Vargas Llosa a bien raison, qui affirme que La Régente est le
meilleur roman espagnol du XIXe siècle. En réalité, mes piètres
lumières en cette matière particulière ne me permettent pas d'affirmer
que c'est le meilleur, mais c'est en tout cas un excellent roman. S'il
n'était déjà pris, Leopoldo Alas aurait pu l'intituler Scènes de la vie de province,
puisque c'est de cela qu'il s'agit : la peinture, à la fin du siècle en question,
de la “bonne” société (y compris ses domestiques, plus quelques coups de
projecteurs sur les pauvres) de Vetusta, une ville de province
espagnole dont on nous dit que le modèle serait Oviedo, lieu natal de
l'auteur. L'Église y est évidemment très présente, elle est même, dans
son ensemble, l'un des pivots de ce roman sans véritable intrigue.
Notamment par la personne du Magistral, don Fermin De Pas, on lorgne du côté du Zola de La Conquête de Plassans, avec une brusque embardée, au milieu des 750 pages, vers celui de La Faute de l'abbé Mouret
; mais un Zola qui aurait hérité de l'humour d'un Dickens, avec un brin
de cruauté flaubertienne. Par moment, on songe aussi à une sorte de
pré-Proust que l'on aurait plongé dans un milieu fortement clérical – et,
bien entendu, également anticlérical, l'un n'allant jamais sans l'autre
au XIXe. C'est une lecture très agréable, facile et coulant de source,
malgré une construction plus subtile qu'il n'y paraît d'abord et
mettant en scène un grand nombre de personnages. On pourrait reprocher à
Alas un certain statisme dans les caractères qui semblent ne pas devoir
évoluer du début jusqu'à la fin ; je dis “semblent” car, venant à peine
d'atteindre la mi-roman, il est possible qu'il me réserve quelques
surprises. Mais ce sont des caractères bien dessinés, parfaitement
individualisés, et baignant constamment dans une sorte d'indulgence
malicieuse, qui pourrait bien être la marque de cet écrivain, que je suis fort aise d'avoir découvert.
Et pour lorgner du côté de Zola, qui pourrait trouver mieux que les lorgnons de Zola ? (pas pu me retenir non plus...)
RépondreSupprimerPas seulement le lorgnon d'ailleurs : je leur trouve un air de ressemblance…
SupprimerAh oui mais là avec ce titre ironique, on ne comprend plus bien l'intérêt.
RépondreSupprimerSi vous ne comprenez pas l'intérêt d'"un Zola qui aurait hérité d'un humour à la Dickens, avec un brin de cruauté flaubertienne" ajouté à "une sorte de pré-Proust", le tout "d'une lecture très agréable, facile et coulant de source..." personne ne pourra rien pour vous !
SupprimerLe titre n'était nullement ironique ; plutôt calembourien, si je puis dire.
SupprimerMerci pour l'explication...
SupprimerJe n'ai personnellement jamais vraiment su accrocher sur cette littérature sud-américaine que j'ai tendance à trouver un peu superficielle et verbeuse. Sans forcément être extravertie, elle ne me donne pas cette matière à réflexion que j'ai tendance à rechercher un peu partout. Evidemment, me direz-vous, gâtée dès mon jeune âge par le grand bibliothécaire argentin Borges (Jorge-Luis), j'ai pris des mauvaises manières...
RépondreSupprimerSauf que, là, en l'occurrence, il s'agit de littérature espagnole…
SupprimerEn effet, mes doigts ont malencontreusement abrégé ma pensée : littérature ibérique et sud-américaine. L'anti-exemple étant justement pour moi Borges qui pèse judicieusement ses mots et procède souvent par sous-entendus...
RépondreSupprimerLu votre journal d'avril, un pur régal. Captivant et émouvant, pensées spéciales pour votre fidèle chienne qui a rendu l'âme.
RépondreSupprimerMais aussi, du léger, du spirituel, comme vous savez si bien le faire :
"C’est d’ailleurs pourquoi il avait dû se contenter d’un demi-verre de sancerre au moment de l’apéritif, avant de passer et de se tenir à l’eau minérale. Mais, comme je le lui avais dit un peu plus tôt : « De toute façon, vous êtes censé être en carême… »"