lundi 31 juillet 2023

Nous aurons les Hurons !


 Les Indiens d'Amérique ont débarqué ici fin juillet.

jeudi 27 juillet 2023

La guerre des buralistes


 Jusqu'à une date récente, quand un fumeur de mon petit coin de France voulait acheter ses cigarettes, il avait le choix entre deux échoppes : “chez les Chinois”, ainsi surnommée parce que tenue par un couple d'Asiatiques aux sexes complémentaires, ou bien “chez les pédés”, où officiait une paire d'homosexuels mâles. J'avais personnellement mes habitudes chez ces derniers, non par je ne sais quelle sinophobie (ni du reste par une quelconque homophilie), mais parce que leur boutique ne faisant pas bistrot, elle m'évitait le côtoiement de consommateurs certes parfaitement européens et probablement de mœurs courantes, néanmoins braillards, avinés et volontiers péremptoires.

Or, il y a déjà quelque temps, est apparu “chez les pédés” un nouveau vendeur... chinois. Comme les deux patrons homos étaient toujours là, je me suis dit qu'ils avaient simplement embauché un grouillot et qu'il l'avaient choisi asiatique histoire d'établir un genre de solidarité entres minorités opprimées. 

Mais voici que, lors de mon dernier achat tabagique, mes minoritaires sexuels avaient proprement disparu du paysage pour céder la place à deux minoritaires raciaux. Depuis, je me perds en conjectures, sur fond d'angoisse diffuse : s'agit-il d'une simple embauche supplémentaire ? Ou bien mes ostracisés de la bébête ont-ils été victimes d'une OPA féroce de la part des Chinois qui, chacun le sait bien, sont toujours fourbes et cruels de nature ? Et dans ce second cas, s'agit-il d'un hasard ou existe-t-il des accointances secrètes entre les Chinois de “chez les Chinois” et les Chinois de “chez les pédés” ? Enfin, les deux Chinois de “chez les pédés” sont-ils eux-mêmes de mœurs hétérodoxes, c'est-à-dire homos, ou bien bêtement hétéronormés, à l'instar du couple chinois de “chez les Chinois” ?

Un tel imbroglio de questions qui ne recevront sans doute jamais de réponses... Ce serait vraiment un coup à cesser de fumer.

mardi 25 juillet 2023

e-Comité de e-salut e-public


 Un crétin twitteroïdal écrit ceci (le “style” est d'origine, qu'on me pardonne…) : 

« Faut se sentir de lâcher en pleine heure de grande écoute au JT commun de France 2 et TF1 “Nul en République n'est au-dessus des lois” quand 1 tiers de ton gouvernement est mis en examen ou bientôt jugé […]. » 

Il ne semble pas être venu à l'esprit de cet abruti qu'être mis en examen prouve justement que l'on n'est pas au-dessus des lois. Ni bien entendu qu'être “bientôt jugé” revient à être toujours innocent, en vertu de la présomption du même nom.

Mais je suppose que, désormais, évoquer la dite présomption conduit, pour ces petits fouquiers et ces minuscules tinvillettes, à faire le jeu de l'extrême droite ; voire, pis encore, à contribuer au réchauffement climatique.

vendredi 21 juillet 2023

Dear old Fellowes !


 Les cinéphiles et les amateurs de séries télévisées connaissent bien Julian Fellowes – devenu Lord Julian Fellowes en 2011 ; les cinéphiles parce qu'il fut le scénariste oscarisé du Gosford Park de Robert Altman ; les autres parce qu'ils ont vu, et donc aimé, Downton Abbey, peut-être aussi ses deux créations moins connues mais tout aussi réussies : Belgravia qui, comme son nom l'indique, se passe à Londres, et The Gilded Age qui nous transporte à New York (mais toujours, Dieu et Julian en soient loués, chez les riches,  ces “heureux du monde” dont parlait Edith Wharton, avec ce qu'il faut d'ironie, il y a un siècle).

Mais savait-on qu'avant d'être scénariste de premier plan, notre dear old Fellowes avait longtemps été acteur de seconde zone, au cinéma comme à la télévision, en Angleterre mais aussi en France (on peut le croiser dans le Place Vendôme de Nicole Garcia) ? Et qui se doutait, ici en tout cas, qu'il était également romancier ? 

