Ça a débuté comme ça. L'homme est arrivé du travail, vers six heures et demie. Les chiens ont témoigné de leur joie, la femme aussi mais à sa manière propre. Ensuite, on a débouché une bouteille de pouilly-fuissé, en écoutant Ella Fitzgerald avec Louis Armstrong, puis (passant au chablis), Armstrong tout seul. Là, l'Irremplaçable a sorti ce qu'elle avait préparé pour ce fameux “apéro dînatoire” (billet détaillé demain, avec photo).
À neuf heures moins le quart, notre réveillon était d'une certaine manière terminé – quoiqu'il nous restât une bouteille presque inentamée de chablis. Et tout cela tombait bien puisque la télévision transmettait deux films de Chaplin : La Ruée vers l'or pour commencer, The Kid, pour suivre.
Parenthèse courte : je hais les connards qui président aux destinées d'Arte, chaîne cloaquale pseudo-culturelle, dont j'espère qu'elle va rapidement crever dans d'atroces souffrances. En dehors du fait qu'ils passent tous leurs films étrangers en version doublée (dans l'espoir je suppose d'attirer trois crétins incultes supplémentaires, lesquels ne viennent évidemment jamais puisque existe TF1), pourquoi a-t-il fallu que, de La Ruée, ils nous passent cette version insupportable, doublée par Chaplin lui-même je ne sais quand, plutôt que le film original ? Sales cons ! Petites bites ! Noix vomiques ! En tout cas, ces raclures de bidet culturel nous ont au moins permis cette expérience : regarder La Ruée vers l'or vraiment muette : sans paroles, sans musique, sans rien, comme aurait dit Céline. Avec juste un retour rapide au son pour la “danse des petits pains” qui l'exigeait. Néanmoins, rancœur et pulsion de violence.
Mais, enfin, juste après, le Kid. Vu dix fois, comme vous je suppose. Le plus grand film de l'histoire. Sinon le plus grand, en tout cas le plus parfait. Pas une image à ôter, vraiment pas une. Le côté “Victor Hugo” de Chaplin parfaitement maîtrisé, contrairement à ce qui se passe dans d'autres films postérieurs (Les Feux de la rampe notamment, mais même, aussi, Les Lumières de la ville) – en quoi il est un artiste bien supérieur à Hugo, justement.
Et puis, l'avantage de revoir ces films pour la dixième fois (dix fois au moins : je me souviens, à la période de Noël 1964, sur la chaîne unique d'alors, d'une série de films, la première fois où je les ai vus, qui s'appelait : “Charlot a 75 ans” : oui, mes bons enfants, je vivais déjà alors que Chaplin était de deux ans plus jeune que mon père aujourd'hui...) – l'avantage, disais-je, est que l'on peut s'évader de ce qu'on nous montre au centre de l'écran, pour baguenauder sur ses périphéries. Noter par exemple que les femmes, chez Chaplin, sauf si elles sont assignées aux rôles d'amoureuse ou de victime, sont toujours d'odieuses mégères. Mais s'apercevoir aussitôt que les hommes ne sont pas mieux traités : en dehors de Chaplin lui-même, et des inamovibles flics (grands, jeunes, athlétiques, sûrs d'eux-mêmes et dominateurs comme dirait l'autre), ils sont tous laids, bedonnants, barbus, affligés de mimiques outrées, de gestes saccadés – ils font presque penser aux zombis de Romero, suscitant, comme eux, aussi bien le rire que le dégoût ou la pitié ; la pitié coiffant, résumant, fondant les deux autres sentiments.
On voit aussi que seul Chaplin est autorisé à se mouvoir pleinement dans le cadre : les “méchants” s'y essaient mais ils y sont irrémédiablement englués, repoussés et frappés par ses bords, cependant que les femmes (pas les mégères bien sûr) y restent immobiles, telles des cariatides ou des flambeaux (et on pense aux Sept épées d'Apollinaire).
