jeudi 29 février 2024

Sur les traces de Rocamadour…


 

Bref retour rue du Sommerard en février.

mardi 27 février 2024

Littérature phallique et débat maternel — avec Philippe Muray pour arbitre


 

« Toute littérature qui ne repère pas la Culture comme son ennemi primordial trahit la littérature.

« La littérature n'est pas du côté du maternel culturesque, elle est du côté du Père : incarnation de décisions qu'on ne discute pas, qui n'ont pas à être justifiées. Pôle d'identification du phallus.

« La littérature ne se discute pas. Elle s'admire ou elle se quitte. Le débat, en revanche, c'est du maternel, c'est du culturel.

« La littérature ne parle pas, n'écoute pas, ne débat pas. Elle dit. »

 

La mâle déclaration que l'on vient de lire est de Philippe Muray, elle date du 6 mars 1995.  Car telle est la nouvelle que j'apporte : les volumes V et VI d'Ultima Necat, le “Journal intime” du Muray en question, sont arrivés chez vos libraires, et même chez les libraires des autres. (S'ils n'y sont point encore, ce ne saurait être qu'une question de jours, peut-être même d'heures : vous pouvez toujours réserver vos exemplaires.)

C'est une bonne et une mauvaise nouvelle tout ensemble. Bonne parce que deux volumes valent mieux qu'un, surtout lorsqu'il s'agit de cet écrivain-là ; mauvaise parce que ce seront les derniers. 

Après 1997, sur quoi se ferme le volume VI, Muray a plus ou moins cessé de tenir son journal. Je badigeonne mon “plus ou moins” d'italique pour réveiller le fond de la classe et attirer l'attention sur ce fait que, si Muray a considéré lui-même l'expérience comme terminée, il a tout de même continué à noircir des pages, ou un écran, mais uniquement sous forme de notes brèves et éparses. 

C'est en tout cas ce que, dans sa postface, explique Anne Sefrioui – la “Nanouk” que l'on ne cesse de rencontrer dans le journal –, maître d'œuvre (bon sang ! j'ai failli écrire “maîtresse d'œuvre” : la modernité virale s'attrape plus facilement que le covid…) des six tomes d'Ultima Necat.

Six volumes, six armes de destruction massive braquées sur la connerie satisfaite de l'after-monde, six livres qui, une fois lus, ne demanderont qu'à être relus : on s'y emploiera.

vendredi 23 février 2024

Les MeTouffes à fouet et talons aiguilles


 Les mâles commencent à s'adapter aux humeurs et aux lubies de ces dames, apparemment. Chez Élodie, je tombe sur cette petite annonce touittérienne : 

« Je suis soumis aux femmes féministes. Anciennement macho et raciste, les femmes m'ont remis à ma place de chien. J'adore les pieds aussi. » (J'ai rétabli orthographe et ponctuation.) 

Évidemment, la sourcilleuse Élodie ne cite cette publication que pour s'en offusquer, prouvant par là, s'il était besoin, le néo-puritanisme qui les fait se raidir, elle et ses sœurs-de-plainte. 

Personnellement, je le trouve plutôt amusant et astucieux, ce maso-opportuniste. Souhaitons-lui de rencontrer l'âme sœur (et pas de plainte…), c'est-à-dire une femme qui, elle, fera semblant d'être MeTooQuelquechose, pour leur plus grande satisfaction à tous les deux.

dimanche 18 février 2024

Père mutation et mère putation


 Parce que le mot est du genre féminin, et parce que l'on parle couramment de la mère patrie, il m'aurait semblé logique que tous nos woketeux post-féministoïdes adoptassent sans hésiter, et même dans l'enthousiasme le plus progressiste, ce mot, patrie, comme indiscutable et splendide emblème transgenre : cette fusion parfaite du masculin et du féminin aurait dû d'emblée les ravir en extase. 

Or, après avoir consulté de droite et de gauche, sondé les esprits et ausculté les grimoires, j'ai comme l'impression qu'il n'en est rien. J'ai même ouï que certaines excitées du vocabulaire, du genre “MeTooLexique” ou quelque chose d'approchant, proposaient, lors de leurs réunions des soirées de pleine lune, de le remplacer par matrie.