Depuis hier je suis plongé dans le premier de ses trois “opus”, sobrement intitulé Snobs. Il m'a été récemment, au milieu d'autres livres de belle facture, offert par un ami (dont je tairai le nom, de peur qu'il ne voie bientôt son humble chaumière envahie par des hordes de blogueurs parasitaires, avides de profiter cyniquement de sa générosité livresque), que je remercie au passage pour les excellentes heures que je passe grâce à lui.

Le nom de Julian Fellowes brillera-t-il en éternelles lettres de feu dans le panthéon magnifique de la littérature anglaise ? Probablement pas, non. But who cares ? Et après tout qu'en sais-je ? De toute façon, la question n'est pas là. D'ailleurs, il n'y a même pas de question : il y a une évidence. Dès les premières pages de Snobs, le lecteur sait qu'il ne lâchera pas l'affaire avant le point final, et que ces quatre cents pages seront comme un voyage parfait, dépourvu de cahots douloureux et d'embardées trop brutales, tout à la fois familier et réservant de petites surprises presque à chaque tournant de route. 

On pourrait dire aussi que l'on tient en main un très beau fruit, dans lequel il suffit de mordre une fois pour savoir que sa pulpe a juste ce qu'il faut d'acidité pour en fouetter la saveur et la texture sans jamais les dénaturer. Ce pourra sembler n'être pas grand-chose, mais cela change agréablement de tous ces romans-fruits qui réussissent le prodige d'être à la fois verts et blets.

Le “pitch” de Snobs pourrait difficilement être plus pauvre et plus mince qu'il n'est en apparence. On pourrait, rien que pour lui, créer le terme de pitchounet. La belle Edith Lavery est la fille d'un expert-comptable vaguement enrichi, lui-même petit-fils d'un Juif ayant fui la Russie pogromesque de Nicolas II. Grâce au narrateur, un comédien de seconde zone (tiens, tiens !) ayant des accointances avec divers membres de la bonne société, sa route croise celle du comte Charles Broughton, le dessus de panier de l'aristocratie. Elle devient par mariage Lady Broughton (je ne casse aucun suspense, la chose étant évidente dès les dix premières pages). Quelques mois plus tard, toujours par l'entremise du narrateur, elle va se trouver en présence de Simon Russel, acteur de séries télévisées (re-tiens, tiens !) beau comme un dieu et gaulé comme un légionnaire.

Voilà, c'est tout. Ce pourrait être le prélude d'une guimauve insipide. Et même, logiquement, ça devrait l'être. En fait, non. Parce que, sur cette tête d'épingle, Julian Fellowes va faire tenir trois planètes et leurs habitants : l'aristocratie pétrie d'une morgue d'autant plus courtoise qu'elle est haute, la bourgeoisie qui ne rêve que d'accéder au “paradis” de la noblesse, et le petit monde du showbiz, qui feint d'être libéré de tous ces préjugés et envies ridicules mais dont Fellowes nous montre qu'il est en réalité régi par des lois de castes aussi impérieuses que les deux autres.

Édith Lavery, c'est le satellite qui se retrouve placé aux confins des sphères d'attraction de ces trois planètes sur lesquelles, tour à tour, elle va tenter de régner. Ou, au moins, de s'y tailler une place qu'elle s'est imaginée enviable.

La force principale de Julian Fellowes, outre le fait essentiel qu'il connaît fort bien les trois “planètes” que j'évoque, c'est qu'il parvient toujours à conserver un équilibre parfait entre l'ironie que lui inspirent les mœurs sociales et culturelles qui y règnent (l'acidité dont je parlais il y a un instant) et la tendresse souriante qu'il ressent pour tous ses personnages sans exception. Le résultat est un roman…

Bon, je pourrais, au prix d'un petit effort, trouver une demi-douzaine de qualificatifs disant tout le bien que je pense de Snobs. Je vais faire plus simple et rapide :

Snobs est un roman qui se lit comme un roman.

lundi 17 juillet 2023

Le parapluie de Joyce


 La façon à la fois drôle et subtilement vicieuse qu'a Joyce Carol Oates de, comme on dit, “ouvrir le parapluie”. Son roman Hudson River est dédié “À mes amis de Princeton, qui ne sont nulle part dans ces pages”. Le parapluie est d'autant plus prudent que le milieu dans lequel elle nous plonge, cette petite ville de l'État de New York, peuplée de nantis, intellectuels ou artistes pour beaucoup, tous impeccablement généreux et de gauche – au moins en apparence –, mais passablement frustrés (les hommes) et névrosés (les femmes), tout cela fait irrésistiblement penser au milieu universitaire dans lequel Oates a baigné durant près de 40 ans. Et comme sa dédicace prend bien soin, pour feindre de l'écarter, de nous désigner Princeton, même le lecteur le plus distrait ne pourra manquer de faire le rapprochement : c'est le côté malicieusement vicelard de la chose. On dirait un peu Proust s'évertuant à persuader Robert de Montesquiou que son baron de Charlus n'a rien, mais alors, là, vraiment rien à voir avec lui.