Et puisque l'on s'est placé, dès le titre, sous le patronage de Céline, on voit bien aussi, ou plutôt, modestement, on tente de discerner les fils de nylon invisibles qui rattachent Charles à Louis-Ferdinand, on repère des parentés dans le regard, des acidités communes dans la notation. Et, surtout, un goût semblable pour l'exagération qui mène tout droit au burlesque, voire à la bouffonnerie pure.
Juste après, on se demande si ce ne serait pas précisément la marque du génie, cette manière de ne pas reculer devant l'éclat de rire, cette façon de rajouter une tarte à la crème, puis dix, juste aussitôt la première lancée ; quand un “bon faiseur” s'y refuserait absolument parce que ç'a déjà été fait, la tarte à la crème.
On se dit qu'on ne doit pas être totalement égaré, parce qu'un Proust (qui n'a jamais, à ma connaissance, parlé de Chaplin, même dans sa correspondance) ne répugne pas au burlesque, au guignol (les cuirs à répétition du maître d'hôtel de Balbec – le Grand Hôtel étant déjà, en soi, un théâtre de Guignol), à l'exagération pour-le-plaisir.
Il y a aussi que ces films (je reviens à Chaplin), que l'on a vus dix fois, que l'on croit connaître de fond en comble, demeurent énigmatiques, opaques ; ne demeurent en fait en lumière que telle ou telle scène, vues et revues : le reste se dérobe à la lumière, se renfonce dans l'inconscient du spectateur peut-être, d'une projection à l'autre. si bien que, pensant reparcourir un chemin bien balisé, le digérant du 31 décembre se retrouve entraîné dans un territoire presque inconnu dont seules quelques clairières lui disent vaguement quelque chose. Et alors, même la moustache, le melon et la badine prennent des airs un peu effrayants, toujours changeants, pas saisissables par le commun des.
Le voyageur de la Saint-Sylvestre éprouve alors le besoin de noter tout cela, et il le fait, ce qui le mène tout doucement à minuit. Là, il rend les armes, abdique toute individualité, renonce toute transcendance et finit par souhaiter à chaque passant égaré une prochaine année aussi supportable que possible.
À neuf heures moins le quart, notre réveillon était d'une certaine manière terminé – quoiqu'il nous restât une bouteille presque inentamée de chablis. Et tout cela tombait bien puisque la télévision transmettait deux films de Chaplin : La Ruée vers l'or pour commencer, The Kid, pour suivre.
Parenthèse courte : je hais les connards qui président aux destinées d'Arte, chaîne cloaquale pseudo-culturelle, dont j'espère qu'elle va rapidement crever dans d'atroces souffrances. En dehors du fait qu'ils passent tous leurs films étrangers en version doublée (dans l'espoir je suppose d'attirer trois crétins incultes supplémentaires, lesquels ne viennent évidemment jamais puisque existe TF1), pourquoi a-t-il fallu que, de La Ruée, ils nous passent cette version insupportable, doublée par Chaplin lui-même je ne sais quand, plutôt que le film original ? Sales cons ! Petites bites ! Noix vomiques ! En tout cas, ces raclures de bidet culturel nous ont au moins permis cette expérience : regarder La Ruée vers l'or vraiment muette : sans paroles, sans musique, sans rien, comme aurait dit Céline. Avec juste un retour rapide au son pour la “danse des petits pains” qui l'exigeait. Néanmoins, rancœur et pulsion de violence.
Mais, enfin, juste après, le Kid. Vu dix fois, comme vous je suppose. Le plus grand film de l'histoire. Sinon le plus grand, en tout cas le plus parfait. Pas une image à ôter, vraiment pas une. Le côté “Victor Hugo” de Chaplin parfaitement maîtrisé, contrairement à ce qui se passe dans d'autres films postérieurs (Les Feux de la rampe notamment, mais même, aussi, Les Lumières de la ville) – en quoi il est un artiste bien supérieur à Hugo, justement.
