dimanche 30 juin 2013

L'avenir radieux de la Réaquie


Dans son billet du jour, l'excellent Jacques Étienne s'interroge sur les possibilités d'une sécession, d'un partage du territoire national entre les diverses et irréconciliables factions politiques qui s'y étripent à l'année longue. Je trouve son idée pleine de sagesse mais curieusement timorée. Il écrit :

« Je suggérerais que la Réaquie se voit attribuer le quart Nord-Ouest de la France  (ne serait-ce que parce que je n’ai pas envie de déménager et que la chaleur m’ennuie), que la Centrie en occupe logiquement un centre qui séparerait la Socialdémocratie de la Gauchie afin d’éviter que leurs peuples ne s’entrétripent trop fréquemment (la Gauchie compensant sa faiblesse numérique notoire par la violence rabique de ses haines). Bien entendu, cette partition territoriale impliquerait d’importants déplacements de populations. Mais que ne ferait-on pas pour jouir de la paix civile ? »

Un quart nord-ouest, c'est tout ? Et on abandonnerait l'Alsace à je ne sais quelle clique de soc' dem' incapables ? Pas question, il faut voir plus grand, respirer plus large. Je lui ai répondu ceci :

« Je proposerais plutôt de couper la France en trois, façon post-Charlemagne, mais en version horizontale.

– La Réaquie occuperait un gros tiers nord de la France (en prenant soin d'englober Chartres…).

– La Gauchie (et les allogènes) seraient expédiés dans un gros tiers sud.

– Entre les deux, on créerait une sorte de Lotharingie centriste, qui irait d'Orléans (non compris) aux premiers contreforts du Massif Central.

Et, pour le fun, on rétablirait des ausweis pour passer d'une zone à l'autre.

Au bout de quinze ou vingt ans, les gauchistes "assistés" des immigrés auraient totalement ruiné leur pays. Ils imploreraient l'aide de l'opulente Réaquie, et nous serions alors à même de leur dicter nos draconiennes conditions. »

J'ai oublié de préciser que nous pourrions laisser à ces aimables mais incolores centristes Lyon comme capitale, ainsi que la Charente-Maritime pour qu'ils puissent manger du poisson frais. Aux progressistes de toutes obédiences, ainsi qu'à leurs amis divers, on laisserait tous les territoires situés au sud de cette ligne. M. Étienne m'a répondu par une objection :

« Je souscris à votre proposition territoriale quoique j’émette quelques réticences au sujet de votre dernier paragraphe : D'abord il est très probable qu'après avoir réglé leurs comptes de manière démocratique, peu d'habitants restent en Gauchie; ensuite, même sous des conditions drastiques, je pense qu'il faudrait leur refuser tout accès en Réaquie car, à l'instar de bien de nouveaux arrivants en France qui supplient qu'on les accueille, je crains qu'une fois acceptés ils ne se conduisent très mal et recommencent à semer le trouble. » 

Ce qui m'a automatiquement amené à préciser ma propre position sur cette grave question :

« Ah mais, il s'agirait moins de les laisser venir en Réaquie que d'opérer une mise sous tutelle de leur territoire dévasté ! On les mettrait à la culture des oliviers et des orangers, on les dresserait à bien accueillir les riches touristes capitalistes, etc., et on recueillerait les dividendes de leur travail. Pour les empêcher de nous ré-envahir, on maintiendrait la fiction d'un État indépendant. »

À l'heure où je vous cause, nous en sommes là – toutes les suggestions sont évidemment les bienvenues.

samedi 29 juin 2013

vendredi 28 juin 2013

L'erreur tragique du blogueur débutant


Elle peut d'ailleurs tout aussi bien toucher le blogueur confirmé, pour peu qu'il ait été victime d'une légère panne de cerveau vespérale. Elle consiste, cette erreur, à ne pas se désabonner, le soir venu, des “fils” de discussion (que j'aurais tendance, au vu de ce qui s'y passe le plus souvent, à renommer des “câbles d'invective”) auxquels on avait eu la faiblesse de s'agréger dans le courant de l'après-midi. Vers huit heures et demie, alors que tout semble tranquille, le blogueur ferme l'ordinateur l'âme sereine pour aller regarder un film dans le rectangle télévisuel ; le lendemain matin il revient, c'est pour trouver une boitamel entièrement submergée de cris, d'échos et de bouts de raisonnements foireux, dont une nuit de sommeil paisible a fait qu'il ne comprend même plus à quoi ils peuvent bien se rapporter. À ce moment, bien sûr, il se désabonne, mais c'est trop tard : l'engorgement est bien là, il se trouve devant la perspective d'un ménage augiassien, alors même qu'il se sent tout sauf l'âme d'un blogo-Hercule.

S'ajoute à cela une discrète mais probablement saine humiliation. Lorsque, à son ouverture, la boitamel annonce au blogueur toujours plus ou moins imbu de son importance quarante-huit nouveaux messages, il se rengorge à part lui en pensant que son petit éjaculat de la veille a dû remporter un formidable succès auprès des foules liseuses, et qu'il va retrouver sa petite casemate toute bruissante de commentaires admiratifs. Il doit bien vite constater que sur ces quarante-huit nouveaux messages, deux se rapportent effectivement à son propre blog, et que les autres ne sont que les longs filaments de diverses escarmouches oiseuses qui se sont déroulées ailleurs et sans lui.

Il se console rapidement en songeant au temps précieux qu'il vient de gagner, à ne pas devoir répondre à tous ces commentateurs absents. Il regarde un long moment le jardin silencieux, en se disant que l'été finira bien par arriver un jour.

mercredi 26 juin 2013

On n'est pas des boutiquiers


En ce moment, sur les flancs des autobus parisiens – et même de ceux qui poussent jusqu'à Levallois –, est affichée une publicité pour je ne sais quel produit (d'où je me tenais pour fumer, je ne pouvais voir le bas du panneau). Elle est illustrée par deux moitiés d'orange et pose la question suivante : Vous avez de l'énergie à revendre ?

Cette expression toute faite m'est soudain apparue pour ce qu'elle était, à savoir une absurdité, un non-sens : comment pourrions-nous re-vendre quelque chose que nous n'avons jamais acheté ; et que, en outre, nous ne savons ni stocker ni transmettre ?

Mais il est vrai que l'expression « avoir de l'énergie à vendre » sonnerait fort bizarrement aux oreilles.

