mardi 21 septembre 2021

Maurice ou le camembert bien fait

Catherine : « J'ai l'impression qu'on est en vent d'est, vu la manière dont l'arbre penche… »

Moi : « C'est normal qu'il penche puisqu'il est un peuplier ! »

Sans s'annoncer, l'esprit de Maurice Goux venait de faire irruption au Plessis-Hébert, ce qui lui arrive quelquefois.

Maurice Goux était notre grand-père paternel commun. C'était un grand amateur de calembours déplorables (« Tu veux du poisson pané ? – Non, je ne pourrai pas le manger… puisqu'il est pas né ! » On voit le genre). Il était aussi, même à un âge déjà confortable, amateur de farces qu qui ne devaient guère amuser que lui, mais dont certaines se sont perpétuées dans la famille, se muant au fil des décennies en des sortes de mini-sagas proches de l'épique. Témoin celle-ci :

J'avais quatre ans, à quelques mois près dans un sens ou dans l'autre. En visite chez nous, à Châlons-sur-Marne, Maurice Goux vient de m'entraîner dans une promenade aux alentours de la rue Saint-Éloi. Peut-être ma mère l'a-t-elle envoyé chercher le pain ? On ne saura pas. 

Toujours est-il que nous voici, le vieil homme et l'enfant, arrêtés devant la devanture d'un commerce du quartier. Mon grand-père me glisse alors une pièce de monnaie dans la main et, entrouvrant la porte trop lourde pour moi, m'enjoint :

« Tu vas aller voir la dame, là-bas, et lui demander un camembert bien fait. Tu sauras ? »

Évidemment que je saurai, tiens : je ne suis plus un bébé tout de même !

En effet, je me suis parfaitement acquitté de cette mission de confiance, à la profonde stupéfaction des gens, commerçants et clients, qui se trouvaient là, puisque la boutique où j'étais entré se trouvait être une pharmacie. 

Et c'est sans doute avec une certaine réprobation pincée que la pharmacienne a pu, de son comptoir officinal, contempler outre-vitrine ce sexagénaire indigne qui se bidonnait tout seul sur le trottoir.

mardi 14 septembre 2021

Le fantôme de Bernard V.L.

 

Je découvre à l'instant que Jean-François Kahn publie ses mémoires, que je ne lirai pas : non par animosité mais par désintérêt. Je n'ai jamais rencontré Jean-François Kahn. En revanche – les associations d'idées sont les seules associations que je tolère –, son nom a immédiatement fait ressurgir celui de Bernard Veillet-Lavallée ; sans doute parce que le jour baissait et que c'est un homme que je n'ai jamais vu que de nuit.

On se croisait au Big Buddah. Moi parce que j'y tenais assises, en ces années quatre-vingt, lui parce qu'il passait y boire  un certain nombre de verres en sortant du Matin de Paris voisin, journal dont il assurait le bouclage. En général, il était déjà fort entamé lorsqu'il poussait la porte de ce minuscule et chaleureux établissement.  Veillet-Lavallée suscitait le respect de quelques-uns de ses confrères parce que, totalement imbibé, il était capable, à onze heures du soir, de rédiger en vingt minutes un article clair et concis à propos de la dépêche d'agence qui venait de tomber inopportunément au moment où tout le monde commençait à se détendre. Juché sur l'un des trois ou quatre tabourets de bar,  il enchaînait les verres à une cadence dont j'étais moi-même impressionné.

Je me souviens qu'un jour, suite à une discussion probablement un peu vive, quoique sans doute bredouillante et filandreuse, il a claironné qu'il allait séance tenante me “casser la gueule”. En dehors du fait qu'il avait à peu près vingt ans de plus que moi, je ne m'étais pas du tout inquiété, sachant par expérience que, s'il se déjuchait un peu trop impétueusement de son tabouret à longues pattes, il allait se casser la gueule tout seul, ce qui lui était déjà arrivé plusieurs fois en ma présence, et encore d'autres les soirs où par extraordinaire je n'étais pas là.

On s'est ensuite moins vu. Bernard Veillet-Lavallée avait quitté Le Matin pour suivre Jean-François Kahn, qui venait de créer L'Événement du jeudi. Il y jouait, auprès de lui, et à l'en croire, le rôle de garde-fou, ce qui semblait étrange, ou en tout cas paradoxal, à ceux qui le connaissaient : « Jean-François a dix idées par jour. Mon boulot est de lui faire oublier les huit idées absurdes et d'essayer de mettre sur pied les deux qui restent… »

N'étant plus voisin, il venait moins souvent au Big Buddah ; mais enfin, il continuait à surgir certains soirs, jamais à jeun, empreint de cette cordialité acide qui était sa marque, toujours susceptible de se muer d'une minute sur l'autre en une agressivité sans objet réel et oubliée la minute suivante.  Quand il sentait qu'il était arrivé au bout de lui-même, il demandait à Francis, le barman chevelu, de lui appeler un taxi. La voiture s'arrêtant devant la porte, il dégringolait de son tabouret avec plus ou moins de bonheur en  essayant de déclamer sa phrase rituel : « Bon, maintenant… je vais au claque ! » À part lui, je n'ai jamais entendu personne utiliser ce mot suranné pour désigner un endroit qui pouvait tout autant être un bar à putes bien réel qu'une fantasmagorie de bordel d'avant-guerre.

Je n'ai jamais rencontré Bernard Veillet-Lavallée en dehors du Big Buddah. Du coup, je ne suis pas absolument certain qu'il ait vraiment circulé en ce monde en même temps que moi.

mercredi 8 septembre 2021

En route vers une vieillesse heureuse

Au départ, il y eut les asiles de vieillards. Ça disait fort bien ce que ça voulait dire : qu'il s'agissait d'une sorte de refuge (les deux mots sont à peu près synonymes) où l'on recueillait les personnes trop âgées pour continuer à se suffire à elles-mêmes – ou dont leurs enfants, plus “modernes”, voulaient se débarrasser, vu qu'ils faisaient des saletés partout, pis que le chien. 

