mercredi 31 octobre 2012

Autant en emporte le vent


Je ne suis pas fou des cyclones urbains. Ils ont toujours un petit côté trop hollywoodien, on se croirait chaque fois dans un film de ce gros nul d'Emmerich. Je préfère les ouragans campagnards, les tempêtes champêtres, les tsunamis pavillonnaires. Du reste, c'est un goût que doivent partager à peu près tous les blogueurs progressistes car, j'ai eu beau chercher, retourner la blogroll de Nicolas dans tous les sens, je n'en ai pas trouvé un pour faire la moindre allusion à l'ouragan qui s'est abattu sur New York voilà quarante-huit heures. Et j'allais me disant que, si d'aventure Sandy s'était détourné sur Haïti ou sur la Jamaïque, on nous aurait sommé de pleurer à gros bouillons pendant au moins une semaine, et en plus on aurait exigé notre pognon. Mais bon.

Ce que j'aime, moi, dans les ouragans, ce sont les gens qui disent non. Il y en a toujours, on nous les montre à la télévision généralement. Ceux qui refusent obstinément d'être évacués avant la catastrophe pour aller se parquer dans des gymnases de merde avec d'autres gens qu'ils n'ont pas envie de voir, encore moins de côtoyer. Ils disent chaque fois la même chose : « Ici, c'est chez moi, c'est ma maison, j'ai toujours vécu là, j'y suis, j'y reste. Je l'attends, le typhon, je l'attends. À la grâce de Dieu, bon sang de bois ! » Ce ne sont pas des inconscients, ils savent généralement ce qu'ils risquent ; mais ils restent quand même. C'est une forme d'entêtement mêlé d'honneur, augmenté d'un dégoût instinctif du troupeau et des initiatives gouvernementales ; une manière de résistance, absurde et grandiose.

lundi 29 octobre 2012

dimanche 28 octobre 2012

Le boulanger au couteau entre les dents


Un boulanger a décidé de s'installer dans mon village ; appelons-le Mathurin Bellemiche, puisqu'il n'est pas là pour récriminer. Très vite, il se révèle que sort de ses fours un pain sublime : des baguettes croustillantes et dorées, à la mie légèrement jaune et merveilleusement alvéolée ; de ces grosses tourtes au levain que l'on peut conserver des cinq ou six jours et qui, même, se bonifient en vieillissant… Catherine et moi tombons aussitôt à genoux pour remercier le Ciel d'un tel bienfait – enfin, surtout elle.

Mais ne voilà-t-il pas qu'au bout de quelques semaines, ou mois, me parvient l'atroce nouvelle, bientôt confirmée de source certaine : Mathurin Bellemiche est encarté au parti socialiste ! Pis : il s'est même, à “la dernière”, laissé tenter par le vote Front de gauche ! Immédiatement, nous lui retirons notre pratique et nous résignons à retourner acheter les tristes pâtons mal cuits que le Super U local propose à notre convoitise : on ne plaisante pas avec l'idéologie.

Attitude de dément ? Parti pris grotesque ? Confusion d'un esprit faible ? Sans aucun doute, oui. Mais c'est pourtant la réaction que l'on aimerait que j'eusse, lorsqu'il s'agit non plus de boulangers de gauche mais d'écrivains d'extrême droite.


Du reste, maintenant que j'y songe, je suis sûr qu'on ne devrait pas avoir trop de mal à trouver, parmi nos progressistes que rien ne fatigue, quelques exemplaires capables d'adopter la même attitude dans le cas où leur boulanger s'avèrerait pencher du côté du Front national. Et en outre de présenter leur aberration mentale comme un acte flamboyant de résistance…

samedi 27 octobre 2012

Extrait du journal du jour (ne touchez pas l'assiette, c'est très chaud !)


Samedi 27 octobre

Huit heures moins le quart. – Pas d'entrée hier, pour cause de retour de Catherine au bercail et d'apéro consécutif, dont la générosité a fait que je suis allé directement du salon à la chambre, sans passer par la cuisine ni par ce journal. Aujourd'hui, retour à une vie plus saine, au moins sur le chapitre de l'alcool, qui est resté dans les placards. Ce n'est d'ailleurs pas pour cela que j'ai plus de chose à raconter, ayant passé l'essentiel de la journée à lire le Balzac romancier de Maurice Bardèche, ce que j'ai annoncé sur le blog hier et que, bien entendu, les deux ou trois petits caniches moralisateurs habituels me reprochent vertement aujourd'hui, avec des suffocations de pucelle. Car il est bien entendu, dans ce que je n'ose appeler l'esprit de ces personnages, qu'il faut absolument s'interdire de lire ce qu'un vil collabo négationniste peut avoir à dire sur Balzac ou sur Proust, même s'il s'agit de deux livres également remarquables. Mais comment font-ils pour être aussi stupides et bornés ? Et comment n'éclatent-ils pas de rire en entendant leurs propres énormités ? Le précieux comique de l'affaire est qu'après m'être déjà fait traîner dans la boue en raison de mon philosémitisme affiché et revendiqué, me voilà derechef plongé dans la sanie – et par les mêmes, bien entendu –, mais cette fois pour sympathies négationnistes ! Là encore, comment font-ils pour être bêtes à ce point ? C'est à vous coller le vertige…

vendredi 26 octobre 2012

Salut à Maurice Bardèche, fraternellement

Maurice Bardèche, grand intellectuel, dont il ne faut pas parler, parce qu'il s'est trouvé être lié à Brasillach, lui-même fortement nauséabond.  Néanmoins, ce Bardèche a écrit un livre sur Proust qui demande à être lu, et aussi un autre sur Balzac, qui ne réclame pas moins la lecture.

