Une idylle qui commence en avril…
… et aucune rupture en vue pour l'instant !
Seulement, le travail ne sera qu'à demi fait si l'on s'en tient là. Il est grand temps, frères bipèdes, d'étendre cette bienheureuse mesure à tout le champ du vivant, de répandre sur tout le règne animal – on verra dans un troisième temps pour les végétaux, les champignons et les cailloux – les rafraîchissants bienfaits de cette onde égalitaire.
Que Dame rhinocéros se transforme donc dès aujourd'hui en une superbe rhinocérosse, pendant que, sous les mers, demoiselle calamar deviendra une fière calamare et que, sous la ramée, la promise du corbeau se métamorphosera en corbelle – et ainsi de suite. Bien entendu, pour ne pas risquer une accusation de gynocentrisme, il conviendra de faire de même dans l'autre sens.
Ainsi, que l'otarie mâle qui fait tourner des ballons sur son nez devienne illico un otari, que le mari de la baleine massive se fasse balein et celui de la noire panthère panther (je laisse aux linguistes le soin de déterminer si l'on devra prononcer ce nouveau vocable panté ou si l'on gardera l'ancienne prononciation).
Le cas de la fourmi est un peu particulier. Il conviendrait, je pense, de parler désormais d'un fourmi et d'une fourmie, afin que les deux membres du couple soit correctement genrés. Et puisqu'on parle de la fourmie, il va de soi que le mâle de sa partenaire de fable devra se muer en un cigal.
Une fois ces indispensables réformes langagières admises et utilisées par tous-z'et-toutes, on peut être assuré que les relations entre les différentes espèces animales s'en trouveront délicieusement et définitivement apaisées, ainsi qu'on le constate déjà entre les diverses races humaines-qui-n'existent-pas, depuis qu'elles ont découvert le baume féminisant et se l'appliquent sur les muqueuses tous les matins après la douche.
Et demain, si nous ne le voyons pas nos enfants le verront, on s'émerveillera de ce que la guéparde et l'antilop pourront se croiser dans la savane sans plus jamais se regarder en chiennes de faïence.
Qui a bien pu avoir une idée aussi stupidement absurde ? Un traducteur saisi de démence ? Un éditeur sous acide ? Un commercial à tendances suicidaires ? N'importe : s'il est toujours de ce monde – l'édition française date de 1987 –, je donnerais cher pour entendre de sa propre bouche les justifications de l'hurluberlu ayant eu une aussi mirobolante inspiration, tenter de comprendre par quel tortueux chemin psychique il en est arrivé à cet énigmatique redoublement, et aussi par quel tour de force il a réussi à l'imposer aux dirigeants des éditions Mazarine autrement qu'en les saoulant abominablement juste avant le brain storming fatidique.
Il me reste à espérer que l'ensemble de la traduction du roman ne sera pas à l'image de celle du titre. Sinon, il va m'être, je le crains, bien difficile de faire Amis-Amis avec ce Money, money.
M. Arié, rendu quasiment fou par le racisme viscéral qui est le sien de notoriété publique, M. Arié s'est plaint en commentaire de la meringue chocolatée (je crois savoir qu'on ne peut plus parler de “tête de nègre”) qui illustre le billet précédent. Comme je suis prêt à tous les sacrifices pour conserver la maigre clientèle qui me demeure, je lui offre cette photo de Joyce Carol Oates, prise il y a déjà quelques décennies, l'écrivain étant désormais confortablement installé dans l'octogénariat.
Je l'ai choisie pour son côté irrésistiblement désuet, étrangement hors du temps, et aussi parce que Mrs Oates y semble le résultat d'un curieux mix de Virginia Woolf et de Joan Baez, sans qu'on puisse décider avec certitude si elle va se mettre à gratter de la plume ou de la guitare. Malheureusement, les années passant, la dame a assez rapidement pris l'apparence d'une sorte de “féministe foldingue”, ce que pourtant elle n'est nullement, si on en juge par ses écrits.
Mais la vraie raison de son apparition en ces lieux est que je suis, depuis deux jours, occupé à relire cette très prolifique romancière américaine : pour partie son journal (1973 – 1982), pour partie son superbe roman intitulé Nous étions les Mulvaney, dont il se trouve que j'ai déjà parlé ici même.
