Voilà bien un recueil de chroniques gastro-œnologiques dont je déconseillerais vivement la lecture entre onze heures et midi et demie, ainsi qu'entre six heures et demie et huit heures du soir : la puissance des évocations culinaires de l'ogre du Michigan, jointe aux tiraillements naissants, ou renaissants, de votre propre estomac, risquerait fort de vous faire jaillir incontinent de votre fauteuil et vous précipiter vers placard ou frigo pour y avaler n'importe quoi en trop grande quantité : vous vous y couperiez l'appétit, ce qui serait fort dommage, et peu respectueux de la personne qui, en ce moment même, s'affaire à préparer votre prochain repas.
En revanche, à toutes les autres heures du jour ou de la nuit, c'est une lecture hautement recommandable, aussi savoureuse et gouleyante qu'il se doit vu son thème, où la richesse des plats et des crus évoqués – et même invoqués – n'empêche jamais un certain enjouement sautillant, capricant, de l'écriture. Mais, de même que tout homme de bien, au sortir de son déjeuner, ne pose qu'une seule question, la seule qui vaille : « Et pour le dîner, il y a quoi ? », de même ici, le lecteur à la fois repu et mis en appétit, se demande, en proie à un léger vertige : « Après ça, que lire ? »
Évidemment, il pourrait toujours accompagner sa digestion avec l'un des piliers de la gastronomie littéraire qui attendent sans broncher sur la desserte et sont tellement incorruptibles par le temps que leur emballage cartonné ne présente pas la moindre date de péremption : Saint-Simon ? Plutarque ? Montaigne ? Voire ces Guerres de Vendée d'Émile Gabory, achetées sous l'influence du Gabier d'Alvaro Mutis, commencées dans l'enthousiasme puis abandonnées et mise en sursis à la première escarmouche bocagière ? Mais on sent bien que, tout savoureux qu'ils fussent, ils se raccorderaient mal au Gueuleton dont on sort tout juste. On a beau avoir son label grand écrivain, n'est pas post-prandial qui veut ! Non, décidément, il y faudrait autre chose…
Et bien sûr on trouve, guidé par Harrison lui-même qui l'évoque à deux ou trois reprises : Brillat-Savarin. Cette Physiologie du goût dont les trente Méditations sont autant de parodies virevoltantes et badines. La voici bien, la lecture parfaite d'après-agapes harrisonniennes ! Et l'on passe allègrement outre l'avis de Baudelaire, qui qualifiait ce livre de “faux chef-d'œuvre”. Mais c'était, nous rappelle Jean-François Revel dans son introduction, parce qu'il trouvait que Brillat-Savarin y faisait une place vraiment trop chiche au vin – reproche qu'il ne pourrait décemment faire à Jim Harrison.
À toute chose il faut un contrepoids ; et la nourriture ne serait rien sans l'appétit, ni le vin sans la soif. Il fallait donc, aux légèretés et aux volutes de Brillat-Savarin, proposer un contrebalancement efficace, quelque chose de plus roide et métallique qui procure une autre sorte d'euphorie, en quelque sorte curative de celle de la table. C'est-à-dire, on l'a déjà compris, celle de l'autel. Dans ce rôle, Du Pape de Joseph de Maistre a semblé être le meilleur choix et a donc été adopté.
On verra bien, à l'usage, comment se marieront les saveurs, se combineront les ivresses.
Indigestions littéraire et cinématographique ce jour, puisque qu'après lecture de ce billet je suis tombé sur le Festin de Babette rediffusé aujourd'hui sur Arte. Film que Baudelaire, malgré un Clos de Vougeot de 41 d'âge servi en 1886, n'aurait certainement pas mieux apprécié que le recueil de Brillat-Savarin, puisqu'il reposait déjà au cimetière du Montparnasse depuis une vingtaine d'années, c'est ballot.
RépondreSupprimerJe souris tout seul en imaginant la tête de ce pauvre Baudelaire contraint de regarder de bout en bout ce Festin de Babette…
SupprimerPour la mayonnaise, ils préconisent quoi ?
RépondreSupprimerJe vous dirai ça, si Brillat-Savarin aborde ce délicat sujet.
Supprimer(Pour le camarade de Maistre, ça m'étonnerait un peu.)