Encore tout hirsute des combats auxquels il vient de participer, Robert Marchenoir nous a adressé le texte qu'on va lire. Quant à moi, si jamais une armée de gueux munis de faux et de fourches s'approche de ce blog, le blasphème et la menace en bouche, pour se faire justice, je saurai à qui les adresser…
Baston générale chez Fromage Plus
Il y a une dizaine de jours, voulant sans doute calmer les bagarres qui surviennent périodiquement, bien malgré lui, sur son excellent blog, l’infortuné Fromage Plus a cru bon de faire un post consensuel, pacifique, plein d’amour et de charité chrétienne, exclusivement composé de photos de son (je suppose) pèlerinage de Lille à Chartres.
Sans le moindre commentaire de sa part.
Hélas, quelqu’un dans l’ecclesia (je veux dire l’assemblée) fit remarquer le caractère funeste d’une des photos, représentant l’un de ces fameux lotissements pavillonnaires qui défigurent le paysage de la France rurale et éternelle, tel un furoncle sur le beau visage d'Adriana Lima
Ce à quoi je répondis, en gros, qu’il fallait bien que les gens se logeassent.
Du coup, la baston générale a éclaté.
Elle dure sans doute encore à l’heure où vous lirez ces lignes.
Je vous résume le film. A ma gauche (je simplifie), le gang des catholiques traditionnalistes, paléo ou néo-ruraux, voire agriculteurs, décroissants, auto-suffisants, et, bien entendu, anti-libéraux. À ma droite (je caricature), la fine fleur des citadins libéraux-conservateurs, pour ne pas dire réactionnaires et nauséabonds – dont votre serviteur.
Nous étions donc entre amis.
Entre deux bourre-pifs, nous devisâmes civilement de maisonnettes, de maçonnerie et d’agriculture. Ce qui donna lieu, entre autres, aux déclarations suivantes (orthographe respectée) :
« Ça me fais bien mal de savoir que je trime pour nourrir des connards dans vôtre genre qui n’ont même pas conscience qu’ils ne sont rien sans nous. Ne rêvez pas la famine vous pend au nez, et ce jour la on vous verra dégueuler dans les campagnes quémander de quoi bouffer. »
« Je vois pas pourquoi jme casserai le derche à nourrir des gens comme ça. »
« Venez pas mendier : moi, j’aurai TOUJOURS de quoi bouffer. »
Formidable auto-radioscopie de la mentalité du “paysan” français, et, d'ailleurs, du Français en général. On voit tout de suite le fantasme : sous prétexte qu'il fait pousser des patates ou n'importe quoi d'autre, le type s'imagine qu'il nourrit les Français, alors que ce sont bien évidemment les Français qui le nourrissent.
Ben oui : ses patates, il ne les donne pas, comme ça, bénévolement, par charité. Il les vend. Ce sont donc bien ses clients qui, en acceptant de lui acheter ses produits, lui permettent de “bouffer”, c'est-à-dire de subvenir à ses besoins.
Y compris alimentaires, bien évidemment. Le “paysan”, il fournit un produit, peut-être quelques-uns, mais certainement pas tout ce dont il a besoin pour “bouffer”. Son sucre, il l'achète au supermarché, comme tout le monde. Son café, son poivre, ses bananes, il aurait un peu de mal à les faire pousser lui-même. S'il fait du fromage en montagne, il ne fait pas de blé. Et vice-versa. Son merlan, il ne le pêche pas dans l'étang derrière chez lui. Son bœuf, il a bien besoin d'un “connard” pour l'abattre. Il ne va pas lui prendre le filet sur pied pour le mettre au gril. Son pain, il a bien besoin d'un autre “connard” pour le cuire.
L'électricité, l'essence, la voiture, les machines et Internet, dont il a besoin pour “nourrir tous ces connards”, ce sont d'autres “connards” qui les lui fournissent. Dont certains, même, abomination de la désolation, habitent en ville.
Mais ça ne fait rien. Dès qu'on ne se prosterne pas devant lui, dès qu'on conteste un tant soit peu sa vision du monde et des choses, ses droizacquis et ses subventions, il se promet d'affamer ses contemporains.
Menace qu'il ne mettra jamais à exécution, naturellement.
Quand bien même il le ferait, les “connards” continueraient, bien évidemment, à “bouffer” sans s'apercevoir de rien. Car il y a des centaines de millions de “connards”, à travers le monde, qui ne demandent pas mieux que de “nourrir ces connards de Français”.
Et c'est bien ce qui emmerde le p'tit paysan qui est si sympa, si altruiste, si dévoué, si généreux de son temps et de sa peine, si respectueux des hommes et de la nature.
On peut se passer de lui.
Le monde ne tourne pas autour de son nombril et de son lopin de terre. Il serait même légèrement en surnombre que ça ne m'étonnerait pas.
C'est bien pour cela qu'il dit : « Vous êtes des connards, vous n'êtes rien sans nous. »
On voit bien quel est son rêve secret. Être un petit Hitler, un petit Staline, un petit Pol Pot. Tenir tous ces “connards” sous sa botte.
Et c'est bien pourquoi il est anti-libéral : il est contre la liberté.
D'ailleurs, un fonctionnaire ne peut qu'être anti-libéral. Il sait très bien où est son intérêt. Une profession dont la moitié des revenus provient de subventions est composée de fonctionnaires. Une profession dont l'outil de travail, la terre, est nationalisé, puisqu'il ne se vend qu'avec l'autorisation d'un organisme monopolistique et para-public, est naturellement portée à être socialiste.
Tout en cultivant son image d'individualisme buté et hargneux, comme le montrent à l'évidence les réflexions ci-dessus.