J'espère que M. Arié sera satisfait et abandonnera toute idée de désertion de ce blog : je me verrais très mal en train de brailler des Élie ! Élie ! Lama Sabachtani ! à tous les vents de la blogoboule…
Mon regard balayait paresseusement le rayon des Américains – juste en dessous des Anglais et à gauche des Hispano-Portugais : pouvez pas vous tromper –, quand il est tombé sur lui.
Percival Everett.
En dépit de mon crypto-alzheimerisme, je conserve toujours un vague souvenir des écrivains qui dorment debout dans mes rayons, même si le contenu de leurs livres m'est redevenu opaque.
Là, rien.
J'ignorais totalement, il fallait se rendre à l'évidence, qui pouvait bien être ce Percival-là. Pourtant, avec un prénom pareil, j'aurais dû en garder au moins un semblant de trace mémorielle… Mais non, rien. Et ce n'était pas un mais bien deux romans de lui qui se trouvaient là.
Qui avait bien pu signaler ce garçon à mon attention ? Les gens dont j'incline à suivre les recommandations littéraires sont fort peu nombreux , et je n'en voyais aucun qui pût m'avoir aiguillé vers cet écrivain-là.
Car, a priori, après une rapide visite à Dame Ternette, je voyais bien qu'il avait toutes les raisons de me déplaire. (Et, non, sa couleur de peau n'entrait pas dans les dites raisons : que mesdames et messieurs les vigilants veuillent bien rengainer leurs assignations à comparaître, au moins pour le moment.) Songez donc : un directeur du département de littérature dans une université californienne ! Et, facteur aggravant, marié avec une essayiste, spécialiste des questions de genre, de race et de maternité : le fond de l'horreur, l'alpha et l'oméga de la guignolerie post-moderne.
Pourtant, à un certain moment de ma piteuse existence, j'avais bel et bien acheté deux romans de Percival Everett. Ensemble ? Le second après avoir lu – et donc aimé – le premier ? Dans l'ordre de leur parution première, ils s'intitulent Effacement et Blessés.
Hier, j'ai relu le premier des deux (350 pages chez Actes Sud). Sans que, jamais, le moindre lumignon ne se mette à clignoter dans mon cerveau pour me dire que, oui, en effet, ce roman avait déjà été lu.
Il y a du bon et du moins bon, dans l'histoire de ce professeur d'université, aussi noir que son créateur, auteur de romans très intellectuels et invendus (sa marotte est de réécrire les tragédies grecques antiques, ce qui m'a fait penser à quelqu'un…), et qui, un jour, par dépit, “pond” un court roman ressortissant à ce qu'on pourrait appeler la “littérature-de-ghetto”, dans ce qu'elle peut avoir de plus frelatée et clichesque. Naturellement, ce roman qui le dégoûte profondément se met à marcher du feu de Dieu, ou du diable.
Le bon côté est que Mr Everett n'hésite pas à enfoncer les portes du politiquement correct, de l'antiracisme de convenance, en profitant assez malicieusement de sa propre couleur de peau, qui agit ici à la façon d'un pare-feu ou d'un gilet pare-balles : un romancier blanc écrivant le tiers de ce qu'il se permet aurait déjà été poussé au suicide par les ligues de vertu idoines, ou au moins à la démission de son poste universitaire.
Le mauvais côté vient de ce que le romancier ne parvient pas tout à fait à oublier qu'il est professeur de littérature et qu'il se croit obligé de nous montrer qu'il connaît et possède toutes les ficelles avant-gardistes. En bref, il fait un peu trop le malin. Mais enfin, comme on dit : “ça se lit”.
J'ai ouvert Blessés ce matin, entre le premier et le deuxième café. Celui-là, je suis certain de l'avoir lu, même s'il ne me dit absolument rien. Parce que j'ai pris des notes sur la page de garde. Notes qui, relues avant le roman lui-même, ne font qu'épaissir un peu plus le mystère, dans la mesure où elles me demeurent totalement opaques. Les voici telles que rédigées à l'époque (mais quand, bon sang de bois, quand ?) :
Cruauté ––––> tj humaine, tj inconsciente. (Sinon : barrières)
Animal le + humain : le chat.
