« Pour ne pas céder à la tentation politique, il faut se surveiller à chaque instant. Comment y réussir, singulièrement dans un régime démocratique, dont le vice essentiel est de permettre au premier venu de viser au pouvoir et de donner libre carrière à ses ambitions ? Il en résulte un pullulement de fanfarons, de discutailleurs sans destin, fous quelconques que la fatalité refuse de marquer, inhabiles à la vraie frénésie, impropres et au triomphe et à l'effondrement. C'est leur nullité cependant qui permet et assure nos libertés, que menacent les personnalités d'exception. Une république qui se respecte devrait s'affoler à l'apparition d'un grand homme, le bannir de son sein, ou du moins empêcher que ne se crée une légende autour de lui. Y répugne-t-elle ? C'est qu'éblouie par son fléau, elle ne croit plus à ses institutions ni à ses raisons d'être. Elle s'embrouille dans ses lois, et ses lois, qui protègent son ennemi, la disposent et l'engagent à la démission. Succombant sous les excès de sa tolérance, elle ménage l'adversaire qui ne la ménagera pas, autorise les mythes qui la sapent et la détruisent, se laisse prendre aux suavités de son bourreau. Mérite-t-elle de subsister, quand ses principes mêmes l'invitent à disparaître ? Paradoxe tragique de la liberté : les médiocres, qui seuls en rendent l'exercice possible, ne sauraient en garantir la durée. Nous devons tout à leur insignifiance et nous perdons tout par elle. Ainsi sont-ils toujours au-dessous de leur tâche. »
vendredi 26 mars 2021
Du pullulement des fanfarons politiques
Ayant rouvert Histoire et utopie de Cioran, livre écrit en français à la fin des années cinquante, j'y tombe sur un paragraphe doublement frappant, en ceci qu'il me paraît être pertinent pour toutes les époques dans sa première moitié et spécialement vrai pour la nôtre quant à ses dernières lignes. On le trouvera à la page 1014 de l'édition “Quarto” de Gallimard. Le voici :
Voilà qui peut être considéré comme un appel à voter pour Ségolène Royal pour sauvegarder nos libertés...
RépondreSupprimerJe ne sais pas si ce pauvre Emil serait allé jusque-là, tout de même !
SupprimerEt, avant lui, Zébulon puis Culbuto…
RépondreSupprimerMême pour un optimiste déprimé comme je le suis, ce genre de lecture que vous nous proposez va me transformer en pessimiste affligé et poitrinaire. C'est pas forcément gentil.
RépondreSupprimerJe trouve, moi, de manière peut-être paradoxale, que la lecture de Cioran a toujours quelque chose de roboratif.
SupprimerQuelles sont donc les forces qu'il nourrit en vous ?
SupprimerLe monde s'interroge...
Certes, mais la crainte qu'avait Cioran de voir apparaitre une personnalité d'exception me semble moins fondée aujourd'hui. Notre république aurait elle été efficace pour niveler la population et limiter ce risque?
RépondreSupprimerCe n'est pas parce qu'un événement semble très improbable qu'il ne va pas arriver… et tout mettre cul par-dessus tête !
SupprimerLà-dessus, lire Le Cygne noir de Nassim Nicholas Taleb.
Rien de nouveau sous le soleil ! C'est plutôt rassurant !
RépondreSupprimerCioran est, paradoxalement, un écrivain très rassurant.
SupprimerJe me demande si ce n'est pas à cause des femmes qu'il n'y a plus de grands hommes ?
RépondreSupprimerBibi
Vous allez vous retrouver au tribunal, vous, si vous persistez dans cette voie déplorable et nauséabonde !
SupprimerLe chapitre s’intitule : « à l’école des tyrans ». Une belle page en effet, et ce qui est le plus frappant est non pas la beauté mais la densité du style comparable en cela à Tacite. Cette manière tranche avec celle de nos littérateurs contemporains dont la plupart ont un style au mieux relâché, au pire négligé. C’est sans doute une des caractéristiques de notre époque qui distend au lieu de concentrer, qui étale au lieu de ramasser, preuve d’une décadence du verbe concomitante à celle des mœurs, des institutions et du reste...Lisons ou relisons donc aussi les Annales ; le miroir de notre temps ?
RépondreSupprimerC'est amusant car je viens à l'instant de lire une page de Cioran (dans Ecartèlement) où il parle… de Tacite.
SupprimerIl ressemble à Michel Sardou, en plus souriant.
RépondreSupprimerJ’adore Sardou 😘
Hélène
J'ai découvert tout récemment (une vieille émission de télévision sur Toitube…) que Sardou était un homme fort drôle.
Supprimer"Succombant sous les excès de sa tolérance, elle ménage l'adversaire qui ne la ménagera pas, autorise les mythes qui la sapent et la détruisent..."
RépondreSupprimerNous y sommes.
Pourquoi croyez-vous que j'aie recopié cet extrait précisément ?
SupprimerC'est obligé le taudis en arrière plan?
RépondreSupprimerCioran vivait rue de l'Odéon, dans trois chambres de bonnes reliées entre elles pour en faire, vaguement, un appartement.
SupprimerLa photo est prise chez lui.