Je l'ai reçu aujourd'hui, ce livre à propos de Balzac. Il a fallu que j'aille le chercher à la Poste, parce que le colis avait été ouvert. J'y suis allé. J'y ai récupéré un livre bien fatigué, sur lequel, à la page quatre ou cinq était imprimé l'avis suivant :  « Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1943. » Or, ce livre n'était pas “coupé”. Ce que j'ai été obligé de faire, durant à peu près une heure, avec un couteau de cuisine, n'ayant pas de coupe-papier à disposition.

Il reste que personne n'avait jamais lu ce volume depuis soixante-dix ans, qu'il avait dormi durant tout ce temps, et que je suis, moi, en train de le lire.

Les charmes prenants de la nostalgie au carré


Me fascine toujours, je l'ai déjà dit, la nostalgie que j'appellerais volontiers “à double détente” ; c'est-à-dire la nostalgie exprimée par des gens qui vivaient à l'époque où notre propre nostalgie nous renvoie. J'ai parlé il y a quelque temps de cette chanson de Trenet qui s'appelle Qu'est devenue la Madelon ? et qui est le plus bel exemple de ce que je veux dire : on ne pouvait pas, on ne pouvait plus exprimer ce qui est le sujet de cette merveilleuse chanson, une fois les années soixante terminées.

Mais Ferré aussi sait provoquer ce genre de nostalgie “au carré”. Dans sa chanson intitulée Monsieur mon passé, et qui remonte aux années cinquante, d'abord ; où il est question d'un cinoche et d'un guignol “de 1925”. Mais aussi dans une autre chanson datant de 1967, Quartier latin, où il évoque sa vie estudiantine et sorbonnardes des années trente (en même temps que François Mitterrand, ce militant d'extrême droite promis à un avenir brillant…), chanson écrite en vers de trois syllabes et rimant par trois, sur ce type :

Ce quartier
Qui résonne
Dans ma tête
Ce passé
Qui me sonne
Et me guette

Et l'on se rend compte, là, que des soi-disant anarchistes, toujours prêts à brûler le monde ancien, y sont en fait attachés comme n'importe quel nauséabond de modèle courant.

jeudi 25 octobre 2012

Les zombis finiront bien par nous départager

Manifestation triomphale de couples LGBT fêtant leur prochaine accession à l'adoption d'enfants vivants

Si je savais manier une caméra et que j'avais un peu d'argent devant moi, j'aimerais bien tourner un film de zombis. J'ai déjà le scénario. Ça démarrerait classicos, on reprendrait le mythe où le Grand Maître Romero l'a saisi, voilà 44 ans. Les morts se mettraient à sortir de terre pour investir le monde des vivants. On ne perdrait pas son temps en explications oiseuses : ils sortent de terre, c'est tout, c'est comme ça. D'abord un, puis dix, puis mille, puis trois millions cinq cent mille – comme les loups dans la chanson de Reggiani (d'ailleurs, j'y pense, on pourrait faire un billet parfaitement nauséabond, sans même dire un mot : il suffirait de reproduire les paroles de cette chanson en intitulant le billet quelque chose comme “Actualité brûlante de Reggiani” : tout le monde comprendrait et on se ferait insulter, que c'en serait un bonheur, sans avoir rien dit – bref…).

À partir de là, l'humanité se diviserait en deux parties inégales. La plus importante en nombre (environ 80% au bas mot), se souvenant des combats passés, s'empresserait de sortir de la paille les fusils, la mitraille, les grenades, afin d'exploser la tête des zombis, dans le but dérisoire de survivre, et de survivre en tant que vivants. Se dresseraient alors contre eux les petits 20% restant, certes largement minoritaires mais tenant les gouvernements en place, les télévisions, les journaux, ainsi que tous les coins de rue par le truchement de leurs clowns appointés. Eux-mêmes se feraient appeler les “ouverts aux morts”, par opposition aux “pue-la-vie”, nom donné par eux aux détenteurs d'armes désireux de survivre selon l'ancienne manière. Ceux-là prétendraient que dans “morts vivants”, il y a d'abord “vivants”, que nous sommes tous des humains, ceux qui vivent sur la terre et ceux qui sortent de dessous, qu'il serait ignoble de discriminer nos frères et sœurs qui ont déjà été condamnés par notre égoïsme de vivants à passer un paquet d'années dans une bière (pardon, Nicolas…), à se faire bouffer par les vers, etc., et que non seulement il faut arrêter de leur niquer la tête au fusil à pompe, mais qu'il conviendrait au contraire de réparer nos torts envers eux, soit financièrement, soit par cargaison de viande humaine fraîche.

