samedi 27 janvier 2024

Marcel-la-Ruine


 À Michel D., voix de la tentation

 

Est-il possible qu'un déjeuner vous revienne à 495 €, alors que le repas est offert ? Vous m'auriez  posé la question il y a trois jours, je n'aurais même pas pris la peine de répondre, me contentant d'un vague haussement d'épaules apitoyé. Mais, ça, c'était il y a trois jours…

Je suppose que Michel était animé des meilleures intentions lorsque, entre œuf en gelée et tarte aux noix, il me signala que les éditions Plon venaient de rééditer, en cinq volumes – papier bible, reliure dorée à l'or fin – sous coffret, la correspondance générale de Marcel Proust. Jamais on ne vit un virus prendre plus facilement et plus vite complète possession de son hôte.

Cette correspondance générale était jusqu'à maintenant disponible en 21 volumes dont, pour des raisons devenues obscures avec le temps, je ne possède que les dix derniers.  Quand je qualifie cette collection de “disponible”, c'est par un net abus de langage, puisque précisément elle ne l'est plus depuis jolie lurette, si bien que les volumes séparés – et notamment ceux qui me font défaut – se négocient à peu près au prix du Béluga. Et voilà que, tout soudain, M. et Mme Plon me proposaient l'ensemble pour moins de cinq cents euros (oui, je sais, je sais : pas beaucoup moins…) ? Il aurait fallu être spartiate ou romain pour résister…

Je n'ai pas résisté, le coffret est arrivé ce matin, Dame Amazone ayant fait particulière diligence.

Ils se présentent fort bien, ces cinq volumes proustiens. Pourtant, je dois reconnaître avoir eu un net haut-le-corps en constatant que la préface générale de M. Thierry Laguet – romancier et traducteur absolument inconnu de moi jusqu'à ce jour – occupait les 55 premières pages de l'ensemble. Je m'attendais déjà à un interminable et indigeste rata universitaire, voire unidiversitaire, qui allait me faire monter aux lèvres une mousseuse bave rabique...

Heureuse surprise ! Il s'agit d'un texte fort élégamment écrit, dépourvu de ce jargon pâteux et auto-satisfait que je redoutais, s'attachant à retracer dans ses lignes maîtresses la vie et surtout l'immense travail de Philip Kolb, l'architecte magnifique de cette correspondance générale. Dans le maquis de laquelle je n'ai plus qu'à m'enfoncer, pour un périple de 12 000 pages – notes comprises.

vendredi 26 janvier 2024

Bienvenue dans la cinéma

Noémie dit oui, de Béatrice Pollet.

Je feuillette Les années laser, magazine de “cinéma à domicile” rapporté hier de chez les Desgranges, et y recense les films récemment sortis en DVD ou Blu-Ray. Une constatation s'impose : désormais, en France – mais il n'y a aucune raison pour qu'il en aille différemment chez nos proches voisins –, un film réalisé par un homme est presque devenu une (fâcheuse ?) exception. D'où ma tentation logique – et furieusement moderne – de parler désormais de la cinéma. Pas étonnant que la cinéma en question soit devenue d'un ennui et d'un didactisme aussi plombants : le plus souvent, le seul résumé de l'intrigue suffit à me rendre morose, moi qui suis pourtant d'une joviale nature. Qu'est-ce que ce serait si je voyais les films...

Deux exemples, pris parmi une douzaine, afin qu'on se fasse une idée :

Magnificat, de Virginie Sauveur : « La chancelière d'un diocèse découvre qu'un prêtre récemment décédé était en réalité une femme. » Ben tiens... Même les impeccables jeunes gens modernes du magazine semblent avoir trouvé la daube  un poil fadasse.

Noémie dit oui, de Béatrice Pollet : « Placée dans un foyer pour mineurs, une adolescente abandonnée par sa mère accepte de se prostituer par amour. » D'après les jeunes gens sus-évoqués, cette pimpante bluette “n'évite hélas pas les travers de l'hystérie, de la complaisance et de l'agressivité”. 

Oui, un film de fille, quoi... Rien que de la bonheur et des lendemaines qui chantonnent…

 

mercredi 24 janvier 2024

Travail, famille, patrie, andouillette et blouse nylon

Bon grand-père tout fier d'avoir réussi à attraper le pompon.