Un jour, on a recrépi l'asile de neuf, on a mis des rideaux aux fenêtres et disposé des pots de géraniums un peu partout. Cela méritait bien un second baptême : ainsi sont nées les maisons de retraite. Elles disaient déjà moins bien, car ce n'est nullement le fait d'avoir cessé le travail qui conduit les vieux (les personnes en situation de grand âge…) en ces endroits, mais bien le fait qu'ils perdent le contrôle de leur propre existence.

Un autre jour encore, un crâne d'œuf administratif, probablement fêlé, s'est avisé qu'il serait bon de s'affranchir une fois pour toutes et totalement de la réalité. Et les maisons, ex-asiles, sont enfin, pour la plus grande satisfaction de tous, devenus des Ehpad, création acronymoïdale qui, pour bien revendiquer le fait qu'elle n'a plus rien à voir avec les anciens mots, ceux qui avaient encore l'impudence de signifier quelque chose, refuse de prendre la marque du pluriel, même quand elle est légion. On imagine déjà très bien quel pourrait être demain, voire ce soir même, le slogan publicitaire de ces antichambres de l'enfer :

Grâce à mon e-Pad, je reste connecté dans mon Ehpad !

Et nous aurons enfin une vieillesse heureuse.

mardi 7 septembre 2021

Bella Chao

J'ai passé l'entier après-midi d'hier, lafumesquement avachi au jardin, à lire le livre que Ramon Chao a consacré à Juan Carlos Onetti, uruguayen pour l'état civil et l'un des plus grands romanciers de l'Amérique latine du XXe siècle, sinon l'un des plus connus. 

Il s'agit d'un long entretien – deux cents pages – qui, à la fin des années quatre-vingt, s'est déroulé à Madrid, dans l'appartement de l'écrivain exilé, lequel, des jours durant, a reçu son interlocuteur comme il avait l'habitude de recevoir tout le monde en ses vieux jours, à savoir dans son lit

Chao a conçu son livre d'une manière caractéristiquement onettienne, si bien que, régulièrement, le lecteur a l'impression d'avoir été poussé dans une sorte de labyrinthe, où plusieurs voix lui parviennent sans qu'il soit toujours bien assuré de savoir qui est en train de lui parler : l'écrivain ? son interlocuteur ? tel personnage de l'un des romans évoqués ? La personne réelle qui a inspiré à l'écrivain le personnage en question ? Et cette personne réelle, l'est-elle vraiment ? Enfin, on voit le genre… 

Inutile de préciser, je pense, que ce livre ne présente aucun intérêt pour qui ne connaîtrait pas l'œuvre d'Onetti – ou au moins, comme c'est mon cas, un ou deux de ses livres majeurs, par exemple La Vie brève. Ce qui revient à dire que ce billet ne s'adresse à peu près à personne. Néanmoins, il convient de le terminer dignement.

Je me rappelle avoir vu à la télévision, dans les mêmes moments où paraissait ce livre, une assez longue émission consacrée à Onetti ; laquelle, dans mon souvenir, émanait d'une chaîne espagnole, ce qui n'aurait rien d'étonnant, l'Uruguayen déraciné ayant passé les dernières années de sa vie dans ce pays. L'écrivain, de tout l'entretien, n'a jamais quitté la posture qu'on lui voit sur la photo que j'ai choisie, ne cessant de siroter des verres de whisky et allumant une cigarette après l'autre. La seule différence est que, cette fois-là, et toujours d'après mon incertaine mémoire, il était en pyjama.

Plusieurs des romans d'Onetti se déroulent dans une ville imaginaire, Santa Maria, qui est un mélange entre Montevideo et Buenos Aires. Je dis cela de confiance, n'ayant jamais mis les pieds dans aucune de ces deux capitales. Certes, je connais un peu Buenos Aires, mais les images que j'en ai me sont parvenues au travers de différents prismes déformants et parfois contradictoires, ceux tendus par  les livres de Julio Cortazar, de Roberto Arlt ou d'Ernesto Sabato, voire celui fourni par le Trans-Atlantique de Witold Gombrowicz. Si l'on en croit Onetti – et pourquoi douterait-on de lui ? –, Santa Maria est une ville essentiellement peuplée d'ivrognes, de putes et de leurs maquereaux, plus quelques médecins douteux et à l'identité évanescente. On s'y perd facilement – elle est faite pour cela –, mais à la fin on s'y retrouve toujours, et on s'y retrouve enrichi, si l'on est un lecteur attentif et de bonne volonté.

Pour ce qui est de Ramon Chao, je n'avais à ce jour lu aucun de ses livres ; mais je me souviens que mon ami Carlos le fréquentait, à l'époque où il “pigeait” à Radio France Internationale dont Chao était le responsable pour l'Amérique latine, bien qu'étant lui-même espagnol.

Je sais aussi que Ramon a eu un fils prénommé ou surnommé Manu, qui a plus ou moins réussi dans la variété exotique – mais on sera aimable de ne pas m'en demander davantage à ce sujet.

Juan Carlos Onetti est mort à 85 ans – dans son lit évidemment –, ce qui prouve bien que le whisky et la cigarette conservent. Et l'Espagne aussi, peut-être.

mercredi 1 septembre 2021

D'Artois en Argonne

 

Poilus attendant de pied ferme l'arrivée d'un microbe chinois.

On aura beaucoup guerroyé, en août.