Au cours du film, dans la seconde moitié disons, on verrait les morts vivants passer du stade de crétins congénitaux à celui où une certaine conscience se fait jour, dictée par l'instinct de survie : emmenés par une frange de zombis au cerveau moins rongé des vers que les autres, l'armée des morts comprendrait que le monde est à portée de leurs mains, ou de ce qui leur en reste. Pendant qu'ils investiraient peu à peu les citadelles retranchées des derniers vivants – en singeant leurs démarche, sourire niais, paroles accueillantes, etc. – , ils verraient venir à eux leur garde-manger sur jambes, décidé à fraterniser quoi qu'il en coûte. On aurait soin de montrer qu'à chaque fois qu'un zombi se prend à jouer des mâchoires sur le mollet d'un ouvert-aux-morts, celui-ci, avant de devenir lui-même zombi, a toujours soin de murmurer qu'il comprend son agresseur, au nom de la faim qui unit tous les damnés de la terre, que ceux-ci viennent de dessus ou de dessous : séquence émotion indispensable.

Le plus difficile, dans un film, c'est de le terminer. Ici, comme souvent, il y aurait deux fins. Dans le director's cut, les pue-la-vie comprendraient où se situe pour eux le danger principal et, prenant au mot les ouverts-aux-morts, ils les réuniraient aux zombis, aux damnés-de-la-sous-terre, afin qu'ils se démerdent entre eux, par exemple dans un gigantesque parc d'attractions. Dans la version studio, les pue-la-vie confesseraient leur ignominie, tendraient le cou à la morsure, et tout le monde finirait frère-zombi de son frère-zombi. La dernière image serait celle d'une gigantesque barbe-à-papa sur fond de grande roue illuminée ; la bande-son serait muette, ou alors saturée de grognements fortement mixés.

Il y a encore une troisième fin possible ; celle, classique, du film dans le film : lors de la dernière scène, on voit l'équipe de tournage abandonner caméras, micros, trucmuches et machins, pour, visages blêmes et lèvres dégoulinantes de vermeil artificiel, se diriger d'une démarche titubante vers les figurants chargés de jouer les ouverts-aux-morts.

Le mot “fin” apparaît et emplit l'écran juste après le premier égorgement.


(Billet écrit pendant que passait sur l'écran le film (déjà vu) de George A. Romero : Land of the dead.)

mercredi 24 octobre 2012

Si l'on mettait le cœur des gens dans les manèges des forains…

Je repassais tout à l'heure le disque de Léo Ferré (il ne refait irruption ici que quand je suis seul, et qu'il fait bien nuit) qui s'appelle Premières Chansons ; non la version originale, que je possède aussi, mais celle qu'il a réenregistrée en 1969, et que j'écoute depuis environ quarante ans. Et, comme de juste, c'est immanquable, je suis retombé amoureux de la chanson intitulée Les Forains, dont les deux derniers vers du premier quatrain m'ont servi de titre, pour ce billet qui se demande où il va. C'est une chanson de Doisneau. Les paroles et la musique sont de Ferré, bien entendu, mais le résultat est une photographie de Doisneau, à quoi il ne manque rien, même pas ce qui n'y est nullement évoqué : les murs rectilignes et gris de suie, les antiques landaus, les gamins qui jouent avec une carriole de bois rafistolée par eux-mêmes, un ouvrier à casquette et mégot maïs, une Traction noire garée en arrière-plan, une grosse dame habillée triste, avec un cabas… Et ce mariage si naturel et merveilleux entre les deux pianos, celui du riche et celui du pauvre. (Je viens de trouver cette chanson sur Youtube, mais il s'agit de la version princeps et non de celle dont je parle : chacun pourra aller la chercher s'il le souhaite.)

C'était un coup de maître, ce premier disque, ces chansons qui s'échelonnent à peu près entre 1946 et 1950, date de l'enregistrement initial. Il y a ce splendide Bateau espagnol, qui est un hommage à celui de Rimbaud, l'ivre. Et puis Barbarie :

Dans la rue anonyme
Y a partout des Jésus…

Et l'humour féroce de L'Esprit de famille, cette belle-sœur, poétesse et serveuse dans le bar “d'hommes” familial, qui, servant ses chopines, cherche désespérément une rime à rapines

Bon, quoi, on n'en finirait pas. 