Pourquoi le chien n'est-il jamais cruel ?
––––> Scène du Coyotte (––> Zoé)
––––> Recueillir 1 animal
––––> Végétariens
Après vingt pages du roman, la seule chose que je suis en mesure d'affirmer, c'est que Zoe (sans accent) est un chien.
Pour le reste, on verra en cours de route. Ou bien on ne verra rien.
(Ceux qui voudraient savoir à quoi ressemble Percival Everett iront frapper à la porte de Dame Ternette, Blogger me refusant toujours la moindre possibilité photographique. Et comme je n'ai pas l'intention de le supplier à genoux…)
« Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction. »
Philippe Muray, Ultima necat II, Les Belles Lettres, p. 15.
« On n'est jamais traité de misogyne par celles à qui on plaît, comme c'est curieux. Ce sont toujours les autres, celles qu'on ne désire pas, qui parlent au nom de celles qu'on désire. Technique syndicale, elles se sont elles-mêmes nommées déléguées, elles revendiquent la place des employées. En se plaignant au nom de celles-ci, elles se donnent l'illusion d'être celles que vous désirez ; mais elles savent bien que ce n'est pas vrai, elles vous injurient donc avec une énergie redoublée. »
Philippe Muray, Ultima necat III, Les Belles Lettres, p. 306.
Quelques pages plus loin, ce très bref dialogue, qui n'a rien à voir avec ce qui précède, mais bon je fais ce que je veux :
« – Quand je n'aurai plus que quatre ou cinq ans à vivre, j'écrirai une biographie de Balzac, ce sera mon dernier livre.
– Comment sauras-tu que tu n'as plus que quatre ou cinq ans à vivre ?
– Je le saurai. »
Ben non…
P.S. : Si ce billet-de-feignasse est en outre dénué d'illustration, c'est que Blogger, assez mystérieusement, me refuse la possibilité d'en “importer” la moindre.
Joseph de Maistre, 1753 – 1821. |
Les cuistres à diplôme ne sont hélas pas l'apanage de la Bibliothèque de la Pléiade : on en trouve aussi pour sévir entre les pages des “Bouquins” de Robert Laffont. Celui qui s'est occupé de régler son compte à Joseph de Maistre, qui n'en demandait pas tant, se nomme Pierre Glaudes. D'après la quatrième de couverture du volume, il serait professeur de littérature française à l'université de Toulouse II, alors que d'après Dame Wiki, il enseignerait à Paris IV après avoir fait la même chose à Grenoble : louche d'emblée, donc. Toujours d'après Dame Wiki, M. Glaudes ferait “ savamment dialoguer la critique littéraire et la psychanalyse post-freudienne ”, ce qui est quand même limite fout-la-trouille. On a raison d'avoir peur, car voici les trois lignes qui suivent :
« L’assimilation qu’il propose entre la forêt d’Atala et un « sein immense » reste exemplaire : ce sein « excite la convoitise » de l’enfant-Chateaubriand, « puisqu’il contient à ses yeux toutes les “richesses” du monde, tous les “trésors” imaginables : des bébés, des excréments, et surtout le pénis que le Père y a laissé. » De manière complémentaire, Pierre Glaudes repère dans l’Empereur du roman de Victor Segalen, René Leys, une « figure du pénis maternel ».
C'est dire si j'ai abordé au continent glaudien avec un maximum de précautions réticentes : muselière à élastiques auriculaires, gestes barrières, vaccin dûment homologué et tout le tremblement. Une combinaison de savant atomiste serait-elle passée à ma portée qu'on m'aurais vu sauter dedans à pieds joints. De fait, je n'ai nullement été déçu. Afin de rendre ce billet plus vivant, je m'en vais prendre un exemple de ce que je me suis infligé en lisant l'introduction glaudienne (glaudicante ?) aux Six Paradoxes à Madame la marquise de Nav… de M. de Maistre.
