Catherine : « J'ai l'impression qu'on est en vent d'est, vu la manière dont l'arbre penche… »
Moi : « C'est normal qu'il penche puisqu'il est un peuplier ! »
Sans s'annoncer, l'esprit de Maurice Goux venait de faire irruption au Plessis-Hébert, ce qui lui arrive quelquefois.
Maurice Goux était notre grand-père paternel commun. C'était un grand amateur de calembours déplorables (« Tu veux du poisson pané ? – Non, je ne pourrai pas le manger… puisqu'il est pas né ! » On voit le genre). Il était aussi, même à un âge déjà confortable, amateur de farces qu qui ne devaient guère amuser que lui, mais dont certaines se sont perpétuées dans la famille, se muant au fil des décennies en des sortes de mini-sagas proches de l'épique. Témoin celle-ci :
J'avais quatre ans, à quelques mois près dans un sens ou dans l'autre. En visite chez nous, à Châlons-sur-Marne, Maurice Goux vient de m'entraîner dans une promenade aux alentours de la rue Saint-Éloi. Peut-être ma mère l'a-t-elle envoyé chercher le pain ? On ne saura pas.
Toujours est-il que nous voici, le vieil homme et l'enfant, arrêtés devant la devanture d'un commerce du quartier. Mon grand-père me glisse alors une pièce de monnaie dans la main et, entrouvrant la porte trop lourde pour moi, m'enjoint :
« Tu vas aller voir la dame, là-bas, et lui demander un camembert bien fait. Tu sauras ? »
Évidemment que je saurai, tiens : je ne suis plus un bébé tout de même !
En effet, je me suis parfaitement acquitté de cette mission de confiance, à la profonde stupéfaction des gens, commerçants et clients, qui se trouvaient là, puisque la boutique où j'étais entré se trouvait être une pharmacie.
Et c'est sans doute avec une certaine réprobation pincée que la pharmacienne a pu, de son comptoir officinal, contempler outre-vitrine ce sexagénaire indigne qui se bidonnait tout seul sur le trottoir.