 Hier, en commentaire sur son propre blog, Nicolas écrivait ceci : 

« Je ne traite personne de pétainiste mais d'un relent pétainiste qui ressort de certains propos de nos gouvernants. J'entends par là le côté travail famille patrie... »

Me sentant en veine et n'ayant rien de mieux à faire, je lui ai répondu ceci :

« C'est tout de même un peu agaçant, voire déprimant (je ne dis pas ça spécialement pour vous, hein !), que l'on continue à flétrir ce slogan, "Travail, Famille, Patrie", sous prétexte que Pétain l'a utilisé il y aura bientôt un siècle. Car, au fond, qu'est-ce qu'on lui trouve de si méprisable ?

À tout prendre, je le trouve plus concret, moins pompeux, et donc moins vide que notre "Liberté, Égalité, Fraternité", qui, en plus d'être grandiloquent, contient une belle aporie, puisqu'il est impossible d'avoir en même temps la liberté et l'égalité.

Seulement, comme le monstre Pétain l'a forgé, ce slogan maudit, il est "caca" pour les siècles des siècles !

D'ailleurs, selon le même principe, nos amis véganes devraient peut-être se remettre à l'andouillette et à l'entrecôte : je leur rappelle que Hitler était végétarien… »

Vingt-six minutes plus tard – nous sommes deux garçons très réactifs, parfois –, il me rétorquait ce qui suit :

« Il est méprisable pour ce qu'il représente : la devise de la "France de Vichy", une espèce de symbole de l'histoire de l'extrême droite.

Travail : on lutte pour le plein emploi.
Famille : on encourage et facilite les naissances.
Patrie : on met en place un espèce de nouveau service national pour les jeunes.

On nous sort l'uniforme et tout le monde imagine soit des blouses grises soit des tenues "catho" (alors qu'aucun uniforme n'a été imposé en France à part dans quelques écoles).

Admettez tout de même qu'un progressiste ne pourrait pas se réjouir de toute cela.

Pour le reste, je me fous des mots utilisés... »

Comme je sais me montrer tenace, je lui ai renvoyé la balle depuis le fond du court, mais seulement après une bonne nuit de sommeil :

« N'étant rien moins que progressiste, je veux bien admettre tout ce que vous voulez en ce qui concerne ces étranges animaux.

Même si je vois assez mal ce qui peut choquer un progressiste dans l'idée de "plein emploi".

Pour ce qui est des encouragements à la procréation, il me paraît que les allocations familiales et les congés maternité ne sont pas l'apanage de l'extrême droite.

Quant à la patrie, il me semble bien me souvenir qu'elle a d'abord été exaltée et brandie comme un étendard par les gentils révolutionnaires de 1792 plutôt que par les horribles Vendéens réactionnaires.

Du reste, on peut parfaitement rejeter à titre personnel l'une ou l'autre de ces trois "valeurs", voire les trois ensemble : cela se faisait déjà bien avant que Philippe Pétain ne dirige un gouvernement fantomatique durant trois ou quatre ans. Ainsi, au moment de Vichy, le "Familles, je vous hais !" de Gide avait déjà pas mal de bouteille… Tout comme le Droit à la paresse du camarade Lafargue. Et ne parlons même pas du Joujou patriotisme de Rémy de Gourmont.

Enfin, pour ce qui est de la guignolade des blouses/uniformes dans la Garderie nationale, c'est de la simple gesticulation comique de la part de nos divers Ubu ministres. »

Nous en sommes plus ou moins restés là, car l'heure du déjeuner approchait et je me suis brusquement avisé que j'avais oublié de sortir mon fromage du frigo : le fascisme pouvait attendre.

lundi 22 janvier 2024

Au royaume des aveugles, les Argentins sont rois

Ernesto Sábato, 24 juin 1911 — 30 avril 2011.

 Inutile, dans le cadre de ce blog (on en dira un peu plus dans le journal), d'expliquer pourquoi il m'a semblé évident de faire suivre la relecture de Don Quichotte par celle de la trilogie romanesque d'Ernesto Sábato : c'est ainsi. Déjà, nous sommes en présence d'un écrivain qui a su faire preuve d'une non-prolixité digne des éloges les plus vifs : en cent ans moins sept semaines d'existence, il a eu la sagesse de n'écrire que trois romans, ce qui est laisser beaucoup de temps libre à ses lecteurs survivants.