Les pires vices de l'individualisme alliés aux pires vices du socialisme : voilà le profil du pitit paysan franchouille, que le monde entier nous envie.
Et le pitit paysan franchouille, observant la crise financière mondiale, se frotte les mains en espérant le retour de l'Occupation : « Ne rêvez pas la famine vous pend au nez, et ce jour la on vous verra dégueuler dans les campagnes quémander de quoi bouffer. »
Ça, ça le fait positivement bander, le pitit paysan français. Il l’a vu dans les films, à la télé : les expéditions à la campagne pour le ravitaillement, le marché noir… Vivement que tout ça se casse la gueule, qu'on puisse enfin se faire des couilles en or sur le dos de ces “connards”.
Un grand humaniste, on vous le dit, contrairement à ces salopards de “rats des villes”. Le cœur sur la main, toujours prêt à rendre service. Le genre de type auquel on a envie de vouer une gratitude infinie, en temps normal, de bien vouloir être assez bon pour nous “nourrir”, nous autres les “connards”.
Évidemment, là aussi, le zentil pitit producteur se fourre le doigt dans l'œil, et nous raconte des histoires : l'agriculture française de 2011 n'est pas celle de 1940. Dans leur immense majorité, les agriculteurs seraient autant aux abois que les citadins, si le fameux cataclysme que certains ont la bêtise d'appeler de leurs vœux se produisait.
En 1940, le tracteur ou la voiture s'appelaient cheval, le congélateur n'existait pas, le cours des denrées n'était pas sur Internet… et il n'y avait pas de subventions.
Toutes ces menaces, ces insultes et ces rodomontades expliquent, rétrospectivement, bien des choses. On en comprend un peu plus sur les HLPSDNH, la collaboration, la permanence d'une certaine mentalité française : toute de “solidarité” et “d'humanisme” en façade, mais rêvant au jour où, enfin, surviendra l'occasion d'escroquer son prochain dans les grandes largeurs.
Bref : le socialisme, issu en droite ligne de la Révolution. La guerre civile de 1789 n'est pas terminée.
Remarquez que cette mentalité n'est pas circonscrite aux paysans. Les membres de toutes les professions s'imaginent qu'ils sont indispensables.
Cette profonde maxime : « Ça me fais bien mal de savoir que je trime pour nourrir des connards dans vôtre genre qui n’ont même pas conscience qu’ils ne sont rien sans nous », devrait être inscrite au fronton des monuments de la République. Elle en est, véritablement, la devise.
C'est ce que pensent, et disent, un nombre incalculable de gens dans toutes les strates de la société, du haut fonctionnaire le plus puissant à l'artisan le plus modeste.
C'est, bien entendu, au premier chef, la mentalité des fonctionnaires. Alors qu'ils devraient être les premiers à se sentir, et à se dire, au service de la population, ils se comportent, et ils le disent, comme si c'était la population qui leur était redevable. De lui fournir l'éducation, la médecine, les transports, de bien vouloir être assez bons pour lui soutirer 56 % de ce qu'elle gagne sous forme d'impôts…
Cette ahurissante inversion des valeurs et des responsabilités a contaminé toute la société, secteur privé compris. Le type qui fournit un bien ou un service sur le marché, en échange d'un paiement, est sincèrement persuadé non pas qu'il devrait remercier, tous les matins que Dieu fait, ses clients de l'avoir choisi, non pas qu'il participe à un échange équilibré où chacun rend service à l'autre, mais qu'il est bien bon “de trimer toute la journée pour rendre service à ces connards de clients” qui n'ont même pas conscience de leur chance que le roi du monde et de ses environs daigne s'intéresser à eux.
En somme, l'argent qui change de mains à cette occasion est une sorte d'impôt. C'est un dû.
Et quand, par le plus grand des hasards, il manque à se matérialiser, cela devient la faute du gouvernement. Ou de l'ultra-libéralisme. Et en général les deux.
La contradiction ne semble pas les gêner. Ils n'en sont plus à ça près.
Remarquez que toute cette construction économico-intellectuelle (il faut le dire vite…) ne tient que grâce à la dette publique, qui, contrairement à ce que prétendent certains à l'esstrêm' drouâte, n'est pas due aux Chouifs, ni aux banksters internationaux, ni à l'ultra-libéralisme, mais bien à l'ultra-étatisme.
En somme, au socialisme.
Rendez-vous compte que tous les Français de moins de 54 ans ont vécu toute leur vie de citoyens, c'est-à-dire à partir de l'âge de 18 ans, sans avoir jamais connu un seul budget public à l'équilibre.
Je répète : depuis 1975, la France a toujours été, année après année, en déficit. Si vous aviez 18 ans en 1975, l'âge auquel on a le droit de s'impliquer dans les affaires publiques aujourd'hui, ou si vous étiez plus jeune, ou si vous n'étiez pas né, eh bien vous n'avez jamais eu le droit de vote à un moment où la France ne dépensait pas davantage qu'elle ne gagnait. Quel que fût le parti au pouvoir.
Autrement dit, tous les Français de moins de 54 ans ont des raisons de trouver normal que l'argent pousse sur un arbre planté dans la cour de l'Élysée, puisqu'ils n'ont jamais connu autre chose de leur vie d'adulte, et que tout leur a semblé fonctionner normalement pendant ce temps.
Évidemment, ça ne peut pas durer.
Certains pensent pouvoir s'en tirer en affamant, le jour venu, leurs “connards” de concitoyens. Et ils s'imaginent que les “aigris”, ce sont les autres. Ils pensent que les insultes et le chantage vont suffire à leur garantir leur petit confort.
Ils se préparent de douloureux lendemains.