Le plus simple est sans doute de s'astreindre à une bienheureuse amorphie.

mardi 25 juin 2013

Les iconoréacs ont de bien saines lectures


Sur son tout jeune blog, presque encore emmailloté, Michel Desgranges écrit ceci, qui est très mauvais pour mes chevilles :

« Dans Mémoire d'en France , ouvrage où la critique littéraire égale en excellence et pertinence la peinture  de la société et de nos mœurs, M. Didier Goux appelle Lucien de Rubempré "ce petit con". La formule est violente, et la pensée juste, mais, à cette aune, quel qualificatif devrait-on appliquer à cette larve de Frédéric Moreau ? » Je vous laisse le temps de lire le développement qui suit cette question…

Que puis-je répondre ? D'abord, peut-être, que l'on ne s'attend jamais à beaucoup d'empathie pour ses personnages, de la part de Flaubert (non plus que de celle de Desgranges envers les siens, du reste ! Mais j'y reviendrai un jour prochain). La satire et la caricature ne sont jamais bien loin, si l'on songe au Homais de Madame Bovary, tandis que Balzac me semble échapper toujours à cette tendance-là. De fait, il ne “charge” nullement Rubempré, se contentant de nous le montrer tel qu'il est, avec ses faiblesses, ses rêves, ses appétits et ses candeurs, et de dérouler les conséquences inéluctables de ses traits de caractère. C'est ce qui le rend extraordinairement vivant, condition nécessaire pour qu'il puisse être profondément aimé par un lecteur (Oscar Wilde, par exemple) et violemment détesté par un autre (votre serviteur). Frédéric Moreau, lui, nous est “vendu” comme médiocre et velléitaire, l'auteur l'a voulu ainsi, on le sent pratiquement dès la scène d'ouverture, sur le navire fluvial Ville-de-Montereau ; c'est ce qui empêche chez moi l'animosité envers lui : l'impression d'avoir la main forcée, le jugement par trop sollicité.

Puis, il y a tout de même autre chose. Frédéric Moreau est certes une “larve”, pour reprendre le terme de Michel Desgranges, mais il n'est jamais malfaisant, alors que l'égoïsme de Rubempré est destructeur : demandez donc à la pauvre Coralie ce qu'elle en pense ; également à l'infortunée Esther des Splendeurs et Misères des courtisanes – et même à Vautrin, d'ailleurs.

Frédéric Moreau est quelque chose comme un gros mollusque inoffensif, quand Lucien Chardon est tout entier du côté des espèces nuisibles. 

(Je parlais plus haut du manque d'empathie de Flaubert : à la réflexion, on doit pouvoir, peut-être, faire une exception pour Bouvard et Pécuchet, qui me paraissent bénéficier d'une certaine tendresse de leur créateur. Attendons quelques jours pour voir ce qu'en pense le relecteur actuel…)

dimanche 23 juin 2013

Du mou dans la corde à nœuds pour le front républicain


Donc, en une semaine, un gamin tout juste sevré mais étiqueté Front national a réussi à faire trembloter l'UMP à Villeneuve-sur-Lot, ce qui lui vaut une défaite en forme de victoire (ou l'inverse, ne soyons pas sectaires ni bêtement polémiques). Près de 47 % des suffrages en étant parti de 26 dimanche dernier : voilà qui en dit long sur la solidité de ce “front républicain” devant lequel les électeurs avaient été appelé à courber le leur par les habituelles formations vertueuses, et en particulier le parti dit socialiste. Comme si, soudainement, les progressistes du coin s'étaient mis à regarder les vessies et à les voir pour ce qu'elles sont réellement. Il reste que ce n'est pas très charitable d'infliger un chagrin pareil à ce pauvre Harlem : ça va finir par se voir, que personne ne l'écoute.

samedi 22 juin 2013

Selon que vous serez réac ou progressiste…


Il y a probablement deux façons de voir la fête de la musique, selon que vous la contemplez avec les lunettes roses d'une “enseignante” progressiste et bien dans son époque, ou de derrière le casque noir et luisant d'un Dark Vador fascistoïde. Dans le premier cas, ça donne ceci :

« J'aime bien cette foule souriante et apaisée. Les rapports humains changent. Même dans la bousculade, les gens s'excusent avec le sourire : l'agressivité de tous les jours est gommée par la musique et l'alcool. »

Si vous faites partie des vomisseurs d'époque, des contempteurs de l'actuel, des régurgiteurs de modernitude, vous aurez plutôt tendance à tomber sur cela :

« Cent deux personnes ont été interpellées à Paris et dans la petite couronne dans la nuit de vendredi à samedi en marge de la fête de la musique qui coïncidait avec la fin du baccalauréat, a annoncé samedi la Préfecture de police […] (contre 187 en 2012), dont « 92 ont été placées en garde à vue, principalement pour des vols, des violences et des jets de projectiles », précise une source policière. »

Le même communiqué nous apprend, avec une satisfaction visible – on n'est pas loin du sanglot de gratitude –, qu'aucun incident majeur n'a été à déplorer. Des vols, des violences, des jets de projectiles mais pas d'incident majeur. Il est vrai que, les déchaînements du Trocadéro ayant été rangés par Manuel Valls en personne dans la catégorie des “bousculades”, on frémit d'imaginer ce que doit être un “incident majeur” pour ce ministre-là. Ah, mais si, on le sait, suis-je sot : ce sont des jeunes gens assis en tailleur sur une pelouse et qui se récitent du Péguy. Ou un autre jeune homme qui renverse une table dans une pizzéria.

Ce qui me reste très opaque à l'entendement, c'est la raison pour laquelle des gens abrutis de décibels se mettraient à s'excuser avec le sourire lorsqu'ils se marchent par mégarde sur le pied. Surtout s'ils sont bourrés. Je crois que je vais repousser l'achat de lunettes roses à une date ultérieure, tout compte fait.

vendredi 21 juin 2013

Aujourd'hui, penser à ne pas sortir de chez soi


Le 21 juin n'est pas seulement le solstice d'été, c'est aussi le point culminant de la bêtise béate et bruyante, de la foutaise festive, des vacarmes vocifères. C'est la fête de la musique. On lui fait effectivement sa fête, à la musique, mais au sens où les flics font la sienne à un manifestant-pour-tous. À chaque carrefour on va s'ingénier à lui prouver qu'on ne l'aime pas, qu'on ne l'a jamais aimée, et qu'elle n'a d'ailleurs plus aucun droit de cité : on va donc lui montrer, à cette méprisante vestale, qui est le plus fort, du tintamarre ou d'elle. Heureusement, la musique s'en moque : elle restera chez elle, ne sortira plus de ses catacombes avant demain. Tout comme moi.

mercredi 19 juin 2013

Jacques Prévert était-il vraiment un con ?


La question fut posée de façon si tranchante qu'il dut la juger résolue, en 1992, par Michel Houellebecq : on lira ces cinq pages assassines et brillantes dans Interventions, recueil d'articles publié en 1998 par Flammarion. Je vous en cite les premières lignes :

« Jacques Prévert est quelqu'un dont on apprend des poèmes à l'école. Il en ressort qu'il aimait les fleurs, les oiseaux, les quartiers du vieux Paris, etc. L'amour lui paraissait s'épanouir dans une ambiance de liberté ; plus généralement, il était plutôt pour la liberté. Il portait une casquette et fumait des Gauloises ; on le confond parfois avec Jean Gabin ; d'ailleurs c'est lui qui a écrit le scénario de Quai des brumes, des Portes de la nuit, etc. Il a aussi écrit le scénario des Enfants du paradis, considéré comme son chef-d'œuvre. Tout cela fait beaucoup de bonnes raisons pour détester Jacques Prévert ; […] »

J'avais déjà lu Extension du domaine de la lutte lorsque ce texte m'est tombé sous les yeux, mais il m'a confirmé que j'aimerais toujours Michel Houellebecq, même s'il s'employait à me décevoir ensuite, ce qu'il a d'ailleurs fait à une ou deux reprises. Mais revenons à Prévert.

