En début de soirée, hier, j'ai terminé L'Œuvre au Noir. Roman superbe, d'une écriture à la fois dense et d'une lumineuse limpidité, un roman “historique” – on y suit toute la vie de Zénon, médecin, philosophe et alchimiste flamand du XVIe siècle – qui évite avec un naturel parfait, et comme allant de soi, tous les pièges du genre. Et j'avais bien hâte de poursuivre mes lectures yourcenardiennes, grâce au volume Pléiade devant arriver ici dans quelques jours, qui contient les Œuvres romanesques de la dame.
Seulement, il fallait les franchir, ces quelques jours. Quoi lire en attendant ? Quel pont jeter entre Marguerite et Marguerite ? Quelle œuvre devais-je choisir qui ne pâtît pas trop du voisinage avec les siennes ? Quel écrivain élire qui ne fît pas triste figure et, en outre, me permît de rester plus ou moins dans la tonalité ? Bien entendu, j'ai trouvé (si j'étais resté sec, je ne serais pas occupé à écrire ce billet, on s'en doute) : André Fraigneau.
Au début des années trente, peut-être encore précairement assurée du lesbianisme qui allait devenir son estampille, Marguerite Yourcenar tomba assez violemment amoureuse de l'écrivain qui était également son éditeur, André Fraigneau donc, que quinze ans plus tard, les fameux Hussards allaient revendiquer comme figure plus ou moins paternelle ; ou disons : grand-fraternelle. Si l'on était adepte des gamineries psychanalytiques, on suggérerait ici que l'inconscient sexuel de Marguerite l'a, pour ménager l'avenir, habilement poussée à jeter son dévolu sur un homme parfaitement hors de son atteinte, puisque homosexuel lui aussi, et résolument. De fait, pour s'exprimer en langage brut, la future dame aux foulards des Monts-Déserts (Maine, USA) se prit alors un méchant râteau, dont elle n'allait pas tarder à se consoler auprès de Grace Frick, passant ainsi des bras fermés de son éditeur français à ceux grand ouverts de sa traductrice américaine.
J'ai donc, voilà une couple d'heures, rouvert Les Étonnements de Guillaume Francœur, ensemble de trois courts romans ayant pour pivot commun le personnage éponyme, écrits à peu près à l'époque où leur auteur claquait la porte de sa chambre au nez de l'éplorée Marguerite. Jusqu'à présent, c'est un choix dont je n'ai qu'à me féliciter : je me trouve En bonne compagnie, pour reprendre un autre titre de Fraigneau. Mais il ne faudrait tout de même pas que l'académicienne traînât trop en chemin.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.