Mon père, ma mère et moi… |
L'autoroute devient soudain très longue ; on ne sait même pas si on va retrouver le chemin et rentrer chez soi. On a vu auparavant ce visage, coiffé d'un bonnet incongru ; ce personnage vaguement familier, assis au bord de son lit. A-t-il souri en nous voyant ? On n'est pas très sûr. Mais alors, qu'est-ce qu'on était content, de le trouver assis ! C'était comme une promesse, presque une résurrection, à laquelle personne ne croyait ! Mais tout de même : assis…
Tout s'est écroulé rapidement, on aurait dû s'en douter. Assis ? il ne savait même pas pourquoi. Se recoucher ? Incapable de le faire seul. Mais comment le toucher, cet homme ? Le traiter comme un enfant ? Pencher son oreille vers ses borborygmes ? Avancer la main vers sa peau de Ramsès ? Comment faire ça ? Le recoucher, donc. Remballer ces baguettes chinoises qui lui servent désormais de jambes sous les couvertures. L'entendre.
« J'ai mal… » Et, ensuite : « Je suis mal… » Quoi faire, face à ce regard vide qui ne semble pas vous reconnaître ? Mais qui, peut-être… J'ai mal, ou je suis mal ? Comment savoir ? Il ressemble tout de même à un père qu'on a eu, cet homme décharné ! Lorsqu'il ferme les yeux, il a terriblement l'air de son futur cadavre, c'est sûr, mais enfin, il vit, apparemment.
Et il se plaint, il ne fait que cela : « J'ai mal… » Et juste après : « Je suis mal… » Bien sûr qu'il est mal, puisqu'il va mourir. Et on lui dit quoi ? Rien. En tout cas, moi, rien. Je ressors de cette chambre, il y a du grand vent dehors, et des cris de mouettes, c'est très bien, ça me sèche les trucs qui m'empêchent de conduire et de ramener la voiture et Catherine à la maison.
J'y arrive, finalement. C'est très pénible, Catherine se tait, moi aussi. Et l'autoroute qu'on connaît par cœur devient soudain très longue, très bruyante, pleine de phares qui donnent envie de s'arrêter sur le bas-côté. J'ai tellement l'impression de crisper mes mâchoires que, quand j'arrive à la maison, j'ai en en effet les mâchoires toutes crispées.
Après ça, on prend un petit apéro, pendant que les chiens ronflent dans leurs paniers, et on parle de mon père.