dimanche 24 mars 2024

Le petit monde enchanté des netflicards


 Le bourrage de crâne woketeux des abrutis netflicard commence à vraiment m'amuser, tant il est systématique et grossier, au point d'en devenir puéril. Hier, je commence à regarder une mini-série anglaise (Bodies). La première scène nous fait découvrir deux policiers dans une petite rue de Londres, un homme et une femme comme le veut la parité : premier bon point. Lui est noir, elle indo-pakistanaise : ce sont donc des gentils. Autour d'eux, des hommes et des femmes circulent, têtes coiffées de turbans et foulards, pour montrer qu'on est bien dans le Londres réel. Mais soudain, que se passe-t-il ? Voici que la rue se peuple de gens, des hommes essentiellement, ayant tous des faciès d'Anglais “d'avant” ! Un moment perturbé, le spectateur est vite soulagé en découvrant leurs banderoles et leurs drapeaux britanniques éployés : ouf ! C'était juste une manif d'extrême droite qui passait en vociférant ses slogans rappelant les heures les plus sombres.

Scène suivante, nous voici transportés en 1890, dans la même rue de Londres. Un policier — blanc ; vu l'époque, ils n'ont quand même pas osé nous le raciser — rencontre un jeune photographe, lequel ne met pas plus d'une minute et demie à se revendiquer pédé : c'est donc un personnage sympathique, ouvert, positif à s'en pisser parmi, bref : il “a la carte”... Et, pour faire bonne mesure, on comprend que le flic a lui-même des pulsions homosexuelles, mais qu'il refuse bêtement de les assumer :  il est encore du côté obscur, mais on sent que ça devrait s'arranger assez vite. 

Une autre branche de l'histoire se déroule en 1941, toujours à Londres, alors en plein blitz. Cette fois, à la stupeur générale, teintée d'une vague inquiétude, nous avons affaire à un flic non seulement blanc mais ostensiblement hétérosexuel et dragueur (photo) : on ne serait pas étonné si, dès que la caméra a le dos tourné, il traitait les femmes tel un vulgaire Depardieu d'Outre-Channel. Évidemment, il s'avère presque aussitôt qu'il s'agit d'un ripou de la pire espèce, amoral et cupide comme pas permis. On le découvrirait secrètement pro-nazi dans la suite que j'en serais très modérément surpris, et même, oui, je dois le confesser : vaguement rasséréné.

C'est qu'il est si reposant, si rassurant, si quiet, ce monde enchanté de Netflix, où chacun se tient bien sagement à sa place, avec en pendentif de poitrine sa notice explicative, son petit pedigree idéologique.

 

C'est cependant une drogue dont il convient de n'abuser point : en ce qui concerne Bodies,  j'ai jeté l'éponge aux deux tiers du premier épisode, pour retourner à mes habituelles lectures nauséabondes...

L'homme à la charrue


 À l'instigation de Nicolas, qui l'a déniché je ne sais comment, je viens de découvrir un blog jusqu'ici ignoré de moi : Les carnets de Cincinnatus. Après avoir lu quatre ou cinq de ses (assez longs) billets, j'ai trouvé que le Romain à la charrue méritait bien les douteux honneurs de ma blogoliste, où il vient donc de prendre place. 

J'encourage chacun, courtoisement mais non sans une certaine fermeté, à l'aller lire…

dimanche 17 mars 2024

Le fascisme sous les roses (blanches)


 Les jeunes d'aujourd'hui ne savent pas la chance qu'ils ont, de pouvoir écouter des chanteurs aux ritournelles intelligentes et responsables, qui n'essaient pas de leur fourguer des vessies au prix des lanternes. Nos grands-parents n'ont pas eu ce bonheur, à qui les pousseurs de rengaines, avec un cynisme à peine croyable, ont pu faire avaler n'importe quoi ou à peu près. Prenons par exemple cette scie des années vingt : Les Roses blanches, et examinons-en le bouquet, ligne à ligne ou peu s'en faut.

C'était un gamin, un gosse de ParisPour famille il n'avait qu'sa mère

Oui, et alors ? Qu'est-ce qu'on avait, en 1926, contre ces belles familles monoparentales qui font aujourd'hui notre fierté ? Et pas la plus petite louange de cette femme qui a su, visiblement, s'extraire des chaînes patriarcales d'on ne sait quel mâle toxique ! Bien au contraire :

Une pauvre fille aux grands yeux rougisPar les chagrins et la misère

Là, on nous prend pour des truffes : qui va avaler ce bobard que la misère rougirait les yeux ? L'alcool, en revanche, oui ! Il est bien connu que les pauvres boivent, et les miséreux encore plus. Pour le coup, on comprend mieux que le mâle toxique sus-évoqué se soit fait la malle : qui aurait envie de passer sa vie avec une pauvresse aux yeux rouges et traînant après elle de forts relents d'Assommoir ? Mais poursuivons :

