Je sais que ça ne servira à rien, mais je vais tout de même expliquer une chose à Émilie, mon cher petit troll mécanique : quand on commence à s'intéresser à une époque donnée, à un courant de pensée, on est amené, de proche en proche, à prendre ou reprendre des livres d'écrivains qui font écho entre eux, afin de tenter de comprendre comment ils ont pu emporter l'adhésion (ou le rejet) des hommes de leur temps, et, ce faisant, parvenir jusqu'à nous. C'est ainsi que, tombé dans Maurras, j'ai rebondi chez Bainville (que j'attends) et ressorti tout à l'heure le volume Bouquins consacré à Barrès, qui repose dans ma bibliothèque depuis une petite dizaine d'années – que grâce soit rendue à M. Schoeller. Je me souviens avoir lu Le Culte du moi et, pour une raison oubliée, avoir calé à l'orée de Du sang, de la volupté et de la mort.
Ma chère Émilie, je sais ce que vous pensez déjà, mais vous vous trompez. Ce n'est pas mes lectures nauséabondes qui m'ont ramené vers Barrès et donné envie de lire Le Roman de l'énergie nationale. C'est un de vos amis (?), Michel Winock, historien de gauche dûment estampillé, dont j'avais lu Le Siècle des intellectuels à sa parution et dont je viens justement de relire le premier tiers, consacré à Barrès, ou plutôt à cette portion de siècle dont Barrès fut plus ou moins le maître à penser.
Mais ce n'est pas ce que je voulais dire, ma poule. Rouvrant le volume (1500 pages), j'ai constaté qu'il était affligé d'une préface de près de deux cents feuillets : l'équivalent d'un petit livre de quelqu'un ayant quelque chose à dire. C'est signé par un certain Éric Roussel, dont je n'avais jamais entendu parler, mais il est vrai que je ne suis guère cultivé. J'ai donc fait comme tous les gens incultes : j'ai tapé ce nom dans Goux Gueule. Je suis arrivé à une fiche Wikipédia, visiblement rédigée par le Roussel lui-même. Commençons :
Éric Roussel est un
écrivain et un
journaliste français, né en
1951. Docteur en droit, spécialisé dans l’histoire politique il a été critique littéraire au quotidien
Le Monde de 1979 à 1984. Depuis cette date il collabore au
Figaro littéraire.
Ah ! écrivain ! très bien ! Qu'a-t-il donc écrit, ce cadet Roussel ? Ceci :
- Pierre Brossolette. éd. Fayard/Perrin, 2011
- Georges Pompidou, éd. Jean-Claude Lattès, 1984 ; rééd. revue,
corrigée et augmentée avec les archives présidentielles, 1994 ;
nouvelle éd., Perrin, coll. « Tempus », 2004.
- Le Cas Le Pen – Les nouvelles droites en France, éd. Jean-Claude Lattès, 1985.
- Mitterrand ou la constance du funambule, éd. Jean-Claude Lattès, 1991.
- Jean Monnet, éd. Fayard, 1995 (ouvrage couronné par le grand prix de l'essai de l'Académie française, le prix Guizot et le prix européen de l'histoire).
- Participation à Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, Presses universitaires de France, 1995 ; nouv. éd., 2003.
- Participation à Pierre Chaunu (dir.), Enjeux de la paix – Nous et les autres, XVIIIe ‑ XXIe siècles, Presses universitaires de France, 1995.
- Charles de Gaulle, éd. Gallimard, 2002 (prix du Mémorial - grand prix littéraire d'Ajaccio).
- Pierre Mendès France, éd. Gallimard, 2007 (grand prix de la biographie de l’Académie française, prix Jean-Zay 2007).
- Le Naufrage (16 juin 1940), éd. Gallimard, 2009.
Rien, donc. il n'est pas écrivain, il est simplement journaliste, préfacier, historien auto-proclamé, spécialiste par raccroc, petit participant à des ouvrages collectifs que personne n'a ouverts, etc. Il vit de ce que les autres ont écrit, il prolifère de ce qu'il est incapable de faire, il est le pauvre lierre sur la haie vivace. (Je vous engage à lire sa
“fiche Wiki”, manifestement rédigée par lui-même (qui connaît Éric Roussel ? Qui a envie de propulser dans l'avenir cette merveilleuse figure ?) : un régal d'autosatisfaction et d'insignifiance mêlées.) Néanmoins, comme à ce
critique littéraire du Monde de 1979 à 1984, on a payé une préface aux œuvres de Maurice Barrès, pour une raison qui m'échappe vraiment, il s'est cru autorisé à encombrer le volume de cent pages dont, personnellement, j'aurais éternellement honte d'en avoir tiré dix. C'est de l'épaisse tartine (à la fois épaisse et délayée, ce qui est bien le comble de la cuistrerie rigolote) qui fait penser à de la cuisine allemande : sans goût, longue à ingurgiter et, finalement, même pas roborative.
Je viens de perdre beaucoup de temps dans les lignes précédentes. J'aurais pu avantageusement résumer mon impression ainsi : Érice Roussel est une fiente tombée sur une statue.