Ce soir, sur la chaîne qui s'appelle “5”, entre Alexandra Sublet et Alexandra Sublet (comment peut-on êtres aussi séduisante et avoir une voix aussi désagréable ? Peu importe…), Patrick Poivre d'Arvor consacrait vingt-cinq minutes à Prévert, dans le cadre de sa série : Une maison, un écrivain, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais dans mon journal d'avant-hier, et il vous faudra attendre, donc, la fin de juillet pour savoir que PPDA reste ce qu'il a toujours été, à savoir un jean-foutre superficiel et opportuniste.

Revenons à Prévert.  Cette émission, laudative, évidemment laudative (chaque écrivain présenté est toujours, quoi qu'il arrive, l'un des “majeurs” du XXe siècle, d'après Poivre, qu'il s'agisse de Marcel Proust ou de Frédéric Dard : les siècles précédents avaient des doigts différenciés, le XXe vu par Poivre n'a que des majeurs), était en fait un implacable réquisitoire contre son sujet même, c'était fascinant. On vous empilait les témoignages d'amis vous disant à quel point Prévert était un homme extraordinaire, drôle, beau parleur, cultivant l'amitié, aimant boire le coup, assez fainéant, etc. Sauf que, des comme ça, on en connait tous des dizaines : si vous voulez, je vous rameute d'ici demain matin sept ou huit témoins (et sans chercher bien loin) qui vous garantiront que, ce portrait, c'est le mien tout craché. Bon. 

Mais, évidemment, dans l'émission de Poivre, il ne s'agit pas seulement de dire que Prévert était aussi fréquentable que Didier Goux, il faut aussi prouver qu'il était en outre un être exceptionnel, une perle rare, un exemplaire unique d'humanité. Donc, on se met à le citer, à réciter des extraits de ses “poèmes” (avec la voix grave et pontifiante de Poivre, c'est un bonheur : on dirait Pujadas au vingt-heures), nous montrer ses collages en sollicitant notre extase, etc. 

Or, tout cela est pitoyable, gamin, nul. Magnifique, ce collage de la silhouette de Paul VI devant le Moulin rouge ! Waoh ! quelle audace ! quelle subversion ! Le vieux monde tremble sur ses bases, bordel ! Apportez les étais, Prévert vient de passer, rien ne restera debout ! Il nous avait fait deux ou trois attaques, le vieux à la cigarette, il n'était plus guère capable que de découper des images dans les magazines, mais alors quel génie éclatant ! Déjà dans Paroles, trente ans plus tôt : Notre père qui êtes aux cieux – restez-y. Hein ? Ça déménage pas velu, ça ? C'est pas du poète doré sur tranche ?

Et il en va ainsi durant les 25 mn que dure ce pensum : chaque perle que l'on nous distille sur le génie du jour enfonce le téléspectateur dans la certitude que l'on est en train de lui vendre, non pas un escroc (je ne crois pas que Prévert l'était, je pense même qu'il devait être fort agréable à fréquenter autour de quelques bouteilles), mais un fantôme impossible à ressusciter. Et plus les “amis” s'acharnent, et plus Prévert dégringole. Par exemple, l'un d'eux (j'aurais dû noter les noms  : on va me reprocher de ne pas “citer mes sources”…), à un moment, des étoiles plein les yeux (et je peux le comprendre, je ne lui reproche rien, évidemment), pour nous montrer à quel point Prévert était un type hors du commun nous révèle que, chaque matin, il dessinait une fleur sur une feuille de papier, puis que, autour, entre les pétales, il écrivait ce qu'il avait à faire dans la journée. Ça vous la coupe, ça, non ?Vous auriez eu une audace pareille, mes drôles ?

Jacques Prévert est un parfait poète pour instituteur ou “professeur des collèges” (voire, de nos jours, pour agrégé des lycées) : il n'aime pas les évêques (qui sont toujours vieux et vicieux), ni les curés (qui sont moins vieux mais aussi vicieux) ; il adore les jeunes, parce que les jeunes ont toujours raison, il n'aime pas les vieux parce que les vieux ont toujours tort. En plus, les jeunes sont toujours beaux et les vieux toujours laids, n'empêche. Et il faudrait encore parler des militaires, terrifiants les militaires, et si bêtes, si bêtes ! Mais bon, on manque de temps, pour retracer l'univers si riche et si original de Jacques Prévert. Mais tout de même, grand poète (des millions d'exemplaires vendus dans le moooonde ! a répété trois fois l'ami Poivre en 25 mn d'émission, et on lui sentait la bave de l'envie aux lèvres). La preuve, qui peut faire mieux, plus riche, plus profond que cela :

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis

Putain, en plus d'être niais, ça rime même pas, bordel !

mardi 18 juin 2013

Éradiquons le pujadisme !


Ce soir, marronnier oblige, il était question d'histoire, à la fin du journal de France 2 (à la fin, c'est-à-dire après les sujets qui comptent vraiment : inondations dans le Sud-Ouest, rendre la fierté de soi aux écoliers “sensibles”, micro-trottoir ceci, micro-trottoir cela). Comme il n'a pas échappé à l'équipe de journalistes professionnels, et culturés à s'en pisser parmi, de cette grande chaîne d'État que nous étions le 18 juin, la nux vomica appelée Pujadas, prénom : David, a bientôt pris le ton solennel et la lippe gourmande qui sont les siens lorsqu'il va balancer du lourd, du sujet gravé dans le marbre des siècles. Ses yeux pétillaient de bonheur à l'idée du cadeau qu'il s'apprêtait à nous faire, on sentait qu'il regrettait presque de connaître déjà ce qui allait suivre, défloration qui l'empêchait de partager pleinement notre jouissance à venir. Avec l'air pompeux et grave d'un Giscard disant “au revoir” face caméra, il nous a alors annoncé que, voilà 73 ans exactement, les Français avaient pu entendre l'appel d'un général inconnu, parti la veille de France pour Londres. Et, pivotant sur son siège à roulettes, le grand mamamouchi pujadiste s'est tourné vers son écran géant pour communier avec nous dans la ferveur et écouter religieusement le fameux appel du 18 juin.