Et puis, l'avantage de revoir ces films pour la dixième fois (dix fois au moins : je me souviens, à la période de Noël 1964, sur la chaîne unique d'alors, d'une série de films, la première fois où je les ai vus, qui s'appelait : “Charlot a 75 ans” : oui, mes bons enfants, je vivais déjà alors que Chaplin était de deux ans plus jeune que mon père aujourd'hui...) – l'avantage, disais-je, est que l'on peut s'évader de ce qu'on nous montre au centre de l'écran, pour baguenauder sur ses périphéries. Noter par exemple que les femmes, chez Chaplin, sauf si elles sont assignées aux rôles d'amoureuse ou de victime, sont toujours d'odieuses mégères. Mais s'apercevoir aussitôt que les hommes ne sont pas mieux traités : en dehors de Chaplin lui-même, et des inamovibles flics (grands, jeunes, athlétiques, sûrs d'eux-mêmes et dominateurs comme dirait l'autre), ils sont tous laids, bedonnants, barbus, affligés de mimiques outrées, de gestes saccadés – ils font presque penser aux zombis de Romero, suscitant, comme eux, aussi bien le rire que le dégoût ou la pitié ; la pitié coiffant, résumant, fondant les deux autres sentiments.
On voit aussi que seul Chaplin est autorisé à se mouvoir pleinement dans le cadre : les “méchants” s'y essaient mais ils y sont irrémédiablement englués, repoussés et frappés par ses bords, cependant que les femmes (pas les mégères bien sûr) y restent immobiles, telles des cariatides ou des flambeaux (et on pense aux Sept épées d'Apollinaire).
Et puisque l'on s'est placé, dès le titre, sous le patronage de Céline, on voit bien aussi, ou plutôt, modestement, on tente de discerner les fils de nylon invisibles qui rattachent Charles à Louis-Ferdinand, on repère des parentés dans le regard, des acidités communes dans la notation. Et, surtout, un goût semblable pour l'exagération qui mène tout droit au burlesque, voire à la bouffonnerie pure.
Juste après, on se demande si ce ne serait pas précisément la marque du génie, cette manière de ne pas reculer devant l'éclat de rire, cette façon de rajouter une tarte à la crème, puis dix, juste aussitôt la première lancée ; quand un “bon faiseur” s'y refuserait absolument parce que ç'a déjà été fait, la tarte à la crème.
On se dit qu'on ne doit pas être totalement égaré, parce qu'un Proust (qui n'a jamais, à ma connaissance, parlé de Chaplin, même dans sa correspondance) ne répugne pas au burlesque, au guignol (les cuirs à répétition du maître d'hôtel de Balbec – le Grand Hôtel étant déjà, en soi, un théâtre de Guignol), à l'exagération pour-le-plaisir.
Il y a aussi que ces films (je reviens à Chaplin), que l'on a vus dix fois, que l'on croit connaître de fond en comble, demeurent énigmatiques, opaques ; ne demeurent en fait en lumière que telle ou telle scène, vues et revues : le reste se dérobe à la lumière, se renfonce dans l'inconscient du spectateur peut-être, d'une projection à l'autre. si bien que, pensant reparcourir un chemin bien balisé, le digérant du 31 décembre se retrouve entraîné dans un territoire presque inconnu dont seules quelques clairières lui disent vaguement quelque chose. Et alors, même la moustache, le melon et la badine prennent des airs un peu effrayants, toujours changeants, pas saisissables par le commun des.
Le voyageur de la Saint-Sylvestre éprouve alors le besoin de noter tout cela, et il le fait, ce qui le mène tout doucement à minuit. Là, il rend les armes, abdique toute individualité, renonce toute transcendance et finit par souhaiter à chaque passant égaré une prochaine année aussi supportable que possible.