M. Glaudes en vient rapidement à s'interroger sur l'identité de cette mystérieuse marquise destinataire, et même à se demander si elle existe vraiment. Il conclut d'abord par l'affirmative, notamment en raison de “certains détails trop précis apparemment pour avoir été inventés”. Le lecteur, moi pour l'heure, peut déjà tirer une première conclusion : M. Glaudes juge Joseph de Maistre trop limité, trop bête, trop je-ne-sais-quoi, pour, ayant créé un personnage fictif, lui donner deux ou trois caractéristiques précises destinées à rendre sa création crédible.
Quels sont donc ces détails “trop précis apparemment pour avoir été inventés” ? M. Glaudes nous les rappelle en une essentielle note de bas de page : la marquise “cultive la langue anglaise” et a “les nerfs délicats”. En effet, personne n'aurait l'imagination assez débridée, proche de la démence à dire vrai, pour inventer deux choses aussi ébouriffantes ! Il faut donc bien que la marquise existe… ou pas. M. Glaudes n'est finalement pas très sûr… il y a du pour et du contre… faudrait voir…
Ce “un coup je te vois, un coup je ne te vois pas”, M. Glaudes, toujours dans sa note de bas de page capitalissime, l'exprime de la manière la plus involontairement savoureuse qui soit : « Ces détails semblent aller dans le sens de la référentialité. Mais ils peuvent être interprétés, contradictoirement, comme un “effet de réel” dans un contexte fictionnel. » En langage de tous les jours : « J'en sais rien, pensez ce que vous voulez. »
Mais, au passage, d'autres questions angoissantes ont surgi, dans l'esprit enfiévré du pauvre lecteur glaudifié. Comment des détails s'y prennent-ils pour aller dans le sens de la référentialité ? D'ailleurs, y vont-ils réellement, puisqu'on nous dit qu'ils semblent y aller ? Sait-on de source sûre dans quel sens va la référentialité elle-même ? Les détails pourraient-lis décider brusquement d'aller dans un autre sens ? Auquel cas, choisiraient-il le sens exactement contraire ou obliqueraient-ils par un chemin de traverse ? Et, s'ils s'aventurent trop loin dans le contexte fictionnel, s'exposeront-ils alors à un méchant effet de réel ? Je défie qui que ce soit, les âmes les mieux trempées, de sortir indemnes d'un tel labyrinthe, dans lequel, en outre, on est menacé de se retrouver soudainement face à face avec une figure du pénis maternel, ce qui est toujours un choc, on s'en doute.
Que ces consternantes fadaises ne vous dissuadent pas de lire Joseph de Maistre, lequel s'exprimait dans une langue qui n'était pas encore passée dans le mortier et sous le pilon de M. Glaudes. Un pilon que l'on pourrait appeler un “glaudmiché”, lequel, par chance, n'est capable d'inquiéter que les mouches. Et encore.
Contrairement à mes sympathiques petits camarades néo-nazis, je ne vois rien de scandaleux à ce que des gens aient envie de se réunir entre eux, quel que soit le ou les critères qui président à leurs réunions. Après tout, c'est bien le principe des clubs depuis toujours, non ?
Pourquoi des noirs, des femmes, des bouchers-charcutiers ou des unijambistes n'auraient-ils pas le droit de se voir entre eux, pour parler de leurs histoires de noirs, de femmes, de bouchers-charcutiers ou d'unijambistes, sans que viennent y mêler leur grain de sel les blancs (ou jaunes), les hommes, les épiciers ou les ingambes ? À ce compte, vais-je bientôt être obligé, quand j'organiserai une réunion de famille, d'y admettre aussi les voisins et les membres du conseil municipal du Plessis-Hébert dans un louable souci d'équité ?
Évidemment, pour que mon raisonnement tienne, il faudrait que l'exclusive soit permise à tout le monde. Or, je ne sais pourquoi, j'ai dans l'idée qu'une assemblée masculine dont les femmes seraient exclues, ou un meeting de blancs interdit aux noirs auraient plus de mal à passer… en particulier aux yeux des associations noires organisant de leur côté des réunions “racisées” et des groupes féministes mettant sur pieds de petits cénacles “non mixtes”.