J'ai finalement trouvé le moyen de ne plus être importuné par les démarcheurs téléphoniques – que leur race soit maudite jusqu'au jour du Jugement –, ou en tout cas de l'être nettement moins. Je suis heureux de vous faire profiter de ma trouvaille. Elle est fort simple : il suffit, lorsque votre téléphone se met à sonner, de prendre la communication… et de vous abstenir de communiquer ; c'est-à-dire de vous cantonner dans une inébranlable expectative en demeurant impeccablement muet. Si, par extraordinaire, votre numéro a été composé par une vraie personne, laquelle est connue de vous et a effectivement des choses à vous dire, elle va forcément, après une seconde ou deux de silence, se manifester par des sons articulés, tels que : « Allo ? », ou bien : « Machin Truc ? », ou encore : « Il y a quelqu'un ? », voire : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille », mais c'est nettement plus rare. Si cela se produit, c'est que vous êtes toujours dans la vie réelle, le monde d'avant : comportez-vous alors comme vous en avez l'habitude. Dans le cas contraire, qui tend à devenir le plus fréquent, il peut se passer deux choses, exclusives l'une de l'autre :
1) Une voix féminine enjouée et enregistrée vous félicite d'avoir gagné un superbe… (Là, en principe, vous avez déjà raccroché) ; ou bien, moins enjouée mais tout aussi féminine, vous informe qu'une anomalie a été détectée dans votre… (clic !).
2) Dès que vous-même avez dit “allo ?”, ou bien “j'écoute !”, ou encore “l'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable”, une voix non enregistrée mais toujours féminine va se manifester sans attendre, avec un accent blédard fleurant bon les ruelles tortueuses et les murs blanchis à la chaux, pour vous demander si vous êtes bien Monsieur Goux, ou Monsieur Didier, vu qu'elle ne fait pas la différence entre votre nom et votre prénom – un peu comme vous avec Abdelaziz et Bouteflika. Bien entendu, comme vous êtes un être civilisé, c'est-à-dire en voie de disparition, vous répugnez à raccrocher au nez d'une demoiselle, fût-elle ultra-méditerranéenne, et vous voici donc embarqué dans des phrases maladroites, des excuses empêtrées, des interruptions vicieuses – tout cela vous faisant complètement perdre le fil de ce qu'était occupé à vous raconter Paul Léautaud, en son entrée de journal du 18 avril 1938, alors que, justement, André Gide venait d'entrebâiller la porte de son bureau du Mercure de France. Bref, vous finissez tout de même par vous débarrasser d'Aïcha, mais vous sentez bien que le sourd agacement qui subsiste en vous va mettre un certain temps à s'évacuer. Du coup, vous plantez là Gide et Léautaud, pour sortir fumer une cigarette sur le balcon, ce qui n'est pas très bon pour votre santé…
Or, grâce à ma méthode – que nous devrions, j'y songe, nommer la “Méthode Coi” –, vous pouvez vous épargner de tels désagréments. En effet, l'expérience a prouvé que si, après avoir empoigné le récepteur, on restait absolument silencieux, dans plus de neuf cas sur dix la communication s'interrompait d'elle-même, sans qu'aucune Zoubida ne se soit manifestée, ni même aucun son fait entendre. Ce qui vous a permis, à vous, de prendre la communication puis de l'abandonner sans pour autant interrompre Léautaud, puisque rien ni personne n'est venu vous distraire de lui.
Pourquoi, si l'on ne prend pas l'initiative de la parole, la communication s'interrompt-elle presque toujours, avant même d'avoir commencée ? Diverses hypothèses et théories sont en cours d'élaboration, au 19 de la rue de l'Église, ce sera pour une prochaine fois : je ne voudrais pas, m'étalant indûment, faire plus de tort à Léautaud que le fléau dont nous venons de parler ; je sens qu'il ne me le pardonnerait pas.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.