Elle aimait les fleurs, les roses surtoutEt le bambin tous les dimanchesLui apportait de belles roses blanchesAu lieu d'acheter des joujoux

Des fleurs, maintenant ! Une traîne-misère avec des goûts de bourgeoise ! Et pourquoi pas des émeraudes, pendant qu'on y est ? Et son rejeton ne vaut pas mieux : quelle idée de rapporter d'inutiles rosaceae dans un taudis où une belle entrecôte assortie d'une baguette croustillante auraient évidemment été plus utiles et bénéfiques. Et puis, ce gamin : d'où sort-il l'argent qu'il dépense inconsidérément chez le fleuriste ? Mystère… voile pudique…

Du reste, la vérité ne tarde pas à se faire jour, dès lors que la mère se retrouve à l'hosto. (Évidemment, à force de dépenser tout l'argent en fleurs superflues plutôt qu'en nourritures roboratives et riches en oméga 3, on ne voit pas ce qui aurait pu lui arriver d'autre.) Bref :

Un matin d'avril parmi les promeneursN'ayant plus un sou dans sa pocheSur un marché, tout tremblant le pauvre miocheFurtivement vola des fleurs

Ah, nous y voilà ! On comprend mieux, d'un coup, où cette graine précoce de délinquant trouvait l'argent pour ses folies dominicales et florales : dans le gousset des honnêtes passants ! Car on ne nous fera pas croire qu'un garnement assez dénué de sens moral pour voler ses roses à une courageuse fleuriste reculerait un seul instant devant d'autres forfaits du même genre : depuis des années, les roses du dimanche étaient le fruit du crime !

Et le fait que sa famille monoparentale aux yeux rouges soit en train d'agoniser sur un quelconque grabat de l'Assistance publique ne lui a même pas donné l'idée de dévaliser plutôt une pharmacie ? On se pince ! On cauchemarde !

Et l'on viendra s'étonner, après de telles abominations, que tout un pays ait pu, une quinzaine d'années plus tard, basculer entièrement dans le pétainisme et la collaboration ? Les épines des roses blanches avaient eu tout le temps d'inoculer leur pernicieux venin…


jeudi 14 mars 2024

Profs déprimés derrière leurs barreaux dyonisiens


 La toujours solidaire Élodie s'énerve ce matin de ce qu'il est de plus en plus difficile, pour un professeur, de quitter la Seine-Saint-Denis, d'obtenir de la Garderie nationale sa levée d'écrou pour aller dispenser ses méfaits dans une autre contrée françoise. Il paraît que “ils et elles sont des milliers dans cette situation”, dixit la belle indignée. 

Mais d'où peut bien leur venir, à ces milliers d'incarcérés, un si ardant désir de s'évader à toute force du beau 93, ce département modèle, si riche de son mélange des cultures et de son ouverture-à-l'Autre ? 

Serait-ce que, tout en proclamant bruyamment son soutien à une France joyeusement métissée, et tournée vers l'avenir à s'en prendre les pieds dans le tapis de prière, on préférerait tout de même aller exercer son petit sacerdoce dans le Cantal ou le Finistère, où, pourtant, vit une majorité de Français moisis, racistes et aussi repliés sur eux-mêmes que des mille-pattes chatouillés ? 

Une telle duplicité, une si alarmante schizophrénie… je ne parviens pas à y croire…

dimanche 10 mars 2024

Charles-Maurice et la boule de cristal


 Se pourrait-il ? M. de Talleyrand aurait-il eu, par quelque mystère spatio-temporel, connaissance de la France de M. Macron, deux siècles avant qu'elle n'advînt ? On parierait bien que non ; pourtant, voici ce qu'il écrit dans ses mémoires : 

« La grande facilité dans les souverains inspire plus d'amour que de respect, et au premier embarras l'amour passe. On essaye alors quelques coups d'autorité ; mais il est trop clair que cet emploi de l'autorité n'est qu'un effort, et un effort ne dure pas. Le gouvernement, n'osant pas donner de la suite à ce qu'il entreprend, retombe nécessairement dans une fatale indolence. Arrive alors la grande ressource du changement des ministres ; on croit que c'est remédier à quelque chose ; c'est contenter telle maison, c'est plaire à telle personne et voilà tout. La France avait l'air d'être composée d'un certain nombre de sociétés avec lesquelles le gouvernement comptait. Par tel choix, il en contentait une et il usait le crédit qu'elle pouvait avoir ; ensuite il se tournait vers une autre, dont il se servait de la même manière. Un tel état de choses pouvait-il durer ? »

Poser la question, toute rhétorique, c'est évidemment y répondre. On me dira que “prévoir” la chute de l'Ancien Régime quand on écrit sous la Restauration est chose commode. Mais quand le même Talleyrand, dans ces années 20 de son siècle, annonce la montée en puissance de la Prusse et la façon dont elle risque de dévorer l'Europe, c'est bien l'avenir qu'il entrevoit et annonce. 