Deux ou trois téléspectateurs naïfs, ou un peu moins somnolents, ont dû se dire que, reprenant le micro, le nabot au sourire immuable allait nous préciser qu'il s'agissait en fait du message lancé sur les ondes de la BBC par Charles de Gaulle le 22 juin, jour de la signature de l'armistice, puisqu'il n'existe aucun enregistrement de l'appel du 18 juin. Mais évidemment non : à quoi bon embrouiller inutilement ces malheureux imbéciles harassés ? On a réussi à leur faire entrer le 18 juin dans le crâne, on ne va pas tout compromettre pour une histoire de trois jours, si ? Ce ne serait pas pédagogogique, Coco ! L'information à destination des masses redevables, c'est une guerre sainte qui ne doit pas s'affaiblir en se laissant entraîner dans des arguties byzantines : ainsi en a décidé notre pujihadiste de petite taille. Et c'est pourquoi, ce soir, quelques dizaines de millions de rotants sont persuadés qu'ils viennent d'entendre l'appel du 18 juin et s'en sentent plus ou moins rehaussés à leurs propres yeux. Celui qui prétendrait dissiper ce mensonge, cette éhontée falsification historique, se heurterait à un mur : si le verticalement défié l'a dit, l'affaire est entendue, il n'y a plus à y revenir pour les siècles des siècles.

David Pujadas et moi avons un point commun : nous avons tous deux, mais à des époques différentes, perdu deux ans de notre vie au CFJ, le centre de formation des journalistes, nous avons fait partie du même corps, comme disent les soldats. Mais il y a deux manières de sortir d'un corps, deux voies d'évacuation ; l'une d'elle s'appelle l'anus. On comprend mieux, dès lors, pourquoi la télévision publique ne sent pas meilleur que les toilettes du même nom.

Des nouvelles de la mission handicap


Amis risque-tout, réservez dès à présent votre journée du 25 juin – c'est un mardi – , qui promet d'être grandiose. Ce jour-là, en effet – je cite scrupuleusement l'affiche qui est apparue ce jour dans nos ascenseurs levalloisiens –, « LA MISSION HANDICAP s'associe à la Direction du restaurant d'entreprise ****** pour une Animation Crêpes ». Déjà, comme ça, c'est intriguant, non ? Mais c'est la phrase du bas de l'affiche, sous le dessin hideux, qui donne toute sa dimension à l'événementiel : « Vous pourrez déguster les crêpes préparées par les salariés handicapés de l'ESAT Neflyers. »

Là, évidemment, les questions se bousculent. Celle-ci, tout d'abord : qu'est-ce donc que l'ESAT Neflyers ? Une rapide recherche dans Glouglou (anciennement Goux gueule) nous apprend qu'il existe un ESAT des Néfliers, dans la bonne ville de Fourqueux (mais on peut garder pour soi ses plaisanteries attendues et approximatives).  Il s'agit bien, en effet, d'un organisme regroupant des travailleurs handicapés et dont l'une des activités est le “cadeau d'entreprise”. Le chercheur, déjà assez hébété, suppose que les concepteurs de son affiche ont tenté un jeu de mots sur la jante et sans correcteur de trajectoire entre néflier et flyer, ce qui est, avouons-le sans barguigner, d'une irrésistible drôlerie festive.

Deuxième interrogation, encore plus perturbante que la première s'il est possible : les crêpes confectionnées par des salariés handicapés sont-elles plus savoureuses que celles préparées par une femme au foyer en situation de non-handicap ? Et, si oui, où se situe la crêpe mitonnée par un salarié lambda ? Ou par un handicapé au chômage ? Le sexe du handicapé entre-t-il en ligne de compte ? La parité sera-t-elle respectée ? Peut-on imaginer que les crêpes de l'ESAT Neflyers soient en réalité nettement moins savoureuses que celles de personnes n'appartenant à aucun organisme de ce type, voire franchement immondes, mais que notre conscience solidaire parviendra à compenser leur manque de sapidité pour les faire paraître délicieuses aux palais solidement et gustativement conditionnés ? C'est terrible, ce gouffre qui s'ouvre, juste là, un peu en avant de nos pieds…

Même si l'on parvient à se sortir indemne de cette forêt de points interrogatifs, demeure une sourde inquiétude : de quel genre est le handicap des personnes qui seront, le 25 juin prochain, en partenariat avec le restaurant d'entreprise ******, chargées de faire sauter les crêpes hors de la poêle brûlante ? En l'absence de toute information précise à ce sujet, il est recommandé de venir à la dégustation revêtu de son bon vieux ciré breton – si possible ignifugé.

dimanche 16 juin 2013

Toi aussi, joue à te faire peur avec tes petits camarades antifascistes

Photo prise cet après-midi dans le quartier des Halles (on reconnait, dans le fond, le cul de Saint-Eustache)
Les antifascistes, c'est un peu comme les enfants : quand approchent les vacances d'été, on se demande avec terreur et accablement comment on va bien pouvoir s'y prendre pour les occuper pendant les deux mois qui viennent. Heureusement, pour les seconds il y a les centres aérés de la mairie et les colonies de vacances du comité d'entreprise de papa ; pour les premiers, on se dépêche de redescendre du grenier les dangers imminents, les montées de périls, les ventres féconds, les bêtes immondes, les manifestes, les engagements solennels et les sentiments d'urgence. Ce qui donne ceci :

« Le fait que la montée impétueuse de l’extrême droite et l’émergence d’un néofascisme ultra-violent de masse ne soit plus l’exception à la règle européenne, oblige les antifascistes de ce continent à affronter ce problème à sa juste dimension, c’est-à-dire en tant que problème européen !
Mais, dire ça ne suffit pas, il faut ajouter que la lutte contre l’extrême droite et le néonazisme est d’une  urgence absolue. En effet, dans plusieurs pays européens la menace néofasciste est déjà si directe et immédiate qu’elle transforme la lutte antifasciste en combat de toute première priorité,  dont l’enjeu est la vie ou la mort de la gauche, des organisations ouvrières, des libertés et des droits démocratiques, des valeurs de solidarité et de tolérance, du droit à la différence. Dire qu’on est engagé dans une course de vitesse contre la barbarie raciste et néofasciste correspond désormais à une réalité vérifiée chaque jour dans les rues de nos villes européennes… »

Je sais que l'italique est pénible à lire, mais c'est comme ça que l'on écrit (enfin, je me comprends…) sur le site merveilleux de la Ligue des droits de l'homme – section de Loudéac centre Bretagne ; caverne d'Ali-Baba que je ne peux que vous encourager à fréquenter assidûment, car les fumeroles qui s'en échappent perpétuellement sont du genre qui rend euphorique dès la première inhalation.

Donc, c'est un fait désormais avéré : l'Europe est la proie d'un néofascisme ultra-violent de masse. Au passage on se demande à quoi pourrait bien ressembler un néofascisme bisounours et ne réunissant que douze personnes dans le jardin du führer, mais bon. La lutte est donc d'une urgence non pas relative, comme les naïfs dormeurs du val que vous êtes auraient pu le croire, mais bel et bien absolue : si vous ne faites rien avant la fin de la semaine (oui, toi, qui fais semblant de ne pas voir l'urgence absolue ! et toi aussi, qui feins de croire que ça peut attendre juillet !), la gauche va vomir ses tripes dans le caniveau, les syndicats vont calancher velu, les organisations ouvrières seront pendues aux réverbères et les droits démocratiques iront se faire voir chez Plumeau.

