Tout est parti de Tolstoï. Relisant Guerre et Paix, l'envie – assez naturelle – m'est venue de revoir le film tiré du roman par King Vidor, avec dans les principaux rôles, Mel Ferrer (André Bolkonski), Henry Fonda (Pierre Bézoukhov) et la délicieusement irrésistible Audrey Hepburn (Natacha Rostov). Ne trouvant pas le film seul, j'ai acheté un coffret contenant sept films mettant cette dernière en vedette – ce qui tombait bien, Catherine ayant, quelque temps avant, émis le souhait d'en revoir quelques-uns. Le dit coffret est arrivé hier.
Comme je n'avais lu que mille pages de l'épopée tolstoïenne, qu'il m'en restait donc encore six cents, il n'était pas question d'aborder tout de suite le film de Vidor ; nous avons donc opté hier soir pour le Breakfast at Tiffany's (Diamants sur canapé) de Blake Edwards. Le film reste aussi savoureux qu'il l'était dans mon souvenir, peut-être même davantage.Mais je me suis rendu compte que j'avais complètement oublié la présence, tout au long, de monsieur Yunioshi.
Il s'agit d'une sorte de Japonais de bande dessinée (il porte le même dentier proéminent que les méchants Nippons d'Hergé dans Le Lotus bleu), si invraisemblablement burlesque qu'il semble avoir sauté tout droit d'une bobine datant de l'époque du muet pour atterrir là sans trop savoir pourquoi. Le côté saugrenu du personnage est accentué par le fait qu'il est joué par Mickey Rooney.
Il pourrait n'être rien de plus que l'une de ces silhouettes surréalistoïdes dont Blake Edwards aime parsemer ses films. Mais c'est dans les bonus – les boni ? – qu'il prend pour nous sa véritable dimension post-moderne. Ces compléments de programme ont été concoctés quarante ans après le film, soit au tout début de l'actuel millénaire. Et, à propos de ce pauvre monsieur Yunioshi, c'est, chez tous les intervenants, un festival de regrets, de repentance, de remords, de bats-ma-coulpisme, pour avoir osé donner des Japonais, et je suppose des jaunes en général, une image aussi déplorable, attentatoire à leur honneur, etc.
Et l'on se sent un peu triste de voir que même Blake Edwards se frappe la poitrine et se lacère mentalement le visage pour avoir osé un tel sacrilège racial, lui chez qui on aurait aimé trouver un esprit un peu moins dépendant des miasmes asilaires de l'époque.
On est même, pour ce bref documentaire, allé dégoter deux ou trois Asiatiques des deux sexes officiels, afin qu'ils viennent geindre face caméra à propos de la “blessure” que leur a infligée monsieur Yunioshi lors de leur découverte du film. C'est d'autant plus curieux que, d'ordinaire, ce sont des gens qui ne pleurnichent pas pour des riens, contrairement à d'autres races, ethnies, peuplades qu'il est inutile de nommer une fois de plus. On supposera que, chez ceux-là, leur côté américano-progressiste l'a emporté sur leurs racines soleil-levantines…
Tout cela nous a un peu pas mal éloignés de Tolstoï et de la Guerre patriotique de 1812 (nom donné par les Russes à ce que nous appelons, nous, la Campagne de Russie). Revenons-y et terminons avec lui.
Cherchant le film de King Vidor évoqué plus haut, je suis tombé sur celui de Sergueï Bondartchouk, réalisé cinq ou six ans plus tard, en Russie évidemment. Film en quatre parties, tout comme le roman lui-même, et d'une durée de huit heures – ou six heures trois quarts dans sa version courte.
Quelque chose me dit que je ne résisterai pas très longtemps à l'envie que je sens poindre de le commander…