Le ciel a brusquement haussé le ton, sa main s'est appesantie sans faiblir sur les toits et les faîtes ; l'orage a éclaté tout proche, tel un coup de théâtre, l'ordinateur s'est éteint et la lampe avec lui, sans doute à leur corps défendant ; les oiseaux se sont tus, hébétés, et nous aussi ; il ne restait que la mitraille sur les tuiles et le grand stroboscope de l'atmosphère ; plus, sur l'herbe frais taillée, les grêlons rebondissant comme un pop-corn céleste.
vendredi 29 avril 2016
mercredi 27 avril 2016
mercredi 20 avril 2016
Les proverbes qui refoulent et les dictons qui puent
Il a tout à fait raison, ce bon Slobodan Despot : de notre grand sac à proverbes, dictons et autres adages, s'exhalent des puanteurs dont on se demande comment notre époque si délicate du naseau peut encore en tolérer l'existence. Au lieu de se passer le joint et de s'épouiller les uns les autres, les grands bâilleurs de fond des Nuits républicaines feraient bien de sortir les seaux et les moppes (québéquisme) pour s'attaquer à ces écuries d'Augias : ils auront de quoi frotter et récurer, dans cette grande nauséabondance lexicale. Il serait facile de proposer maint autre exemple, mais cantonnons-nous à celui de Despot : chat échaudé craint l'eau froide ; c'est de la plus obscène imprécation ! Car enfin, cessons un instant de nous focaliser sur ce malheureux greffier et sa mésaventure aquatique pour élargir le concept : qu'insinue-t-il, ce dicton, si bonasse de première apparence ? Qu'un matou ébouillanté une fois passera ensuite le reste de sa vie à se méfier même de l'eau froide ; dans le doute, si on peut dire. Est-ce que cette pusillanimité féline ne serait pas un peu amalgamiste sur les bords ? C'est comme s'il ignorait ce que nous savons, nous, êtres pensants, parfaitement : que 95 % au moins des étendues d'eau sont délicatement tièdes, d'un calme absolu, et ne demandent qu'à clapoter en excellente harmonie avec tous les chats de la création. Et il faudrait que ces mares, ces étangs, ces rus, ces lacs et ces rivières pâtissent éternellement d'un injuste ostracisme, sous prétexte qu'un jour, ce crétin à coussinets et moustaches a eu l'imprudence – bien blâmable au fond – de s'approcher un peu trop près d'une lessiveuse pleine d'eau bouillante ? Ce serait un comble ! On fait très bien, finalement, de tenir les chats en haute suspicion.
lundi 18 avril 2016
Le Moulin sur la Floss
Il est encore trop tôt pour parler de cette œuvre de George Eliot : commencée hier matin, je n'en ai lu qu'à peine deux cents pages sur les sept cents qu'elle comporte. Mais c'est que je n'en pouvais plus, ouvrant ce blog, de retomber chaque fois sur la une du fanzine communiste, avec l'olibrius débraillé et agressif qui s'y pavane. Donc, mieux vaut le buste pensif, douloureux même, de la grande romancière anglaise.
Sachant que Marcel Proust avait dit plusieurs fois, dans ses lettres, mais aussi, je crois bien, dans tel ou tel article écrit pour la NRF, son admiration pour Le Moulin sur la Floss, j'essaie de relire le roman “avec ses yeux” – toutes proportions gardées, il va de soi –, pour tenter de discerner ce qui a pu l'y séduire et quelle parenté avec sa Recherche on y trouvere éventuellement. Pour cette première partie (sur sept) que je viens de finir, et qui baigne dans un climat d'enfance pouvant en effet rappeler Combray, ma récolte n'est pas si mauvaise : j'ai coché trois ou quatre pages, en me promettant d'y revenir une fois le livre terminé. Le ferai-je ? C'est toute la question.
