Henry James, 1843 – 1916 |
Elle va tomber violemment amoureuse d'une jeune fille, Verena Tarrant, qui, elle, est hétérosexuelle, ou du moins s'apprête à le devenir, dans la mesure où elle n'a pas encore été “effleurée par l'aile du désir”. C'est une nature généreuse, ouverte, qui ne demande qu'à se donner, mais ne sait pas encore trop à qui.
Et, là dessus, survient le jeune homme indispensable, celui à qui est dévolu le rôle du chien dans le jeu de quilles, non seulement parce qu'il va, en tombant amoureux de Verena, “révéler” la jeune fille à elle-même, mais en outre parce qu'il étale sans vergogne des opinions fâcheusement réactionnaires, ou au moins très conservatrices, en tout cas nettement antiféministes.
Où le talent de Henry James se montre prodigieux, c'est que lui-même, lui l'auteur, se comporte comme s'il ignorait absolument tout de l'homosexualité inexprimée d'Olive Chancellor et qu'il prenait pour argent comptant son dévouement à la cause des femmes, son “ardente amitié” pour Verena Tarrant, etc. Si bien que le lecteur, fort satisfait de cet état de choses qui l'élève à ses propres yeux, a vite l'impression étrange, étrange mais délicieuse, d'être le seul à se rendre compte de quoi il retourne exactement, le seul à discerner le mufle du désir, d'autant plus agissant sur les personnages qu'il reste tapi dans une inquiétante pénombre : c'est presque le monstre sur le seuil de Lovecraft.