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Leçon numéro un : ne pas trop se pousser du col. |
Je ne sais pas ce que valaient les trois premiers Détour mortel, et à mon avis on risque d'avoir du mal à trouver des survivants pour nous les raconter. En tout cas, le numéro 4 est parfait : rien d'inattendu, pas d'innovations dérangeantes, de fantaisies perturbatrices ; tout est prévu, balisé, rassurant. Dès le début, on sait bien que les neufs jeunes gens des deux sexes partis faire les fous à motoneiges vont se perdre ; que, perdus, ils vont arriver, nuit tombée, devant une immense bâtisse pourvue de tout le confort, mais déserte ; et dont la porte leur aura été généreusement ouverte pour leur donner l'envie d'y passer la nuit. Ces crétins sont évidemment les seuls à ne pas se douter un seul instant qu'une maison aussi vaste, isolée et disponible, recèle forcément en ses entrailles des zombis, ou des dégénérés mentaux, ou un tueur psychopathe, ou un alien assoupi, ou une section très active des jeunesses socialistes. Donc, ils s'installent, l'un des trois garçons fait des farces idiotes aux filles pour leur faire peur, et comme elles ont peur elles le traitent de asshole.
Au moment où Catherine partait se coucher, juste après le générique, je lui ai prédit : « Normalement, ils devraient très vite ouvrir un placard et y trouver de l'alcool. » Elle n'était pas au lit depuis cinq minutes qu'une bouteille de whisky même pas entamée faisait en effet son apparition. Juste avant, les motoneigeux avaient mis la main sur des dossiers vaguement médicaux, montrant que l'endroit avait abrité, fut un temps, des dégénérés mentaux et physiques à tendance violente et vaguement cannibale. Leur dégénérescence physique se voit très bien, grâce aux photos d'identité grossièrement photoshoppées qui sont jointes aux dossiers.
Le jeu, dans ce type de films, consiste pour le spectateur averti à essayer de deviner dès le début qui a une chance de survivre au générique final, qui va mourir dans les premiers, etc. Là, c'est difficile car ils sont plus nombreux que d'ordinaire. Évidemment, j'élimine d'entrée de jeu la blonde qui ne dit pas grand-chose et semble tristement inutile : il est évident qu'elle n'est là que pour lancer le jeu, pour intéresser la partie par une gentille pendaison artisanale suivie d'une décollation à l'arrachée (notre photo). Mais les autres ?
La partie est rendue encore plus délicate par le fait qu'il y a, dans cette faune ricanante, un couple lesbien. Comme ces deux brouteuses sont en outre l'une noire et l'autre asiatique, on se dit que, sur ces deux paratonnerres à modernité, il y en a forcément une qui devrait survivre : aucun réalisateur soucieux de sa carrière ne peut se permettre de zigouiller deux gouines diverses en un seul film.
Après ? Quoi, “après” ? Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? C'est comme d'habitude, après ! Les trois psychopathes à dents cariées qui vivent dans la bâtisse présumée déserte se mettent à massacrer tout le monde – en commençant par la blonde parce qu'ils ont le sens des convenances –, les filles hurlent, les garçons roulent des biceps, l'une des deux brunes joue les raisonneuses, en général à contretemps, etc. Et, bien entendu, on ne peut pas fuir, à cause de la tempête de flocons mais aussi parce que les dégénérés ont piqué aussi bien les doudounes fourrées que les bougies des motoneiges.
La seule scène amusante est celle où le petit blond plutôt moins stupide que ses camarades se fait prendre et ligoter sur une sorte d'étal de boucher. Là-dessus, deux des tarés de souche entreprennent, avec des mines gourmandes, de découper de larges steaks dans ses cuisses, ses bras, son ventre, sans se soucier de ses hurlements et de ses appels à l'aide.
(Appels à l'aide que les autre guignols, retranchés je ne sais plus où, entendent très bien eux aussi. Mais comme la raisonneuse a suggéré que ce pourrait être un piège, ils vont mettre dix minutes pour se décider à lui porter secours : des bons potes, comme on voit.)
Pendant ce temps, le troisième larron fait chauffer une bassine d'huile. Ensuite, quand elle bouillonne, il ne reste plus qu'à découper les steaks humains en petits cubes, à les piquer au bout d'une longue fourchette, et voilà une délicieuse fondue bourguignonne qui ne doit rien à personne. Comme ils sont dégénérés, les dîneurs ont oublié de préparer les petites sauces qui, en principe, rehaussent si bien la viande grillée à point. Après ce repas sur le pouce, on retourne équarrir le reste de la bande…
… Sauf la gouine noire et la raisonneuse, qui ont réussi à sortir et qui courent dans la neige. Mais elles sont poursuivies par le plus éveillé des carnivores (il a remis les bougies sur l'un des motoneiges). Grâce à une ruse aussi idiote qu'incompréhensible par le spectateur à demi assoupi, elle s'en débarrassent et filent vers la liberté sur le motoneige, en riant de joie et de bonheur alors qu'elles ont tout de même perdu sept petits camarades en moins d'une heure. Elle se serrent tellement l'une contre l'autre sur leur engin qu'on se demande si la raisonneuse n'est pas en train de se convertir au gazon elle aussi.
Là-dessus, on suppose que le réalisateur reçoit un e-mail de la production, l'avertissant qu'il n'a pas été retenu pour assurer le tournage de Détour mortel 5. Furieux de cette mise à l'écart, il tend rapidement un fil de fer en travers de la piste enneigée, à environ un mètre vingt du sol ; et voici que volent gracieusement dans les airs et au ralenti les têtes de nos deux brouteuses, la professionnelle et l'apprentie.
Juste avant le générique, on voit arriver l'un des trois gourmets au volant d'un camion hors d'âge et ramasser les deux têtes qui, en effet, font un peu désordre dans ce paysage immaculé – mais pas plus que les deux corps décapités qu'il laisse sur place. Puis il repart vers de nouveaux festins, et c'est fini.