C'est pour ça que ce visionnaire de Bertrand Delanoë a installé des Vélib partout et subventionné à poches retournées les associations de rollers : il la prévoyait depuis longtemps, la course de vitesse contre la barbarie raciste et néofasciste ! Ah, fallait pas lui en promettre, à Bertrand ! Il le savait, lui, que cette réalité allait bientôt pouvoir se vérifier chaque jour (sauf en cas de verglas, à cause du principe de précaution) dans les rues, et même, si ça se trouve, dans les bistrots, les sanisettes et les bonneteries.

Donc, surtout, n'oubliez pas : à partir de demain, on avance tous notre réveil d'une demi-heure, afin de pouvoir lutter contre la barbarie avant d'aller bosser. Car, est-il besoin de le rappeler ?, il s'agit d'une priorité première. Or, déjà, une priorité ordinaire, ça urge plus ou moins ; mais alors, quand elle est première, ça devient limite fout-la-trouille. 

Antifafounettes et antifafounets, je compte sur vous.

La grande misère du journaliste en chambre (ou en case)


Quelle mauvaise fée à mon berceau, quelle malédiction, quelle appétence névrotique pour l'argent ont pu faire que je me retrouve, 57 ans passés, occupant l'après-midi d'un dimanche de juin à écrire huit mille signes à propos de Zouzou le gentil renard ? Les services de recherche de Glouglou (discret hommage à Michel Desgranges…) vous diront tout ce qu'il y a à savoir sur cette bestiole qui, au demeurant, n'a rien demandé à personne : moi, il faut que j'y retourne…

vendredi 14 juin 2013

Yves Montand, chanteur sinistre sans le savoir


Les chansons lugubres, ce n'est pas ce qui manque dans le répertoire français : que l'on se souvienne de Damia, de Fréhel ou encore de la Piaf des années 1936 – 1943. Mais au moins, ce genre-là, la chanson dite réaliste, assumait-il pleinement sa lugubricité, si l'on me permet. Or, il est possible de faire beaucoup plus sinistre que les trois dames citées. Le moyen le plus sûr, pour parvenir à conduire l'auditeur aux rivages du suicide par déprime, est d'écrire une chanson d'apparence gaie, primesautière, mais dont, en fait, le texte est absolument cafardeux. Un très bon exemple de ce que je dis est fourni par Les Grands Boulevards, qu'Yves Montand a arpentés durant toute sa longue carrière. Voyons un peu, décortiquons en chœur.

Je ne suis pas riche à million
Je suis tourneur chez Citroën
J'peux pas me payer des distractions
Tous les jours de la semaine

Le décor est planté, le héros s'avance : une chaîne de montage dans une usine insalubre et bruyante, un pauvre type qui accomplit douze mille fois par jour le même geste dénué de signification. (Confirmation nous est donnée par le début d'une autre chanson de Montand, Luna Park : « Dans mon usine de Puteaux / On peut dire que j'ai le fin boulot / Ça fait bien 365 jours de long / Que je visse toujours le même sacré petit boulon… ») Tout cela pour gagner à peine de quoi survivre, puisque cette triste victime du Groß Kapital avoue n'avoir même pas de quoi, lorsqu'il sort, se payer une place de cinéma. Heureusement, sa totale aliénation l'empêche de voir ses propres chaînes :

Aussi moi, j'ai mes petites manies
Qui me font plaisir et ne coûtent rien
Ainsi, dès le travail fini
Je file entre la porte Saint-Denis
Et le boulevard des Italiens

Seule distraction de l'ouvrier fauché : arpenter interminablement et sans but le tracé des anciennes fortifications de Charles V. Distraction qui n'en est en fait plus une, puisque lui-même reconnaît qu'à force de ne faire que cela, de ne jamais changer ses perspectives de promenades, la sienne a fini par tourner à la manie : c'est de l'aliénation ajoutée à de l'aliénation. Mais poursuivons :

J'aime flâner sur les grands boulevards
Y a tant de choses, tant de choses
Tant de choses à voir
On n'a qu'à choisir au hasard
On s'fait des ampoules
A zigzaguer parmi la foule

Nous parlions de promenade, nous péchions par optimisme : il s'agit plutôt d'un piétinement au milieu d'une grappe humaine compacte, lequel produit son effet immanquable : vous mettre les pieds en sang et transformer votre tentative de marche en calvaire.

J'aime les baraques et les bazars
Les étalages, les loteries
Et les camelots bavards
Qui vous débitent leurs bobards
Ça fait passer l'temps
Et l'on oublie son cafard

Premier aveu d'importance, de la part de notre galérien du bitume : ce qui était censé lui “faire plaisir” à la première strophe, n'est en fait que la seule manière qu'il connaisse de faire s'écouler les interminables heures où il ne visse pas son “sacré petit boulon” et d'oublier un moment sa déprime chronique (qu'il n'oublie d'ailleurs pas puisqu'il nous en parle). Mais ce n'est encore rien.

J'aime flâner sur les grands boulevards
Les soirs d'été quand tout le monde
Aime bien se coucher tard
On a des chances d'apercevoir
Deux yeux angéliques
Que l'ont suit jusqu'à République

Nous en arrivons au plus douloureux : la misère sexuelle de l'exploité. Notre Godot croise une femme qui lui plaît, il se retourne et la suit. Jusqu'à République, soit jusqu'à l'extrême bout de ses mirifiques boulevards. Ce qui signifie d'évidence qu'il n'ose pas l'aborder. Parce qu'il n'a pas les moyens de payer le petit vermouth qui adoucirait peut-être la donzelle, parce qu'il est probablement mal habillé, qu'il a les traits tirés et blêmis par la fatigue (à cause du sacré petit boulon vissé et revissé depuis huit heures le matin), et surtout parce qu'il sent la sueur rance dès qu'on l'approche à moins d'un mètre cinquante (n'oublions pas qu'il est venu sur les grands boulevards dès le travail fini, donc sans se doucher ni se changer – et que le fait d'être ballotté dans la foule de ce soir d'été n'a certainement rien arrangé). On l'imagine hélas très bien, suivant ses deux yeux angéliques (qu'il ne voit d'ailleurs plus puisqu'il est derrière) à une dizaine de mètres, en essayant de ne pas les perdre au milieu de la cohue braillarde. Sur la pente savonneuse où on le voit engagé, il finira par faire la même chose, mais avec la main droite enfoncée dans la poche judicieusement trouée de son pantalon trop court. Comme les meilleures choses ont une fin, et les pires également, voici :

Puis je retrouve mon petit hôtel
Ma chambre où la fenêtre donne
Sur un coin de ciel
D'où me parviennent comme un appel
Toutes les rumeurs, toutes les lueurs
Du monde enchanteur
Des grands boulevards

En clair, notre sympathique ouvrier se farcit les six étages (pour voir le ciel il faut au moins ça) de son garni par l'escalier (c'est-à-dire sur ses pieds rongés d'ampoules), se couche. Sans doute prend-il cinq minutes pour évacuer manuellement la frustration provoquée par les deux yeux angéliques. S'endort-il ensuite ? Non, évidemment. Jusqu'à des heures fort indues (les soirs d'été, tout le monde aime bien se coucher tard), il va devoir supporter les lumières d'en bas et surtout les beuglements des noctambules, des ivrognes et des bourgeois en goguette qui se foutent bien du repos des populations laborieuses. Résultat : pas moyen de fermer l'œil avant au moins une heure du matin. Et, à six heures et demie, la sonnerie du réveil le jettera au bas de son galetas, car il faut qu'il soit à huit heures quai de Javel (il bosse chez Citroën), et parce que, avant de partir, il lui faudra encore soigner ses fucking ampoules, s'il veut pouvoir tenir ses dix heures devant sa chaîne de montage : un enfer à traverser, dont il tentera de se dédommager, le soir venu, en retournant, tel un drogué à sa seringue, sur ces Grands Boulevards, qui finiront bien par le tuer ou au moins le conduire à Charenton, chez les dingues.