Après tout, pourquoi pas ? Abattons les pères et vivent les mères ! Personnellement, je suis tout près de l'adopter, cette matrie tant désirée. Mais pas n'importe comment ni à toute condition. Afin de respecter le transgenrisme initial, qu'il serait bien dommage de perdre, il faudra impérativement que ce mot tout brillant de l'éclat du neuf soit décrété de genre masculin. Et que chacun puisse dès lors, avec émotion et fierté, évoquer son inaltérable amour pour le père matrie.

Et c'est ainsi qu'on abat des patriarcats comme en se jouant.

dimanche 11 février 2024

Les émoluments de la phobie (film moderne)

Chauffeurs routiers découvrant la gay attitude

 D'ici quelques semaines doit arriver sur Netflix la version 2024 du Salaire de la peur. Comme nous venons tout juste de revoir le film de Clouzot, j'ai trouvé intéressant de mettre le nouvel avatar dans ma liste, histoire de confronter l'ancien et le nouveau. 

Annonçant la chose à Catherine, j'ajoute : « Je suppose que ça va être bourré d'effets spéciaux et de scènes spectaculaires pas crédibles une seconde... » 

Elle : « Et Yves Montand va sûrement être remplacé par un noir... » 

Moi, lui filant aussitôt le train : « Par une femme noire ! Et pour faire bon poids, Charles Vanel sera sûrement pédé... » 

Après coup, je me suis dit que, les woketeux netflicards ne reculant généralement devant rien, je ne serais pas surpris que, au beau milieu du périple, Folco Lulli devienne tout soudain Folca Lulette et affirme bien haut sa non-binarité, transformant ainsi l'aventure cauchemardesque en une sorte de “nitro pride” du plus bel effet. 

Quant au quatrième larron, l'Allemand, je le verrais assez bien hésiter longuement avant de faire sauter le gros rocher barrant la piste, en expliquant aux trois autres, compréhensifs et solidaires, n'être pas certain qu'une telle explosion soit bonne pour la planète. 

Là-dessus, tout ce petit monde remonterait dans les camions – évidemment à batteries solaires pour ne pas aggraver le réchauffement climatique – et on se partagerait une bonne salade de quinoa agrémentée d'un reste du tofu de la veille avant de se remettre en route.

Mais bon : on n'est jamais, même sur Netflix et en 2024, tout à fait à l'abri d'une bonne surprise…

jeudi 8 février 2024

À vos risques et périls : billet dangereux


 À celui qui voudrait découvrir Julio Cortázar et ne saurait par quel bout le prendre, je crois, tout bien pesé et profonde inspiration prise, que je conseillerais le recueil de nouvelles ayant pour titre Tous les feux le feu. Rien de mieux pour qui ne craint pas les expériences légèrement décoiffantes :

Cet énorme bouchon sur l'autoroute du sud, un dimanche d'août de retour vers Paris, qui se prolonge en direction de l'automne, puis sous les premières neiges, avec cette vie parallèle qui germe, cette nouvelle société d'automobilistes qui croît et s'installe... 

Ou bien cet Argentin de Paris, ami “de cœur” de Josiane la prostituée, amoureux des galeries et passages (Vivienne, Panoramas...) mais aussi du passage Güemès de Buenos Aires, où il est fiancée avec la patiente Irma : passe-t-il réellement d'une ville à l'autre, par ces galeries et passages, qui seraient donc autant de “trous de ver”, ou bien rêve-t-il ? Et, s'il rêve, dans laquelle des deux villes, sur quel continent est-il réellement ? Et à quelle époque au juste ?

J'ai employé exprès par deux fois cet adverbe “réellement” : en une sorte de conjuration. Car, chez Cortázar, s'il y a une chose qui se dérobe sans cesse, surtout au sein des petits mondes les plus tangibles et paisibles en apparence, c'est bien la réalité ; ou plutôt : la certitude rassurante que le lecteur pouvait encore avoir de son existence, juste avant de tourner la première page d'un livre de lui. 

Si, passé la dernière, ce même lecteur est toujours vivant, s'il a l'impression – probablement trompeuse – d'avoir conservé toute sa raison, s'il reste en dépit des indices contraires à peu près assuré de sa propre identité, alors il pourra peut-être se risquer au jeu de Marelle...

Mais qu'il ne vienne pas, ensuite, me reprocher quoi que ce soit !

mardi 6 février 2024

Tu survivras longtemps sans visage sans yeux


 Que demandent-elles, qu'exigent-elles, les bigotes puritaines du post-féminisme (je serais bien tenté de les baptiser “MeTouffes”, mais je me retiens...) ? De pouvoir déambuler sans fin dans le monde en restant constamment et partout à l'abri des prédateurs phalloïdes, de leurs questions incitatrices, de leurs attouchements furtifs et même de leurs regards plus ou moins explicites. 