Vichy continue de pétiller

Petit Père des Peuples à la mode de chez nous

« S’il y a bien un livre qu’il faut lire en ce moment, puisqu’il semble que le pays soit aux mains des forces de progrès bien décidées à ré-enchanter le rêve, c’est l’ouvrage de Cécile Desprairies intitulé “L’héritage de Vichy”. Il s’agit d’un ouvrage très instructif qui devrait déclencher quelques beaux éclats de rire particulièrement nauséabonds. (…)

«  (…) Sur le plan social, le bilan est également lourd. Comités d’entreprises, tickets restaurant, villages de vacances, Inspection du Travail, cantines d’entreprises, médecine du travail, création du salaire minimum font partie de ces fameux acquis sociaux défendus bec et ongles par les zélateurs des forces de progrès. »

Le billet intégral est à lire chez l'ami Koltchak.

mardi 23 octobre 2012

Complainte de l'époux abandonné (avec accompagnement mélancolique à l'ophicléide)

 Le mariage est une drogue dure. Plus exactement, c'est le couple qui l'est ; le mariage joue alors, sans doute, le rôle de ces substances aux noms imprononçables que les manufacturiers du tabac ajoutent à leur herbe pour la rendre plus addictive. Mais enfin la drogue est là ; et, les années passant, le manque survient de plus en plus vite.

Catherine n'était pas dans le train depuis une demi-heure que, à peine revenu de la gare de Vernon où je l'avais conduite, je commençais à trouver le temps long et morne. Je tentais bien de me distraire avec les moyens du bord, d'abord en déjeunant, puis en faisant l'effort de m'intéresser aux malheurs de ce pauvre César Birotteau ; j'y parvins à peu près, du reste, mais pas aussi complètement que si Catherine s'était trouvée là, à lire elle aussi, dans le canapé voisin : il y avait comme un écran translucide entre la page et mon regard, entre les phrases et mon esprit errant. Sans cesse, je m'évadais de la rue Saint-Honoré et de ses alentours pour tâcher de passer en revue les maigres distractions dont j'allais devoir meubler ces trois jours de solitude (dans ces cas-là, les chiens ne comptent plus que pour à peu près rien ; j'espère qu'ils n'en prennent pas conscience), en me rendant bien compte qu'elles étaient d'une dérisoire maigreur : descendre acheter le pain à Pacy… tour des blogs… lecture… tour des blogs en sens inverse… lecture… goûter… comptage des heures me séparant du dîner des chiens, cet unique point fixe de la journée du solitaire peu habitué à l'être… lecture de plus en plus incertaine, livre tombant sur la bedaine et les yeux lâchant prise (ce que mon père appelait “lire à poings fermés”)…

Évidemment, à l'issue de toute cette frénésie immobile, survient la récompense de l'apéritif. Mais c'est un trompe-l'œil : que vaut l'alcool bu s'il n'est pas le prétexte à toutes sortes de conversations inutiles, de ces précieuses futilités de l'esprit à qui il permet de virevolter dans l'air quelques secondes, portées par la fumée des cigarettes ?

Et puis, cette fausse récompense, il convient de la retarder le plus possible. Sinon, on prend le risque de se retrouver au lit dès huit heures du soir. Et alors, les chiens qui se retrouvent enfermés à une heure inhabituelle, et demain matin la flaque de pisse dans le salon… On me dira que l'éponger fera toujours une occupation bienvenue. Sans doute, mais avant même le premier café… et avec la vague gueule de bois consécutive à la veille…

Il y aurait toujours la ressource de prendre la voiture et d'aller revoir la cathédrale de Rouen, ou le pavillon de Flaubert à Croisset, bien sûr… Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre, de la cathédrale de Rouen ? Et du pavillon de Flaubert ? C'est ma femme que je veux, bordel !

lundi 22 octobre 2012

La blogogosphère prend la pose en majesté

La blogosphère telle qu'elle se voit

Mes frères, l'instant est solennel : lasses de se voir mélanger avec les torchons de cuisine, les serviettes de bain se rebiffent. Les blogueurs de gauche se regroupent – c'est dans leur nature – et prennent la pose pour la postérité dans un drapé grand siècle. Le résultat est une sorte de préambule à la constitution des États-Unis d'Amérique (« Nous, blogueurs et blogueuses… ») en moins modeste, en plus gourmé, mais ne reculant pas devant le baragouin (« Nous produisons un contenu… »). Du haut de cette tribune hâtivement clouée, on s'auto-congratule, on se passe la rhubarbe et se renvoie le séné ; on ne néglige pas d'être un peu pompeux, on se rengorge ; on prend soin d'être rebelle et tout à fait la-patrie-en-danger : 

« il apparaît évident que tout ceci, cette définition nouvelle de la blogosphère que voudrait imposer une société de droit privé, nous englobant dans tout autre chose que ce que nous sommes, vise à nous étouffer, à faire taire notre spécificité : celle d’une parole libre venue d’un endroit d’où il n’est pas habituel qu’on parvienne à l’entendre, la parole des citoyens. »

