vision aussi répugnante des choses. À moins que, comme le prétendait le Général, les Français soient tous des médiévaux.
Très bon billet !
RépondreSupprimerJ'espère que la photo présente un Bleu d'Auvergne et non cette saleté de fromage de brebis issu des causses pelés du Rouergue.
Évidemment, tiens !
SupprimerMonsieur Goux, vous devriez en référer immédiatement à notre Ministre de la justice , Taubira qui se fera un devoir d'interdire les couleurs non mélangées et hop le Bleu aux poubelles de l'immonde.
RépondreSupprimerEn héraldique, le bleu se dit Azur , c'est encore plus insupportable.
L'azur passé au bleu, en somme.
Supprimer"au XXIe siècle, âge de toutes les lumières tamisées"
RépondreSupprimerTamisées, puis progressivement éteintes si j'en crois les dernières informations relatives à l'éclairage nocturne... C'est "nazi" ou pas d'éteindre les lumières ?
Geneviève
Il faut demander ça aux progressistes appointés : ce sont eux, les experts en nazisme.
SupprimerLes progressistes ont écrit l'Histoire de France depuis 1789, interprété à leur sauce celle de l'ancien régime, je pense qu'en effet il serait judicieux de s'en remettre à eux pour obtenir des information complètes et objectives sur le nazisme. On sait la pertinence de leurs analyses, leur volonté de s'approcher de la vérité, alors oui, demandons-leur de nous éclairer.
SupprimerToute recherche d'ironie dans ce commentaire est bel et bien justifiée.
Et vous n'avez pas lu "Le Mystère du Vieil Testament". Pour rappel, les mystères sont des pièces de théâtre religieux du moyen âge, de très grande ampleur et représentées sur plusieurs jour.
RépondreSupprimerDans ce mystère, qui narre tout le contenu de l'Ancien Testament, on apprend la cause du Déluge : des lignées humaines ont décidé d'enfreindre l'interdiction de Dieu de "mêler leurs sangs". Ce métissage lui a tellement déplu qu'il a balancé la flotte.
Dieu est nazi, qu'est-ce que vous voulez y faire ?
En effet, il n'y a plus qu'à se résigner et à ressortir nos crois de fer du grenier.
SupprimerJe crois dur comme fer que nos croix de fer prennent un x au pluriel.
SupprimerPas impossible, en effet…
SupprimerD'un autre côté, ces règles d'orthographe sont tellement discriminantes vis-à-vis des jeunes défavorisés que j'ai l'impression d'avoir fait œuvre pie en la massacrant ainsi.
C'est très juste, et en même temps il me faut faire un gros effort d'imagination pour envisager qu'un jeune défavorisé écrive un jour cette phrase.
SupprimerEn revanche je ne peux pas vous proposer de ce fait l'assistance à la mise en route et la formation sur site ou dans vos locaux de façon incluse.
SupprimerC'est ce qui rend ce blog irremplaçable : il stimule l'imagination de ses lecteurs.
SupprimerAlors ça c'est quand même incroyable.... votre blog publie dans notre dos des phrases que l'on est en train d'écrire par ailleurs dans des e-mails totalement séparés (voir ma dernière intervention totalement involontaire). N'auriez-vous pas des liens avec M.Snowden ?
SupprimerLe jeu de mot final est refusé au contrôle technique.
RépondreSupprimerJ'avais pourtant pris soin de graisser quelques pattes afin qu'il le passe…
SupprimerCe spirituel billet aborde, sans en avoir l'air, un point important de l'histoire des sciences et des techniques, mais comme je n'ai pas lu le livre cité...
RépondreSupprimerVous devriez : il est tout à fait passionnant et on y apprend beaucoup de choses (enfin, moi…), notamment du point de vue des techniques, précisément.
SupprimerAversion pour les mélanges = la fameuse "haine de soi-même" ?
RépondreSupprimerPastoureau, pastourelle, mauvais berger, mauvaise bergère... la fusion des races, une vieille manie, un vieil héritage, un vieil objectif des frères trois points pour ne se limiter qu'à eux et rester correct !...
RépondreSupprimerLe bleu dérange les rouges, les roses et les rubiconds. L'attaque du bleu par le mauvais berger, la plus pure des couleurs dans sa valeur absolue à en croire la symbolique des couleurs (Dictionnaire des symboles - Chevalier/ Gheerbrant) ne peut surprendre que le béotien.
Le béotien de toute façon n'y voit que du bleu.
Pour l'Allemand, être bleu, c'est perdre conscience par l'alcool.
Dans le combat du ciel et de la terre, bleu et blanc s'allient contre rouge et vert, comme témoigne souvent l'iconographie chrétienne, nous disent les ces deux bons auteurs. Je laisse les bons zigs méditer.
Ce n'est pas non plus une raison pour se passer en boucle Bleu Blanc Blond, avé l'accent, de l'inoxydable Marcel Amont, chanson éminemment raciste !!! Oh la la !!!
Les nazis se cachaient même parmi les humanistes du XVIème siècle. Je suis en train de lire l'excellente Histoire de la réforme protestante, de Bernard Cottret, et l'auteur explique que Jean Calvin avait une aversion pour les mélanges: "La volonté de retrouver le caractère original du christianisme l'amène à récuser par avance le métissage culturel. Entre le paganisme et le christianisme, il faut choisir". Si ce n'est pas nauséabond, ça...
RépondreSupprimerVoilà, c'est exactement ce genre de billet, plaisant à lire, avec une citation bien amenée, qui me plonge finalement dans une perplexité anxieuse qui confine à l'irritabilité lorsque je cherche à l'approfondir.
RépondreSupprimerJ'exagère un peu, cela va de soi, mais l'essentiel y est.
Il y a certainement un ordre naturel, un ordre des choses, et on peut concevoir que certains s'y attachent plus particulièrement, mais enfin, de l'alchimie au métissage, de la politique à la teinturerie, vous avez conscience que vous mélangez là des réalités qui n'ont que peu de choses en commun, à part un bon mot, un bon billet, on peut pas tirer grand chose de cela, c'est trop superficiel.
Pourtant, c'est cette accumulation de superficialités, de billets qui sonnent de la même manière, qui semble définir le caractère réactionnaire de votre pensée.