Et on arrive quand même à nous faire une chanson gaie avec tout ça. Je me demande si on ne se foutrait pas un peu de la binette de la classe ouvrière.

jeudi 13 juin 2013

Soyons solidaires avec le peuple grec, et plus vite que ça !


Il est temps de prouver que la sainte solidarité n'est pas une vertu uniquement de gauche. À notre tour, camarades nauséabond-e-s et néo-nazebroques, à notre tour de la mettre en pratique : solidarisons-nous avec l'admirable peuple grec et exigeons la fermeture immédiate de toutes les chaînes et radios dites de service public ! Envoyons dès demain matin tous les petits Pujadas rebelles chez Paul-e Emploi, escortés de tous les minuscules Caron permanentés, et autres insignifiants dont ma mémoire n'a conservé aucune trace des noms. Pour une fois, nous serons ravis que ces voix-de-son-maître parasitaires vivent de l'argent public ; on s'arrangera pour leur en allouer fort peu.

Et nous pourrons, enfin, contempler réellement, des heures durant, les écrans noirs divers de nos nuits blanches caucasiennes.

mercredi 12 juin 2013

Mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre…


Voilà, ça les reprend, j'en étais sûr. Déjà l'année dernière, la “mission handicap” dépendant de la Direction des Ressources Humaines (avec majuscules partout, mais oui, mais oui !) avait voulu à toute force m'initier à une autre façon de communiquer. Comme mon ambition est désormais de ne communiquer avec mes semblables qu'en cas d'absolue nécessité, j'avais décliné poliment. D'autant qu'il s'agissait d'une communication non-verbale (avé le trait d'union, mais oui, mais oui !) et que, pour ça, j'ai déjà le blog.

Donc, ils recommencent. Un malfaisant quelconque a brusquement sorti de leur bocal de formol la “chargée de mission handicap” ainsi que la “responsable mission handicap” (dont le slogan festif est :  « Je suis handicap ! »), afin, une nouvelle fois, de nous inciter à venir massivement, le mardi 25 juin 2013, de 12 h à 14 h 15 (Déjeuner panier repas offert), apprendre le langage des sourds-muets. Je ne sais pas si on peut apprendre le langage des sourds-muets entre 12 h et 14 h 15 ; ce dont je suis sûr, en revanche, c'est de trouver tout à fait absurde l'idée d'apprendre à jacter avec les doigts alors que je ne fréquente aucune  personne en situation de handicap audio-phonétique.

L'année dernière, probablement à la même époque (le printemps a entre autres cette particularité de réveiller les chargées de mission de leur torpeur hivernale), j'avais fait part de mes réflexions à une jeune femme avec qui je travaille. Elle s'était montrée un peu choquée de ma désinvolture : « Mais enfin, on peut toujours être amené à entrer en contact avec des sourds-muets ! » Après une seconde de réflexion – pas plus : il ne faut pas s'exagérer les joies de la réflexion –, je lui avais répondu : « Tu as raison. Tellement raison, même, que je vais dès demain me plonger dans l'étude intensive et conjointe du serbe et de l'ourdou, car les probabilités que j'entre prochainement en contact avec un locuteur de l'une ou l'autre de ces deux belles langues n'est après tout pas si faible que cela. » Elle a trouvé que je racontais n'importe quoi.

lundi 10 juin 2013

La classe princière de Jean S.

La salle à manger de l'Hôtel du Tribunal

Dimanche, comme annoncé, nous sommes partis un peu plus tôt qu'il n'était nécessaire, afin d'aller flâner un moment dans les rues de Mortagne-au-Perche, près de quoi nous avons vécu trois ans, entre 1998 et 2000. Nous sommes même entrés à l'hôtel du Tribunal, situé sur l'une des plus charmantes placettes qui soient dans cette ville, pour y prendre café et thé. Cet hôtel, nous y avons dormi plusieurs fois. La première, ce fut en octobre ou novembre 1997, après avoir signé chez le notaire pour l'achat de la maison de Sainte-Scolasse. Nous avons bien entendu dîné – fort correctement – dans la salle que l'on voit ici.

Nous étions à peine installés à notre table, que nous avons vu l'une des jeunes serveuses s'avancer vers nous, portant un plateau de service sur lequel étaient disposés un seau à champagne, avec une bouteille dedans, et deux flûtes. « Attendez, c'est sûrement une erreur, Mademoiselle : nous n'avons rien commandé encore… » Sans se laisser démonter par une si futile objection, et tout en s'attaquant au bouchon, elle nous assure : « La bouteille vous est offerte… par un Monsieur de Paris… »

C'était Jean S., grand reporter à France Dimanche, et lui-même propriétaire d'une maison à Courtomer (à huit kilomètres de Sainte-Scolasse, en direction de Sées), qui, sachant que nous devions passer la nuit dans l'Orne, s'était livré à une enquête approfondie afin de déterminer dans quel hôtel de la ville nous étions descendus – et qui nous avait fait ce petit cadeau de bienvenue dans la région. La classe. Le cadeau fut bu, comme on doit bien s'en douter.

dimanche 9 juin 2013

Aujourd'hui, nous sommes là (enfin, pas loin…)


C'est une sorte de dégradation dreyfusienne que nous nous infligeons, puisque nous dégringolons brutalement de la Haute à la Basse-Normandie. Nous passerons devant chez Monsieur le duc de Saint-Simon, avant d'effectuer un petit crochet par Sainte-Scolasse-sur-Sarthe afin de voir, 13 ans après, à quoi ressemble notre ancienne maison. Nous ferons sans doute une courte halte à Mortagne-au-Perche, avant de rejoindre nos hôtes. Et c'est ici que s'interrompt ce magistral et passionnant billet.

samedi 8 juin 2013

Mais que fait donc cette mouche dans mon verre de pastis ?