Il est du reste étonnant, ce roman, étonnant et réjouissant, dans lequel le personnage central meurt d'entrée de jeu, et dont la mort, tel un virus surpuissant se répandant dans l'air, va suffire à ronger tous les masques, détruire les souriantes apparences et rendre béantes les minuscules failles de toute une communauté, pourtant si béatement satisfaite d'elle-même et se contemplant dans tous les miroirs avec une admiration que la modestie affichée dissimule assez mal. En voici le tout premier paragraphe :

« Est-ce juste ? Vous quittez votre maison de Salthill-on-Hudson, un après-midi chaud et humide de 4 juillet, pour vous rendre à un barbecue (une invitation que vous avez acceptée on ne sait pourquoi, sans en avoir vraiment envie), et vous y revenez quelques jours plus tard sous forme de cendres dans une urne funéraire d'un goût douteux : grosse poudre granuleuse, fragments et éclats d'os qui finiront répandus, dispersés et mêlés au râteau à la terre friable de votre propre jardin. De l'engrais pour mauvaises herbes. »

En mourant, Adam Berendt va en effet, durant les cinq cents pages suivantes, servir d'engrais à de mauvaises herbes, dont certaines plutôt du genre toxique ; mais qui ne seront que très secondairement celles de son jardin.

mercredi 12 juillet 2023

Milan sans remords

Milan Kundera, 1 avril 1929 – 11 juillet 2023.

 Naître un premier avril ne prédispose guère au sérieux, du moins le suppose-t-on. C'est sans doute pourquoi les deux premiers livres de Kundera furent par lui intitulés Risibles amours (Směšné lásky pour les tchécophones) et La Plaisanterie (Žert). Le fait d'avoir accroché ces deux poissons de papier dans le dos des mafieux communistes qui, à cette époque, mettaient son pays en coupe réglée a bien failli faire tourner la plaisanterie au vinaigre, mais c'était trop tard : Milan se trouvait déjà à Paris. C'est là que, le premier juillet 1981, François Mitterrand fit de lui un citoyen français dûment estampillé, en même temps qu'il rendait un identique service à l'Argentin Julio Cortazar, autre grand plaisantin polygraphe. (Certains, des nauséabondants de la pire espèce, insinuèrent par la suite que ce furent là les deux seules nationalisations réussies du régime socialiste, alors encore dans les langes mais déjà fort virulent dans sa sottise dogmatique.)

C'est dans ces mêmes années quatre-vingt que j'ai lu les romans de Kundera avec passion, me précipitant à la librairie Variétés de Neuilly dès qu'un nouveau était annoncé. Pas de doute : je tenais un grand écrivain. Et puis, du temps a passé. Entre Milan et moi, ce n'était pas encore la valse aux adieux, mais déjà, dans le grand livre du rire et de l'oubli, le second terme avait tendance à prendre toute la place…

J'ai tout relu, pourtant, il y a une quinzaine d'années. Hormis pour ce qui concerne ses essais, L'Art du roman puis Les Testaments trahis, mon désenchantement fut complet. À mes yeux de relecteur, Kundera était devenu un romancier pesant, démonstratif, inutile. Ce n'était pas encore tout à fait la fête de l'insignifiance, mais pas loin. Au point que, lors d'un grand autodafé ultérieur, tous ses livres finirent leur vie à la déchetterie de Saint-Aquilin.