(En réalité, je ne sais trop comment remplir ce billet, qui n'existe que par ma lassitude à contempler le MeTooToo en laisse illustrant ma précédente intervention ici et qu'il était temps de remplacer en “tête de gondole” par un portrait d'homme nettement plus digne.) 

Je pourrais simplement — c'est sans doute ce que je vais faire — me contenter de justifier mon titre. Il existe un livre de Sábato qui, en espagnol, s'intitule Diálogos, en français Conversations à Buenos Aires, et qui est, comme on le subodore, un livre d'entretiens. Avec Jorge Luis Borges, autre grand écrivain argentin. Or, tous les deux, Ernesto et Jorge Luis, ont fini leur vie parfaitement aveugles.

Sábato pressentait-il sa future cécité lorsque, à l'orée des années soixante, il écrivait l'extraordinaire troisième partie de Héros et Tombes, le panneau central de sa trilogie, partie qui s'intitule : Rapport sur les aveugles ? Ou alors ce serait le dieu particulier des personnes-en-situation-de-non-voyance qui aurait ainsi exercé sa vengeance sur l'auteur du flamboyant Rapport sus-évoqué ? On ne s'engagera pas dans cette voie des correspondances mystérieuses, des explications sentant un peu trop leur Post hoc, ergo propter hoc, comme disaient nos amis latins qui, eux, n'avaient généralement pas les yeux dans leurs poches.

De toute façon, j'ai suffisamment écrit pour que disparaisse dans les tréfonds l'homme-de-demain qui trottine un peu plus bas. Et il est temps d'aller retrouver les Héros et les Tombes.



vendredi 19 janvier 2024

MeTout à l'égout


 La femme post-moderne et son petit mari déconstruit ? 

Une MeToororiste et un MeTooToo à sa mémère.

Alejandra sur le banc du parc Lezama


  Commencé, au saut du lit ou quasi, à relire le deuxième roman d'Ernesto Sábato (il n'en a écrit que trois, en cent ans de vie), Héros et Tombes, qui est sans doute le meilleur de la trilogie, celui qu'il convient de lire si l'on a décidé de n'en lire qu'un seul. 

Et c'est ainsi que, oubliant le gel qui, ce matin, cristallise la Normandie, on se retrouve d'emblée assis sur un banc dans un parc de Buenos Aires, le parc Lezama pour être tout à fait exact, observé par une étrange jeune fille aux longs cheveux noirs semés de discrets reflets roux, pas très loin de la villa Devoto, cette prison dont il est longuement question dans Le Chant du coq, ce superbe disque du Cuarteto Cedron, que je possède — d'abord en vinyle, aujourd'hui en CD — et écoute depuis près de cinquante ans. Le soleil décline lentement sur le Río de la Plata, tandis qu'il tarde à se lever ici. Quelque part dans une rue portègne, ou bien aux alentours immédiats du port, au même instant que s'éloigne du parc la longue et flexible fille brune, déambule un réfugié polonais du nom de Witold Gombrowicz, songeant au Trans-Atlantique qu'il s'apprête à écrire.

En attendant le livre du Polonais, il nous faut tomber amoureux d'Alejandra, et d'un amour funèbre puisque nous la savions vouée à l'immolation dès le tout premier paragraphe du roman, extrait d'une chronique policière parue dans le journal de Buenos Aires, La Razón :

« Les premiers résultats de l'enquête ont révélé que l'ancien Mirador qui servait de chambre à Alejandra avait été fermé à clé de l'intérieur par Alejandra elle-même. Ensuite (même si en bonne logique on ne saurait dire au bout de combien de temps), elle tua son père de quatre coups de pistolet calibre 32, pour finalement arroser la pièce d'essence et y mettre le feu. »

Mais mieux vaut, pour le moment, profiter encore de la douceur du soir en s'attardant sur ce banc du parc Lezama.

jeudi 18 janvier 2024

Le chien et son maître (ou l'inverse)


 

Ce matin au Plessis-Hébert, peu après dix heures…

mardi 16 janvier 2024

La patine des vieux blogs


 Sous l'effet d'une soudaine pulsion, étrange et probablement d'origine démoniaque, je viens de passer plus d'une heure dans les entrailles du blog de Jérôme Vallet — années 2009, 2010 et 2011 —, à parcourir ses innombrables billets, m'arrêtant à plaisir sur les quelques-uns qu'il me consacrait alors, toujours à charge bien entendu, sabre au clair et dents grinçantes. 