Foutre ! On chercherait donc à étouffer une parole libre, par ici ? La parole de citoyens ? Alors, oui, l'heure semble grave ; il est effectivement temps qu'un collectif se constitue en autorité afin de décider qui, désormais, aura droit à l'AOC “blogueur produisant du contenu” et qui sera impitoyablement refoulé vers les limbes. Qui sera refoulé, c'est évidemment déjà dit en toutes lettres dans ce “We, the blogo-people” fondateur :

« Pis encore, des agrégateurs de liens et de contenus, des sites semi-professionnels, ont soudainement rejoints les bases de données d’Ebuzzing, y compris des sites d’extrême-droite qui usent à grande échelle de méthodes plus que suspectes pour gagner en notoriété – démultiplication de pseudos, retweets automatiques en masse, commentaires copiés-collés de manière industrielle, etc… »

Il serait inutile de faire observer à nos Valeureux que nombre de blogs, dont ils font pourtant la promotion active, n'ont jamais produit le moindre “contenu”, se contentant de copier des informations glanées ailleurs ou des vidéos plus ou moins musicales. Ce serait de toute façon mal venu et relevant d'un certain esprit d'acharnement. Laissons donc nos Pères fondateurs face à leurs tout neufs bustes de roc : ils ont bien mérité de la Patrie, de la Liberté et de l'Artisanat.

Le jeunesse se met Martel en tête : elle fait bien


Rien que pour le plaisir d'entendre ensuite les jappements concertisés de tout ce que compte ce pays de chiens de garde inquiets pour leur gamelle, cette charmante manifestation pacifique valait le coup d'être organisée. J'y serais volontiers allé moi-même si j'avais été certain que l'ascenseur fonctionnât. Non parce que ç'a l'air haut, tout de même…

dimanche 21 octobre 2012

Vive l'Algérie française ! (Forts applaudissements à gauche.)


Ce n'est pas moi qui le dis mais Friedrich Engels, le petit camarade de jeux de Carlitos Marx, au fil d'un article publié le 22 janvier 1848 dans le journal anglais Northern Star :

« En somme, à notre avis, c'est très heureux que ce chef arabe [Abdel ­Kader] ait été capturé. La lutte des bédouins était sans espoir et bien que la manière brutale avec laquelle les soldats comme [Thomas] Bugeaud ont mené la guerre soit très blâmable, la conquête de l'Algérie est un fait important et heureux pour le progrès de la civilisation.
Les pirateries des Etats barbaresques, jamais com­battues par le gouvernement anglais tant que leurs bateaux n'étaient pas molestés, ne pouvaient être sup­primées que par la conquête de l'un de ces Etats. Et la conquête de l'Algérie a déjà obligé les beys de Tunis et Tripoli et même l'empereur du Maroc à prendre la route de la civilisation. Ils étaient obligés de trouver d'autres emplois pour leurs peuples que la piraterie et d'autres méthodes pour remplir leurs coffres que le tribut payé par les petits­ Etats d'Europe.
Si nous pouvons regretter que la liberté des bédouins du désert ait été détruite, nous ne devons pas oublier que ces mêmes bédouins étaient une nation de voleurs dont les moyens de vie principaux étaient de faire des razzias contre leurs voisins ou contre les villages paisibles, prenant ce qu'ils trouvaient, tuant ceux qui résistaient et vendant les prisonniers comme esclaves.
Toutes ces nations de barbares libres paraissent très fières, nobles et glorieuses vues de loin, mais approchez seulement et vous trouverez que, comme les nations plus civi­lisées, elles sont motivées par le désir de gain et emploient seule­ment des moyens plus rudes et plus cruels.
Et après tout, le bourgeois moderne avec sa civilisation, son industrie, son ordre, ses « lumières » relatives, est préférable au seigneur féodal ou au voleur maraudeur, et à la société barbare à laquelle ils appartiennent. » 

Il a de la chance d'être mort, ce Frédéric de Prusse-là : vivant aujourd'hui, ce serait Cayenne direct, après des propos aussi nauséabonds.

samedi 20 octobre 2012

Si vous passez par Saint-Malo…


Une exposition à ne manquer sous aucun prétexte, qu'il soit mauvais ou bon ! 

Il y a quand même de bonnes nouvelles (mais pas en France, évidemment)


« L'étude quotidienne de l'institut Gallup continue de montrer un écart grandissant en faveur de Mitt Romney dans les intentions de vote au niveau national. Selon un sondage publié jeudi et réalisé entre le 11 et le 17 octobre (soit en partie après le deuxième débat), Mitt Romney distance Barack Obama de 7 points chez les électeurs susceptibles d'aller voter le 6 novembre. Le candidat républicain obtient ainsi 52% des intentions de vote de ces électeurs, contre seulement 45% pour le président sortant. (…) »


vendredi 19 octobre 2012

Mitterrand, de Gaulle, la cousine Bette et la table ronde

L'humour, que je sache, n'a jamais passé pour être l'une des qualités saillantes de Balzac ; il y en a pourtant. Dans La Cousine Bette, environ au premier tiers du roman, je tombe sur ce petit dialogue – c'est Célestin Crevel qui parle, ancien commis et successeur, comme l'on sait, de César Birotteau :