Dans ce cas, qu'est-ce qui a bien pu me pousser, voilà cinq ans, à acheter les deux volumes de la Pléiade qui venaient de paraître et contenaient l'ensemble de l'œuvre rejetée ? Un certain sentiment d'injustice de ma part ? L'oubli de ce que je croyais penser de cette œuvre ? Une volonté de réparation ? La peur de passer pour tchécophobe, ce qui n'aurait fait qu'alourdir mon dossier déjà proche de l'obésité morbide ? Allez donc savoir…

J'ai tout relu. J'avais le temps : j'étais alors un tout jeune et frais retraité. Et j'ai une fois de plus changé d'avis à propos de Kundera. Aujourd'hui, je dirais que ses romans “tchèques” méritent vraiment d'être lus, au moins jusqu'à La Valse aux adieux inclus, mais qu'on pourra sans trop de perte se passer de ceux qu'il écrivit ensuite directement en français. Et on conservera les volumes d'essais, au moins les deux premiers, que j'ai cités plus haut.

Avis définitif ? Opinion gravée au marbre ? Rien n'est moins sûr. La mort de l'écrivain entraîne souvent, au moins chez moi, un resurgissement de son œuvre. D'ici que les deux Pléiade – en tout cas le premier – sautent de leur rayon pour atterrir au salon, il y a moins de kilomètres que du Plessis-Hébert à Brno. Et ce sera peut-être un Kundera inédit qui s'imposera, effaçant d'un revers négligent les trois autres.

Décidément, on ne devrait jamais naître un premier avril.

vendredi 7 juillet 2023

Le philosophe et ses fantômes

John Gardner, 1933 – 1982.

 Que peut-on faire quand on est professeur de philosophie dans une obscure université de l'État de New York et que tout semble vouloir s'écrouler autour de soi ? Que votre ex-femme – une théâtreuse d'avant-garde sans public – vous pompe allègrement plus que votre argent, que votre fils, antinucléaire, semble au bord de verser dans l'écoterrorisme, que votre fille se comporte exactement comme si elle était orpheline de père, que le Fisc vous harcèle, que Reagan est sur le point de battre Carter à l'élection qui s'annonce, que votre prestige philosophique est sur une pente nettement descendante, que vous avez renoncé à ouvrir votre courrier, sachant trop bien ce qu'il contient de pénible, mais pas les nombreuses bouteilles que vous éclusez soir après soir ? Eh bien, quand la vie menace ruine à ce point, il y a toujours la source de franchir la frontière de la Pennsylvanie toute proche et, dans les Endless Mountains, grâce à un crédit mensongèrement obtenu, acheter une antique maison presque aussi délabrée que votre existence et s'y installer tout seul dans le but hautement affirmé d'écrire enfin le “best-seller philosophique” que le monde attend de vous.

C'est en tout cas ce que fait, un jour de 1980, Peter Mickelsson, le personnage central de La Symphonie des spectres (1) de John Gardner, écrivain américain, alcoolique et cancéreux, universitaire spécialiste de littérature médiévale dont les problèmes furent résolus d'un coup par l'accident de moto qui lui survint un jour de l'été 1982. À partir de là, le lecteur de ce flamboyant roman de plus de neuf cents pages va devoir essayer de répondre à une question aussi cruciale que centrale : la maison perdue dans les bois, au-dessus de la rivière Susquehanna, est-elle réellement hantée (comme beaucoup de maisons) ou bien si c'est le professeur Mickelsson qui sombre peu à peu dans la folie (comme beaucoup de philosophes) ? Et s'il devient fou, est-ce à cause des deux “femmes de sa vie”, à savoir Donnie, la prostituée mineure qui le tient par les… enfin, qui le tient, et Jessica, professeur de sociologie, que ses collègues espèrent fermement éjecter de l'université pour lui apprendre à être moins marxiste qu'eux-mêmes ? Ne serait-ce pas plutôt, ou aussi, en raison du vacarme que, dans sa tête, font Luther et Nietzsche avec leurs chamailleries incessantes ?

En réalité, peu importe les réponses que l'on trouvera ou ne trouvera pas. Seules compteront les questions ; et surtout cette expérience que l'on n'a pas tous les jours l'occasion de faire, d'une plongée simultanée dans les forêts de Pennsylvanie et dans la cervelle d'un philosophe. Seulement, attention : les fondrières et les pièges à ours ne sont pas forcément là où on s'attendrait à les trouver…


(1) Titre ridiculement grandiloquent, choisi avec un mauvais goût très sûr par ce duo tragique composé de l'éditeur et du traducteur : l'original s'appelle, plus justement et plus simplement, Mickelsson's Ghosts.

samedi 1 juillet 2023

Du côté de chez Jouvenet


 Ici fut notre double villégiature en juin.