En somme, elles souhaitent devenir protégées de tout désir qui n'aurait pas été dûment notifié par contrat officiel et préalable. Elles veulent devenir invisibles ; sexuellement, érotiquement invisibles. 

Donc, si demain une république islamopithèque et turbanophile venait à s'installer sur nos rives, elles devraient logiquement adopter le voile intégral avec soulagement, reconnaissance, voire enthousiasme. 

Au nom, bien évidemment, de la trilogique liberté-égalité-sororité que leur refuse avec cynisme cette brute rétrograde de mâle européen.



dimanche 4 février 2024

Billet d'Ars et d'essai


 En plus d'être agréable et légèrement déstabilisante, la lecture de Julio Cortázar est souvent très utile. J'ai déjà noté ici même que, grâce à son roman Marelle, on pouvait s'enquérir de la liste des pharmacie de garde à Buenos Aires, ainsi que leurs adresses et numéros de téléphone, ce qui est toujours bon à connaître. 

Et voici que je découvre l'existence, toujours à Buenos Aires et toujours grâce à Julio, d'une église San Juan María Vianney, c'est-à-dire dédiée à notre hexagonal curé d'Ars. C'est tout de même bien beau, ce rayonnement théologico-culturel, non ? 

Et l'on s'imagine déjà pénétrant dans sa nef silencieuse, en coque de navire renversée, par un chaud dimanche après-midi de février, profitant de ce que cette modeste église se trouve à deux pas de la pharmacie Gómez y hermano, de garde ce jour-là, où l'on a bien dû se rendre par la ligne de bus 168, malgré l'assoupissement cotonneux suivant un trop riche déjeuner dominical, quand on s'est aperçu avec un peu d'accablement que la boîte de paracétamol 1000 était vide et que ce foutu mal de tête ne s'évanouirait jamais tout seul.

vendredi 2 février 2024

Ernesto : 1 ; Jean : 0


 Pour mériter d'être lu cinquante ans après avoir été écrit, un roman qualifié de “dystopique” doit présenter au moins l'une de ces deux qualités : 1) le monde imaginaire qu'il décrit aura un certain nombre de ressemblances, de points de contact avec celui du lecteur, et sera “ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre” ; 2) s'il est totalement différent, ce monde, radicalement autre, il doit alors être original, insolite, amusant voire cocasse, tragique, troublant, etc. L'idéal, évidemment, la pleine réussite, c'est le roman qui parvient ou parviendrait à fondre ensemble ces deux qualités.

C'est pourquoi le 2024 de Jean Dutourd, écrit en 1974, est un mauvais roman dystopique. Parce que le monde qu'il imagine – qu'il imagine pour nous, aujourd'hui – n'a strictement aucun rapport, même lointain, avec celui que nous subissons effectivement (je pourrais développer un peu cela, mais n'en ai pas envie : il va falloir me croire sur parole…). Comme, en outre, cette France “futuriste” qu'il tente de décrire, est terne, morne, sans attrait aucun, et que lui-même semble avoir éteint toute verve en lui avant de s'y atteler, 2024 a été abandonné par moi au bout de cinquante pages, alors que je m'y ennuyais depuis la vingt-cinquième.

En revanche, il peut se faire que l'on tombe sur un roman dont l'objet, le but, la raison d'être n'étaient nullement la dystopie, mais qui soudain, durant deux ou trois pages, fugitivement, comme par distraction, y débouche et y réussisse pleinement, cumulant les deux qualités que j'évoquais en commençant. C'est ce qui se produit dans L'Ange des ténèbres d'Ernesto Sábato, entre les pages 206 et 208 de l'édition Points-Seuil. (Par une coïncidence qui ne surprendra que les naïfs, il se trouve que le roman de Sábato a été écrit exactement dans le même temps où Dutourd rédigeait le sien.) Comme je me sens, ce matin, plutôt courageux du clavier, je m'en vais vous recopier le passage en question. Voici :


« Soit le jeune nègre Jefferson Delano Smith. Il passe l'arme à gauche et on greffe son cœur sur le mineur John Schwarzer, qui devra dès lors porter le nom de Schwarzer-Smith, s'il est vrai que le droit n'a pas été inventé pour les chiens. Avec cette réserve qu'on peut, cela va de soi, écrire le deuxième nom en plus petit, par exemple :

SCHWARZER-smith,

proportionnellement au volume occupé par l'organe rapporté dans la grosse carcasse du mineur. Après quoi notre centaure cardiaque reçoit un rein de Nancy Henderson, et son nom devient Schwarzer-Smith-Henderson, avec un léger changement de sexe qui pourra figurer sur ses papiers sous la forme “MASCULIN-féminin” à la ligne 2. Puis on lui greffe un foie de singe (léger changement de statut zoologique).