« J'adore Louis-Philippe, c'est mon idole, il est la représentation auguste, exacte de la classe sur laquelle il a fondé sa dynastie, et je n'oublierai jamais ce qu'il a fait pour la passementerie en rétablissant la garde nationale…
– Quand je vous entends parler ainsi, dit Lisbeth, je me demande pourquoi vous n'êtes pas député. »

Mais Balzac ne serait pas lui-même, sans ces brèves notations psychologiques (je sais que le mot est mal porté et considéré avec hauteur par les petits lecteurs du XXIe siècle, d'où la précaution de l'italique…) qu'il jette comme en passant. Celle-ci par exemple, à la page suivant le précédent extrait (je souligne) :

« Elle rejoignit là son infidèle et put le suivre sans être vue par lui, car les amoureux se retournent rarement ; »

Mais revenons à Célestin Crevel et à César Birotteau (qui est mort depuis assez longtemps, au moment où se déroule l'action de La Cousine Bette). Comme souvent, avant de brosser le portrait de son personnage, Balzac prend soin de lui fournir un cadre. Et, encore avant de décrire cet environnement intime, il esquisse une loi générale (que Proust, lui, aurait probablement fait intervenir après sa description) :

« Avez-vous remarqué comme, dans l'enfance, ou dans les commencements de la vie sociale, nous nous créons de nos propres mains un modèle à notre insu, souvent ? Ainsi le commis d'une banque rêve, en entrant dans le salon de son patron, de posséder un salon pareil. S'il fait fortune, ce ne sera pas, vingt ans plus tard, le luxe alors à la mode qu'il intronisera chez lui, mais le luxe arriéré qui le fascinait jadis. On ne sait pas toutes les sottises qui sont dues à cette jalousie rétrospective, de même qu'on ignore toutes les folies dues à ces rivalités secrètes qui poussent les hommes à imiter le type qu'ils se sont donné, à consumer leurs forces pour être un clair de lune. Crevel fut adjoint parce que son patron avait été adjoint, il était chef de bataillon parce qu'il avait eu envie des épaulettes de César Birotteau. »

En dehors du fait que l'on s'approche là tout près du “modèle-obstacle” tel que défini un siècle et demi plus tard par René Girard, relisez donc ce passage en remplaçant Célestin Crevel par François Mitterrand et César Birotteau par Charles de Gaulle : je vous défie de ne pas sourire…

Enfin – car il ne faut point lasser l'aimable assistance –, la page ne serait pas complète, ni tout à fait caractéristique, si ne venait s'y glisser l'une de ces incongruités que l'on rencontre régulièrement chez Balzac – Proust, encore lui, s'en est fort drôlement servi dans son pastiche – et dont on se demande toujours quel petit démon a pu le pousser non seulement à les écrire mais à les ratifier lors de ses nombreuses relectures-corrections sur épreuves. J'aime particulièrement celle qui se trouve justement ici (c'est toujours moi qui souligne, évidemment) :

« Le table ronde, immobile au milieu du salon, offrait un marbre incrusté de… », etc.

Qu'aurait-il voulu ? Qu'elle danse la gigue d'un coin à l'autre de la pièce ? Qu'elle aille faire un tour à l'office pour s'enquérir de l'heure où elle devrait supporter le thé et les gâteaux ? Que Victor Hugo se pointe pour la faire tourner ?

Il reste que La Cousine Bette est un implacable chef-d'œuvre.

jeudi 18 octobre 2012

17 octobre 1961 : un massacre sans corps

Il est recommandé de lire le texte qui suit comme un pur exercice de fiction, dicté par la mauvaise foi idéologique la plus nauséabonde, bien entendu. D'ailleurs, ce Bernard Lugan, nous avons déjà des fiches sur lui… Ferait mieux de se tenir à carreau, au lieu de chercher à tout prix à faire croire aux enfants de la République que le Père Noël n'existe pas, alors que tout le monde sait bien qu'il héberge des clandestins dans le double fond de son traîneau volant. Enfin, voici, juste pour désobéir à Dorham :

Après l’esclavage, le 17 octobre 1961… La coupe de la repentance déborde !

En reconnaissant la responsabilité de l’État et en rendant hommage aux “victimes” de la manifestation interdite du 17 octobre 1961, François Hollande s’est comporté en militant sectaire, non en président de tous les Français. D’autant plus que, pour les historiens de métier, les prétendus “massacres” du 17 octobre 1961 constituent un tel exemple de manipulation qu’ils sont étudiés comme un cas exemplaire de fabrication d’un mythe ; comme Timisoara en Roumanie, comme les “couveuses” au Koweit ou encore comme les “armes de destruction massive” en Irak !

Tout repose en effet sur des chiffres gonflés ou manipulés et sur des cadavres inventés. Dans une inflation du nombre des morts, les amis du FLN algérien et les porteurs de valises communistes ont ainsi joué sur les dates, additionnant aux 3 morts avérés du 17 octobre ceux des jours précédents ainsi que les décès postérieurs. Pour eux, tout Nord Africain mort de mort violente durant le mois d’octobre 1961 est forcément une victime de la répression policière… même les victimes des accidents de la circulation.