Toute personne habitant la campagne est amenée à partager son lebensraum avec un certain nombre de bestioles, qui étaient là avant lui dans la plupart des cas : non les individus, mais l'espèce. Je parle principalement des insectes et assimilés, car personne, à me connaissance, ne se scandalise ni ne s'effraie de devoir cohabiter avec des mésanges ou des lapins de garenne. Pour ma part, je m'accommode fort bien de ce voisinage avec les rampants, les volants, les vrombissants, les silencieux, les chitineux, les tout-mous, et autres mini-organismes moins dûment répertoriés. Je suppose qu'il en irait un peu autrement si je vivais dans des contrées stupides et dangereuses – l'Afrique, l'Australie, la forêt amazonienne… – où la moitié des espèces sont venimeuses ascendant mortelles. Mais, par chez nous, l'insecte a tendance à se montrer bonasse, innocuite, innocent, voire in-nocent pour complaire à Renaud Camus.

Par conséquent, je cohabite en excellente intelligence, laquelle, entre eux et nous, est mieux partagée que notre fatuité native ne nous le laisse généralement à penser. Non seulement je ne confronte jamais la semelle de ma charentaise à un organisme vivant (la confronter à un organisme mort n'aurait par ailleurs aucun sens), mais il m'arrive fréquemment de sauver la vie d'une mouche tombée dans la gamelle d'eau des chiens, celle d'une sauterelle égarée dans le salon ou d'un escargot parti sottement à l'assaut du mur de façade. Cette mansuétude souffre cependant deux exceptions.

Je massacre impitoyablement toute araignée ayant la mauvaise idée de déambuler dans la maison ; non par un quelconque ressentiment particulier envers sa personne, mais parce que Catherine est arachnophobe (et, là, pour une fois, le phobe est pleinement justifié), et que je déteste les hurlements qu'elle pousse lorsqu'elle se trouve confrontée à l'une de ces inoffensives créatures. La deuxième exception est celle des frelons ; cette fois, c'est moi qui suis frelonophobe, le suffixe étant à peine moins justifié que précédemment car, enfin, jamais aucun de ces B 52 à rayures ne m'a encore attaqué. Mais je n'y peux rien : j'ai peur.

Il y aurait bien aussi le cas des souris qui, entre plafond et toit, bouffent la laine de verre tout en se multipliant, et qui, de ce fait, nécessitent parfois quelque contrattaque chimique et létale ; mais cela nous entraînerait trop loin.

vendredi 7 juin 2013

Catherine Goux à la conquête de l'Amérique


Comme il doit bien se trouver des lecteurs de ce blog-ci pour négliger d'aller admirer les superbes photos de Catherine sur La Meute des gâteux – ce qui est très mal –, revenons un moment sur ce que j'y disais hier. Un Américain a créé un site sur lequel il publie les photos de tous les contributeurs qui veulent bien lui en envoyer, à condition qu'elles répondent aux critères définis par lui au préalable : il s'agit de photographier un cliché plus ou moins ancien, dans le cadre même où celui-ci avait été réalisé : la photo de Catherine éclaire fort bien ce que mon explication peut avoir d'obscur et d'emprunté. 

Donc, hier matin, elle s'est munie de la photo qu'elle avait faite de Balbec, à l'entrée de la Côte blanche, derrière chez nous, il y a une petite dizaine d'années – je ne saurais être plus précis, mais on s'en tape un peu ; c'était avant 2006 en tout cas, Balbec étant mort cette année-là.  Elstir a été sommé de se coucher à peu près à l'endroit où Balbec l'avait fait avant lui, il ne restait à l'opératrice qu'à déterminer son cadre avec auttant d'exactitude que possible, ce qui fut fait de manière satisfaisante, comme on peut voir.

Le blogueur anglo-saxon a publié la photo obtenue dès cette nuit (qui ne devait être que la soirée pour lui, est-on enclin à supposer), ce qui justifie pleinement mon titre pompeux.

jeudi 6 juin 2013

Notre avenir proche se trouve dans les romans déjà écrits


– Puis-je rappeler respectueusement, monsieur le Premier, que le Président s'est engagé à proscrire toute augmentation d'impôt durant toute la durée de son règne ?
– Et nous avons tenu parole, Dupont, et nous continuerons à tenir parole…  Nous avons juste créé quelques contributions de solidarité citoyenne…
– Treize depuis deux mois, précisa Bleuet.
– Mais elles rentrent de plus en plus mal, il faut vérifier, réclamer, envoyer des huissiers, des gendarmes, saisir des chaises, des matelas, les faire vendre par les Domaines, tout ça, ça coûte, et puis, on commence à être à court d'inspiration, la contribution environnementale sur les ronces et orties dans les jardins, il a fallu se creuser…
– Si tu ne peux plus inventer, réinvente, lança Crambouis, on peut taxer les pianos, les portes et fenêtres, les chiens, remettre en vigueur la gabelle…
– Tu y es presque, le Delormeau, il a trouvé le moyen d'être tranquille, et pour un bout de temps…
Dupont :
– Ne nous faites pas languir, Monsieur le Premier…
– La ferme !
– Monsieur le Premier !!
– Ne soyez pas susceptible, Dupont, ce n'est pas à vous que je m'adressais…
« La ferme… le fermage… Compris Mesdames Messieurs ?
« Nous allons affermer les contributions, les anciennes et les futures.
« Et c'est réglé.
« J'ai dégotté un Coréen, monsieur Kim, il nous verse dix milliards par semaine, il se charge de lever les contributions, et s'il encaisse plus qu'il ne nous donne, le gras est pour lui.
« Chouette, non ? On a les sous, pas d'enquiquinements, pas de frais de gestion, un sauveur, le clébard jaune…
« Y a juste un point dans le projet de protocole, je dois vous le dire, on autorise le Kim à ajuster l'assiette des contributions selon ses besoins, et à utiliser ses propres hommes pour le recouvrement, si ça renâcle. Mais on les aura assermentés, et c'est à nous qu'ils achèteront leurs armes, c'est écrit dans le contrat.
« Et ce contrat, on peut le signer sous huitaine, monsieur Kim vient à Paris, on lui a déjà retenu un étage du Crillon, il y a juste deux ou trois lois à faire voter avant…
« C'est quel jour déjà qu'il n'y a pas les télés à la Chambre ? Mardi ?
« Parfait, donc mardi, tu t'y pointes Bleuet, il y aura juste une demi-douzaine de gus en séance, et comme on aura rien annoncé, pas d'opposition, tu fais voter tes trucs vite fait, et voilà, avenir radieux devant nous.
« Bon, je résume tout…

Michel Desgranges, Une femme d'État, Les Belles Lettres, 2011, pp. 22 – 24.