S'il prenait l'envie à quelqu'un (ou à quelqu'une : la journée gynolâtre n'est pas si loin derrière nous…) de les lire, ces mémoires du Diable boiteux, on ne saurait trop lui conseiller l'édition “Bouquins” qu'en a donné Robert Laffont. Le maître d'œuvre en est Emmanuel de Waresquiel, historien dont il convient de saluer le travail : je traîne assez souvent les cuistres faiseurs de notes dans la fange pour ne pas reconnaître, à l'inverse, le grand mérite des siennes, brèves et riches tout à la fois, strictement informatives et d'une clarté parfaite, sans rien en elles qui pèse ou qui pose.

Pour reprendre en conclusion mon hypothèse de départ, si vraiment M. de Talleyrand a eu une fois la possibilité de sauter de son époque en la nôtre, on aimerait beaucoup qu'il renouvelât l'exploit : sa profonde intelligence et ses talents hors-pair de diplomate remplaceraient fort avantageusement, dans le concert désormais atonal des nations, les gesticulations dérisoires et les risibles bravades de notre guignol élyséen.

mercredi 6 mars 2024

Papa ! fourmi ! tracteur ! (mais pas un mot à Valentin…)


 Tel fut, durant des années, le cri de ralliement des rewriters de France Dimanche.  Ou mieux : un point de ralliement, plutôt qu'un cri, ayant un peu l'effet que produit la découverte d'un feu de camp sur le voyageur du désert, solitaire et recru d'avoir trop marché.

C'est sans doute de 1984 que date son apparition — on comprendra mon imprécision dans une minute. Un matin nous fut, comme chaque semaine, distribué le nouveau numéro de notre glorieux hebdomadaire. Toute la “une” en était barrée par ce titre en gras : 

Papa ! Fourmi ! Tracteur !

Cette invocation mystérieuse s'agrémentait d'un sous-titre, expliquant aux populations que c'étaient là les tout premiers mots prononcés par William, le jeune et premier héritier du prince de Galles et de la shampouineuse de Buckingham et Kensington réunis. (Mon imprécision temporelle vient de ce que j'ignore absolument l'âge auquel ces petites choses vagissantes sont en mesure d'articuler leurs premiers vocables. William étant né en juin 1982, je situe l'affaire deux ans plus tard, un peu au hasard…)

Nous fûmes trois à être immédiatement séduits — que dis-je : empoignés ! — par un titre aussi merveilleusement dépourvu de sens : Yves, Boris et moi (on se croirait dans une chanson de Marie Laforêt pour le coup). Ces trois mots, cette trinité magique, ce fut durant les quinze années suivantes, notre fétiche sonore, notre invocation majeure, qui ne pouvait être faite à haute voix que dans des circonstances particulières ; lesquelles, je m'en rends compte, restent encore aujourd'hui malaisées à définir. Mais sa puissance est indéniable puisque, quarante ans plus tard, il nous arrive encore, à Catherine et à moi, de la prononcer.

Invocation majeure, ai-je dit, mais non point la seule. Lorsqu'un micro-événement survenait au sein de notre petite société polygraphe, il se trouvait souvent l'un de nous pour prononcer cette autre sentence, en forme cette fois d'injonction teintée de supplique :

Surtout, ne dites rien à Valentin !

Ce cri du cœur, qui lui aussi barrait toute la une du journal, est plus précisément datable : novembre 1991. Ces mots étaient censés avoir été prononcés par Yves Montand entre les deux crises cardiaques qui allaient l'emporter, le 9 de ce mois. (On pourra noter que le 9 novembre fut également la date de mort du Général, ainsi que, en 1991 aussi, celle des noces de diamant de mes grands-parents maternels, information n'ayant vraiment rien à faire ici.) Valentin, le fils de Montand ayant alors à peine trois ans, la prière ante mortem de son vieux père nous avait paru un tantinet superflue et probablement controuvée ; mais finalement pas plus que la fourmi et le tracteur de l'héritier du trône anglois.

Toujours est-il que, dans les années suivantes, c'est une supplique qui retentit régulièrement dans le cagibi nous servant de bureau collectif, au léger étonnement des non-initiés qui se trouvaient là au moment où elle fusait. Et, là encore, il nous arrive, à Catherine et à moi, de nous lancer l'un à l'autre la solennelle demande de silence. 

Peut-être, d'ailleurs, sommes-nous les deux derniers vivants à maintenir vivace ce double rituel, dont personne ne doit plus se souvenir, même pas ces deux grands couillons de William et Valentin.