[...] Quel est donc le vrai bilan de cette manifestation ?

– Le 17 octobre 1961, alors que se déroulait dans Paris un soi-disant massacre, l’Institut Médico-Légal (la Morgue), n’a enregistré aucune entrée de corps de “NA” (NA = Nord Africain dans la terminologie de l’époque).
– Le 17 octobre 1961, de 19h30 à 23 heures, il n’y eut qu’une seule victime dans le périmètre de la manifestation et ce ne fut pas un Algérien, mais un Français nommé Guy Chevallier, tué vers 21h devant le cinéma REX, crâne fracassé. Par qui ?
– En dehors du périmètre de la manifestation, “seuls” 2 morts furent à déplorer, Abdelkader Déroues tué par balle et retrouvé à Puteaux et Lamara Achenoune tué par balle et étranglé, gisant dans une camionnette, également à Puteaux. Rien ne permet de dire qu’ils furent tués par les forces de l’ordre.

Le 18 octobre, à 04 heures du matin, le bilan qui parvint à Maurice Legay le directeur général de la police parisienne fut donc de 3 morts. Nous sommes donc loin des dizaines de morts et de “noyés” auxquels l’actuel occupant de l’Élysée a rendu hommage !

Certes, nous dit-on, mais les cadavres ont été déposés à la morgue les jours suivants. Faux, car ce n’est pas ce qu’indiquent les archives de l’Institut Médico Légal de Paris puisque, entre le 18 et le 21 octobre, “seuls” 4 cadavres de “NA” furent admis à la Morgue :
– Le 18 octobre, Achour Belkacem tué par un policier invoquant la légitime défense et Abdelkader Benhamar mort dans un accident de la circulation à Colombes.
– Le 20 octobre, Amar Malek tué par balles par un gendarme.
– Le 21 octobre Ramdane Mehani, mort dans des circonstances inconnues.

Nous voilà donc bien loin des 100, 200 ou même 300 morts “victimes de la répression” avancés par certains et pour lesquels M. François Hollande a reconnu la responsabilité de la France ! [...]

Bernard Lugan 


Pour un complément d'information sur cette fameuse manifestation, voir chez Koltchak.

mercredi 17 octobre 2012

Phoque you toi-même !

Photo prise par qui vous savez, dans l'archipel de Bréhat

Il y avait bien longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à un bain de mer.

mardi 16 octobre 2012

Le changement climatique a bien changé


Tout seul dans mon coin, à l'abri sous mon petit parasol, depuis quelque temps déjà, je m'étais fait la réflexion que mes chosefrères en journalie avaient brusquement cessé de parler de réchauffement climatique et remplacé le premier terme par celui, beaucoup plus gentillet, de changement (ce qui avait en outre le mérite de les placer à la pointe de la modernité hollandienne). Comme ils l'avaient fait à peu près tous en même temps, il était raisonnable de penser qu'il y avait eu des consignes fermes dans les rédactions : on voit mal comment ils auraient pu prendre une telle initiative de manière spontanée, en un domaine qui leur échappe à peu près complètement (à moi aussi, il m'échappe, mais ce n'est pas le propos : je ne jacte pas dans le poste, moi !). Que se passait-il donc ?

L'un des derniers livres publiés par Jean Staune m'avait d'abord placé sur la voie : la propagande réchauffiste mettait un bémol car le fait qu'il n'y ait pas eu le moindre réchauffement depuis une bonne dizaine d'années commençait un peu trop à se savoir, et il devenait vraiment délicat de faire semblant de l'ignorer, sauf si on tenait à passer pour un imbécile récidiviste ou un idéologue renforcé.

Le billet du jour de l'excellent Hashtable revient sur le sujet et me conforte dans ce que j'avais subodoré, à savoir que les fumisteries climatiques sont en train de s'écrouler par pans entiers, et que, désormais, même mes confrères en ont été avertis. Mais quid de ce gentil changement qu'ils ont adoptés en lieu et place du satanique réchauffement ? Changement de quoi ? Dans quel sens ? Depuis quand ? N'en savent rin. Ils vont continuer d'utiliser le mot jusqu'à ce que leurs maîtres leur en fournissent un autre ; ou leur donne l'ordre de fermer complètement leur clapet. Ce qui, ma foi, ne serait pas une mauvaise chose.

lundi 15 octobre 2012

Balzac, Simenon, Didier Goux, et autres gâcheurs de plâtre

Me r'garde pas comme ça, merde…
Je crois avoir raison de penser qu'il n'existe pas de passerelle entre ces deux catégories de personnes passant leur vie avec les mots et les phrases : écrivain et écrivain en bâtiment. Néanmoins, je bute sur un roc aux dimensions phénoménales : Balzac. Exemple unique a contrario, énorme dans les deux sens, exception qui confirme-etc. 