vendredi 15 avril 2016
La contagion selon L'Humanité
Le camarade Gauche de Combat (Adolfo Ramirez pour les intimes) s'extasie sur cette une de L'Humanité, bulletin communiste financé par nous tous dans la joie pluraliste et la bonne humeur citoyenne. Il a raison, elle proclame tout ce qu'il y a à dire, avec une franchise telle qu'il paraît difficilement pensable que les folliculaires qui l'ont montée aient pu avoir conscience des vérités qu'ils laissaient échapper. Il y a d'abord, bien sûr, ce qui saute aux yeux du nouveau monde promis, c'est-à-dire ce jeune homme racailleux et pléthoriquement dentu, qui exhibe sa béance buccale mais interdit qu'on le regarde dans les yeux. Il y a aussi son geste qui, renforcé par l'agressivité de la mine, semble bien nous indiquer le chemin de la sortie, ou de l'exil, plutôt que la route fleurie conduisant à l'avenir radieux. Il y a enfin ce mot qui hurle si fort que personne, à la rédaction de L'Humanité, ne doit l'avoir entendu : ce qui se répand désormais, par les voies et les chemins du monde, c'est ce contre quoi il va bientôt devenir impossible de se protéger et, à plus forte raison, de s'immuniser : des germes.
mardi 12 avril 2016
Ici l'ombre
On entend souvent dire, et parfois d'un ton si docte qu'il semble n'admettre aucune réplique contradictoire, que les chats adorent le soleil. Il serait plus juste, et plus prudent, de se contenter de l'assertion suivante : la plupart des chats adore le soleil. Chez nous, la proportion tombe même à 50% : Boulou, la chose obèse que l'on peut contempler en relevant très légèrement les yeux, ne se couche jamais ailleurs qu'à l'ombre. Et ce ne peut être le fait du hasard dans la mesure où, s'il se trouve dans le jardin, on le verra changer de place à intervalles réguliers, afin d'échapper aux manœuvres sournoises de l'astre se déplaçant dans le ciel et de rester toujours à l'abri de ses rayons ; s'il a choisi la terrasse, exposée plein sud, au plus fort de l'après-midi, on ne le repèrera jamais ailleurs que dans le rectangle ombreux produit par la table de bois ; et, là encore, il bougera subtilement avec l'avancée des heures, à seule fin d'y demeurer.
On prétend aussi que les chats ont horreur de l'eau. En dehors du fait que j'en ai connu un qui n'aimait rien tant que sauter dans la baignoire pleine dès que son maître s'y trouvait (que de que, mon Dieu, que de que !), le même Boulou n'est jamais dérangé d'aller se coucher dans l'herbe haute lorsqu'elle est encore ruisselante de la rosée matinale. Heureusement, sur nos deux félins, l'autre semble à peu près normal.
mardi 5 avril 2016
samedi 2 avril 2016
Les revenants fugitifs
Est-ce parce que nous avons passé l'essentiel de cette journée en compagnie de Matthieu et Marie-Adeline, ridiculement jeunes (ils ne semblent même pas s'en apercevoir), que nous nous sommes mis à évoquer après leur départ des fantômes plus vieux que nous, partiellement oubliés ? Possible. Nous en sommes arrivés à nous dire que la mort se déréalisait volontiers, lorsque les gens n'étaient plus dans la constante ligne de mire ; en tout cas la leur, de mort. Ce maquettiste de FD, par exemple, que tout le monde appelait Nunu, qui me paraissait déjà vieux quand je suis arrivé, et dont, avec une certaine consternation, je me suis aperçu que sa véritable identité m'était incertaine (Bernard Périot est le nom qui m'est finalement revenu, mais je ne jurerais de rien) : est-il vivant encore ou bien mort ? Dans ce deuxième cas, comment le saurais-je ? Nous n'étions que collègues, c'est-à-dire à peu près rien : qui (et pourquoi ?) m'aurait averti de sa mort ? Se poser la question à propos de celui-ci fait immédiatement surgir dix ou vingt autres hommes ou femmes, dont le visage s'était estompé un moment, parfois beaucoup d'années. Sont-ils morts ? Sont-ils encore vivants ? Je mourrai moi-même sans le savoir, et eux non plus. Notre vie est ainsi peuplée de gens disparus, soustraits à l'écoulement de nos jours, dont le cœur bat peut-être encore, ou bien non, et dont nous ne savons rien.
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