Enfant, je pensais que les seaux dits hygiéniques, ce qu'ils n'étaient guère, obéissaient aux mêmes coutumes que les humains, c'est-à-dire portaient des noms différenciés et bien distincts les uns des autres ; ainsi, celui qui était encore en usage dans les années soixante, à la conciergerie de la Chambre de Commerce de Sedan, s'appelait-il Jules ; et mon grand-père René prononçait chaque soir (du moins est-ce là mon souvenir) la phrase rituelle : « Il faut que j'aille vider Jules. » – et il y allait.
En grandissant, j'ai bien dû constater que la plupart des seaux hygiéniques de nos provinces, qu'ils fussent encore en service ou ne subsistassent plus que dans les mémoires, s'appelaient presque tous Jules – et je ne laissais pas de m'étonner de cette homonymie fraternelle. Ce n'est qu'hier que l'explication m'a été donnée, par Jean de La Varende, dans l'une des nouvelles de son recueil Heureux les humbles, paru en 1951 à l'enseigne de la librairie Plon.
Dans La Phœbé ou le dernier des galériens, récit se déroulant en 1760, l'écrivain nous informe que les forçats enchaînés à leur banc d'infamie se soulageaient dans un pot de fer, qui était rangé du côté de l'eau, sous les jambes du dernier rameur, lequel avait pour charge de le vider par-dessus bord lorsque cela s'avérait nécessaire. La Varende nous enseigne également que, un siècle avant son histoire, durant la Fronde, les galériens avaient eu l'idée gentiment blasphématoire de baptiser leur pot Mazarin, lequel n'était point fort aimé, ainsi que l'on sait. Comme nommer aussi clairement le cardinal pouvait se révéler hasardeux, y compris pour des forçats, le mazarin devint prudemment Jules.
La Varende conclut ce paragraphe en précisant que ce nom « est encore employé dans beaucoup de ports, et mêmes aux campagnes de l'Ouest ». Je puis donc lui assurer que, à l'époque où il écrivait cela, et encore un peu ultérieurement, Jules vivait également aux marches de l'Est, pas loin des boucles de la Meuse, par la grâce de René tout au moins.