— Enfin, Quique !…

— Une cornée provenant de Monsieur Nick Minelli, patron de la pizzeria-drugstore de la rue Dalas, à Toledo, Ohio (petit changement, non seulement de nom, mais de professione e indirizzo) ; un mètre vingt d'intestins appartenant à Ralph Cavanagh, boucher de Truro, Mass. (nouveau changement de indirizzo e professione) ; pancréas et rate du joueur de base-ball Joe Di Pietro, de Brooklyn ; hypophyse de l'ex-professeur Sol Shapiro, du Dayan Memorial Hospital, New Jersey ; métacarpe de Seymour Sullivan Jones, cadre supérieur à la Coca-Cola Corp., de Cincinnati. Celui qui était à l'origine, le mineur Schwarzer, et que l'on appelle maintenant pour simplifier Mr John Schwarzer-Smith & Co. Inc. (Inkie, pour les intimes), subit ensuite une greffe d'ovaire de Miss Geraldine Danielsen, de Buffalo, Oklahoma, à la suite d'une sensationnelle découverte du Pr Moshe Goldenberg, de l'université de Palo Alto, Californie, qui a démontré que l'implantation d'un ovaire dans le corps d'un homme (ou d'un testicule dans le corps d'une femme) est la seule façon, à partir d'un certain âge (et la Société Schwarzer-Smith a atteint 172 ans), de rendre leur souplesse aux artérioles du cerveau, sans qu'il soit besoin de transplanter un cerveau, ce qui pour le moment n'est pas jugé indispensable.

— Mais écoute, Quique…

Cazzo di niente ! Par suite des complications que cette dernière greffe commence à produire au bout d'un an et demi, la société Schwarzer-Smith voit se développer son buste et désire, ce qui prouve le rajeunissement appréciable engendré par la greffe, nouer, comme on dit, des rapports sentimentaux avec le sieur ou la société Dupont, de l'Ohio. Dans cette perspective, il aspire à, et finalement exige la greffe du vagin de Miss Christine Michelson, laquelle vient de décéder à la suite d'un rejet de greffe de surrénale en mauvais état.

Devant le refus de la famille Michelson, qui professe une stricte adhésion aux principes de la Nouvelle Église baptiste du Troisième Jour, on incorpore à l'organisation Schwarzer-Smith un organe en térylène fabriqué ad hoc par la prestigieuse Plastic-Opotherapic International Co., aux mesures du sieur ou de la Société Dupont. Opération réussie, qui permet au bout de trois semaines l'union des deux holdings, mariage de raison * si vous voulez, mais qui est couronnée par une importante cérémonie industrielle et théologique au temple de la Christian Science réformée de la petite ville de Praga, Illinois, où la première des deux sociétés susmentionnées détient un gros paquet d'actions qui la rend majoritaire à l'usine Coca-Cola, actions acquises par héritage partiel correspondant à la greffe du pancréas de Mr D.D. Parkinson, le regretté président-directeur général de l'entreprise pour l'État de l'Illinois.

Tout cela est définitivement positif, du point de vue de l'Avancement de la Science et de la Technologie, mais aussi très émouvant du point de vue de la Démocratie américaine, car un misérable péquenot comme l'était au départ le mineur John Schwarzer a pu accéder, grâce à des viscères en bon état, au statut de PDG d'une grosse entreprise mondialement respectée, et passer de sa très grossière condition de mâle pur à celle, super-sophistiquée, d'unisexe en société anonyme. »


Et c'est ainsi qu'Ernesto Sábato, écrivain argentin proposé avec toutes ses pièces garanties d'origine, inventa le bonheur parfait, au détour de sa page 206.

 

* En français dans le texte original.

jeudi 1 février 2024

M.P. en situation de sans-abrisme


 Je ne pouvais pas laisser ce pauvre Marcel sur le trottoir.

Surtout en plein mois de janvier.

Même en tenant compte du réchauffement climatique…