L'effroyable paupérisation des classes moyennes


Depuis que les socialistes de grands chemins ont fait s'abattre sur nos têtes leur politique confiscatoire, nous n'avons plus qu'un demi-cerisier. Pour l'instant, le malheureux mutilé produit encore des fruits entiers ; mais nous attendons avec angoisse le prochain train de mesures spoliatrices…

mercredi 5 juin 2013

La théorie du genre à coups de barres à mine


Évidemment, si l'on veut installer solidement le mariage guignol dans l'éternité de l'avenir futur, le plus simple est encore de décerveler dès leurs premières classes d'école les petits n'enfants, en achevant de leur brouiller l'entendement, si par extraordinaire leurs parents n'y étaient pas tout à fait parvenus avant la rentrée. Pour obtenir un tel résultat aussi vite et complètement que possible, on ne trouvera pas mieux que la théorie du genre, cette élucubration asilaire, dont on nous dit qu'elle fut bricolée par un encrassé du bulbe notoire, mais que l'on va désormais se préoccuper de nous vendre (je ne sais pourquoi m'est venu ce futur proche, puisque l'affaire semble d'ores et déjà engagée) à doses massives. Dès la maternelle, entre les cubes multicolores et les poissons panés hallal de la cantine, on chargera donc les “professeurs des écoles” (en ancien français : instituteur frappé d'impéritie) de faire comprendre aux bambins et aux bambines qu'ils ne sont pour l'instant rien de semblable, qu'ils auront bien le temps de décider plus tard de ce qu'ils veulent être. L'école va devenir très fun.

Évidemment, ça se met déjà à renauder dans la nauséabonderie, alors même que cet exaltant projet n'est encore, justement, qu'un projet. Ils n'ont pas tort, du reste : mieux vaut prévenir ; commencer dès maintenant à expliquer aux gardiens de préau diplômés qu'il ne saurait être question qu'on les laisse déblatérer leurs démences aux enfants de France, si jamais ils étaient tentés d'obtempérer aux prochaines divagations ministérielles. Si une explication franche et virile n'y suffisait pas, il conviendrait alors de former de petits bataillons mobiles qui, munis d'objets contondants, seraient chargés d'aller attendre ces malfaisants dans leurs parkings souterrains privés afin de leur exploser les genoux.

Genre.

mardi 4 juin 2013

Un nouveau blogueur réactionnaire sur orbite


Il ne s'agit nullement de Guillaume Budé (mille quatre cent quelque chose – mille cinq cent à peine moins), mais enfin l'illustration n'est pas sans quelque rapport avec cet Iconoclaste réactionnaire qui vient de faire son apparition dans la galaxie. Amis trolls de gauche et autres modernœuds volants, laissez-lui le temps de souffler et de s'installer dans ses meubles avant de vous déchaîner en meute. 

lundi 3 juin 2013

Les Goux se suivent (dans le temps) et ne se ressemblent pas


Des pays pas vrais : c'est ainsi que, depuis toujours, mon père nomme ces contrées où aucun Européen doté d'un minimum de raison n'aurait l'idée d'aller vivre, ni même de passer une semaine. Est-il nécessaire de préciser que la liste des pays pas vrais est considérablement plus importante que celle des pays-tout-court ? Je n'étonnerai personne non plus en ajoutant que, passant d'une génération à l'autre, c'est-à-dire de mon père à moi, cette liste s'est encore allongée, et que, finalement, la réunion des pays pas vrais en arrive à recouvrir presque exactement la mappemonde.

Eh bien, apparemment, cela ne vaut que pour moi, puisque, après vingt ans d'exil anglais, mon frère et sa petite famille s'apprêtent à quitter Bristol dès cet été pour aller s'installer à… à… (c'est à peine si j'ose…) à Dubaï ! Il y a donc bel et bien des gens qui envisagent plus ou moins sereinement d'aller vivre à Dubaï – je ne suis pas loin de regarder cette expression, vivre à Dubaï, comme une aporie –, sans y être contraints ; et qu'il s'en dissimule même au sein de ma propre famille. Lorsque Mme Goux cadet, hier soir, au téléphone, nous a fait observer que nous pourrions venir les visiter sous leur future tente, la réponse que l'on imagine a aussitôt fusé : elle signifiait quelque chose comme même pas en rêve. Et Catherine a fait observer à Dominique que si nous n'étions jamais venus une seule fois à Bristol en 20 ans, ce n'était certainement pas pour aller faire les guignols au bord du Golfe Persique. De toute façon, Dominique n'avait pas l'air de trop y croire elle-même…

Quand on aura envie d'une rencontre au sommet entre les Goux aînés et les Goux cadets, on fera comme à l'accoutumée : l'un des deux clans prendra l'avion et on se retrouvera tous au Plessis-Hébert. Non mais c'est vrai, quoi.

samedi 1 juin 2013

That cold day in the park


Peut-on imaginer un film à un seul personnage ? Une femme, par exemple. Dont on ne saurait rien – mais alors, vraiment rien : ni qui elle est, ni où elle vit, ni ce qu'elle fait, ni son passé, ni évidemment encore moins son avenir, ni ce qu'elle pense éventuellement, ni ce qu'elle a pu souffrir, peut-être.

Est-il possible de faire un film se passant entièrement à l'intérieur du cerveau encagé d'une folle ? De dresser le portrait d'un être qui n'existe que par ses frustrations sexuelles ? De construire tout son film sur les tensions insupportables de cette femme, en lui interdisant d'exprimer quoi que ce soit ? De bâtir des ébauches d'histoires, tout en ayant fait comprendre au spectateur, dès les premières minutes, que rien de ce qu'il va voir n'existe ? Enfin, avec tous ces présupposés, est-il possible de réaliser un film passionnant ?

Les réponses sont oui, si je puis dire. J'ai toujours éprouvé une faiblesse coupable pour Robert Altman, même quand, d'après Télérama ou d'autres connards du même acabit, il sortait un film inférieur à lui-même. Il paraît qu'il faisait ça souvent, nous disent les cons, les inutiles, les fâcheux cinématographiques. Il y a même des crétins pompeux pour théoriser, classifier, etc. : Altman fait un bon film sur deux, l'autre est une merde, le suivant est un chef-d'œuvre, gnin gnin gnin : on n'est pas obligé de les croire, ces cuistres.

En tout cas, je n'avais jamais entendu parler de ce film-là (celui qui porte le titre de ce billet). Trois quarts d'heure après la fin du film, je suis encore ébloui de ce que j'ai vu : du vrai cinéma. C'est-à-dire quelque chose n'ayant rien à voir avec cette sorte de mécano simpliste à partir de quoi les pitoyables scénaristes actuels prétendent construire des films – des vrais : des qu'on aura encore plaisir à revoir dans trente ans.

Or, c'est quoi, un film qu'on revoit avec plaisir, avec bonheur, dix ou cinquante ans après sa sortie, alors qu'on l'a déjà vu trois ou trente fois ?  C'est difficile à dire. Ne compte que le charme, ce qu'on ne peut pas quantifier. Ainsi, hier, parce que la télévision est pitoyable, nous nous sommes retrouvés à revoir The graduate, que Catherine comme moi connaissions par cœur. 

Eh bien… Eh bien voilà un film qui vieillit superbement, et il y en a peu. Dustin Hofman si jeune, Anne Bancroft si belle, Simon and Garfunkel si Simon and Garfunkel ; et ces années soixante si années soixante, n'est-ce pas…

Hello darkness my old friend
I've come to talk with you again…