Ils m'amusaient à l'époque, ces raids éclairs ; ils le font encore aujourd'hui, mais d'une manière différente : les douze années qui ont passé leur ont donné une coloration nouvelle, une sorte de “poésie” dont ils étaient à l'origine dénués. Un peu, toutes proportions gardées, celles qui embellissent les vieux courts métrages du temps du cinéma muet, lorsqu'on s'attendrit devant ces hommes moustachus et ces femmes en crinoline qui se balancent des tartes à la crème avec des gestes saccadés et des mines outragées semblant tout de commande tant elles sont outrées. 

Tranquillement, sans embêter personne, le blog de Jérôme a pris de la patine, est peu à peu devenu sépia. Et peut-être que lui et moi le sommes devenus également.

samedi 13 janvier 2024

Quand je pense que je vais manquer ça !

 

Tour oblique… donc moderne.

Fi des remaniements et des guerres israélo-hamasiennes ! Grâce à Touitère, j'apprends des choses nettement plus importantes, pour ne pas dire décisives.  Par exemple, la tenue dans deux semaines, à Paris, d'un nouveau séminaire organisé par La Littérature à l'oblique. Qu'est-ce qu'une “littérature à l'oblique” ? vont peut-être demander quelques naïfs. Hélas, je n'en sais pas plus qu'eux sur ce sujet que je devine pourtant capital. Quant au nouveau séminaire, il a pour intitulé : Frontières et littératures lesbiennes. Même s'il demeure lui aussi imbitable, je trouve à ce titre un petit côté “Arsenic et vieilles dentelles” tout à fait charmant.

Sur le site des organisateurs asilaires et obliques, il est précisé ceci : « Cette séance sera consacrée à la question des frontières, entendues à la fois comme signification concrète et comme concept critique nécessaire à l’élaboration de catégories littéraires et poétiques lesbiennes et queer. Camille Back (Université Sorbonne Paris Nord) et Marie-Agnès Palaisi (Université Toulouse Jean Jaurès) seront les intervenantes de cette séance. Elle s’appuieront plus particulièrement sur les textes et la pensée de la poète et théoricienne chicana Gloria Anzaldúa afin de relire nos existences lesbiennes au prisme de l’espace frontière. » Les fautes de français sont garanties d'origine oblique.

Tout de même, c'est dans des moments comme celui-là qu'on regrette de ne pas être un peu gouine soi-même. Car que ne donnerait-on pas pour pouvoir, ne serait-ce qu'une fois, relire son existence au prisme de l'espace frontière !
 
Même de manière oblique.

vendredi 12 janvier 2024

Petit billet passablement gynophobe


 Don Quichotte n'est pas uniformément fou. Sa folie chevaleresque est comme une mer certes agitée, voire furieuse, mais parsemée d'îles tranquilles qui sont ses moments de lucidité, voire de sagesse. La sagesse de don Quichotte lui fait par exemple apprendre ceci à Sancho : 

« Un sage de l'Antiquité disait qu'il n'existe dans le monde entier qu'une seule honnête femme ; et il recommandait à chaque mari, pour vivre en paix, de penser que c'était la sienne. »

Maxime prudente et louable, malgré ses fragrances gynophobiques, et qui, curieusement, par de mystérieux biais, entre en résonance avec une devinette idiote, prise hier au vol chez Dame Ternette, alors que je m'y occupais de tout autre chose :

« Quelle est la différence entre une femme et une tornade ? Réponse : aucune. Quand elles arrivent chez toi, elles sont chaudes et humides ; quand elles repartent, elles emportent ta maison et ta bagnole.

Je vais en rester là pour aujourd'hui.

dimanche 7 janvier 2024

Quand bébé blond bafouille et balbutie


 Alentour l'an de grâce 1550, il se rencontra dans le royaume de France un Monsieur et une Madame Babou, suffisamment sadiques — ou sourds, ou les deux — pour prénommer leur fille Isabeau.

Asteure, je ne désespère pas que le temps me sera laissé de poursuivre assez avant mes très-savantes études dodécacophoniques pour avoir le bonheur de croiser, avant qu'on ne me porte en terre, la route de M. et Mme Lalou, accompagnés de leurs deux filles, Lola et Lili.

lundi 1 janvier 2024

Bords de Seine et rives du Tage

Fernando Pessoa, 1888 – 1935.

 Décembre fut un peu portugais et pas mal Renaissance.