Durant environ quatre ans, de 1822 à 1825 approximativement, Balzac n'a été rien d'autre que cela : un écrivain en bâtiment ; et des plus médiocres, des plus vautrés (Vautrin ?) si je me réfère à ce que j'ai pu en lire. Cet écrivain de second rayon, ce romancier-pour-filles, ce rejeton de bourgeois qu'est Stefan Zweig n'a pas, dans sa biographie, par ailleurs précieuse,  de mots assez flétrisseurs pour le Balzac de ces années-là : il réagit comme une chaisière se piquant de délicatesse et qui reproche : « ta bite a un goût ! », au fort des Halles qui vient de lui présenter innocemment et gaillardement la sienne. Et, en effet, les écrits de Balzac (qui signe alors Saint-Aubin…), à cette époque, ont indubitablement un goût. Sweig a raison : il s'enfonce. En principe, il ne devrait jamais en ressortir. Là où Zweig est innocent (au sens moderne de trisomique), c'est qu'il garde le Balzac d'après en ligne de mire et qu'il juge le Balzac-en-bâtiment d'après celui que, tout tranquillement, il a trouvé relié plein cuir dans la bibliothèque de Papa. Il ne voit ni le mystère, ni le miracle.

Le miracle m'est apparu ce matin, lorsque j'ai repris la nouvelle intitulé Adieu, que l'on m'avait, voilà quelques jours, sommé de relire. Elle est en effet parfaite. Et elle date de février 1830. Or, un an et demi plus tôt, Balzac n'avait encore rien écrit de mieux que les méchants romans d'Horace de Saint-Aubin, qui tiennent à peu près le milieu entre Harlequin et Brigade mondaine, en moins bien dans les deux cas. Entre 1829, date des Chouans, et la fin de 1831, ce même homme va écrire près d'une vingtaine de romans ou nouvelles qui, tous, figurent aujourd'hui en bonne place dans La Comédie Humaine. Que s'est-il passé ? Comment Saint-Aubin est devenu Balzac sans la moindre transition connue ? Quelle puissance a transformé le pousseur de brouette en architecte ?

Y réfléchissant, et trouvant qu'il était un exemple unique, il m'a semblé qu'on ne pourrait pas m'opposer de contradiction à cette unicité. Puis, évidemment, le nom de Simenon a surgi. Balzac et Simenon sont faciles à associer, en raison de l'abondance de leur production et aussi d'une certaine ressemblance dans la manière d'émerger au grand jour. C'est du reste ce qui permet de dire beaucoup de sottises à leur endroit. Même Marcel Aymé a trouvé le moyen de dire deux grosses conneries en une seule phrase, courte qui plus est : « Simenon, c'est Balzac sans les longueurs. »

D'une part il n'y a aucune longueur chez Balzac, à moins d'admettre que l'on est tout à fait fermé à Balzac. Comment apprécier Eugénie Grandet sans la description minutieuse de Saumur qui l'ouvre ? Comprendre Beatrix sans celle de Guérande ? Voir Lucien Chardon et Mme de Bargeton sans Angoulême ? Ursule Mirouët si l'on ignore tout de Nemours ? Etc. D'autre part, on peut difficilement imaginer deux romanciers plus éloignés l'un de l'autre que Balzac et Simenon : celui-ci, de son propre aveu, cherche à atteindre “l'homme nu” ; celui-là ne conçoit l'homme que social ; Simenon cherche à atteindre l'invariant, Balzac ne s'intéresse qu'à ce qui est mouvant, pris dans la société et les intérêts du moment.

Il n'empêche que, vus de l'extérieur, en effet, Balzac et Simenon ont des points communs, des similitudes de “parcours”. Et notamment le fait que tous les deux ont commencé leur vie en se cachant derrière des pseudonymes afin d'écrire des choses indignes de ce qu'ils allaient devenir, dans le seul but de gagner l'argent dont ils avaient besoin (ce qui est la définition même de l'écrivain en bâtiment).

La différence est que Simenon voulait devenir écrivain, et qu'il a, dès le début, considéré son bâtimanat comme des gammes, un entraînement en vue de ce qu'il ferait plus tard. De la même manière, l'invention de Maigret était, dans son esprit, le simple passage à la marche supérieure, destinée à être abandonnée dès qu'il se sentirait capable de se hisser sur la marche suivante. (Et, en effet, il tente de tuer Maigret, ou au moins de le coller à la retraite, dès le milieu des années trente, lorsqu'il pense, à juste titre, être capable de passer à autre chose : il n'y reviendra que pendant l'Occupation, parce qu'il faut bouffer, ce qui est une manière de redevenir “en bâtiment” mais à un niveau supérieur).

Rien de semblable chez Balzac. Il se passe quatre ou cinq ans, entre la mort de Horace de Saint-Aubin et la naissance d'Honoré de Balzac, durant lesquelles Honoré Balzac ne pense à rien moins qu'à la littérature, son objectif (qui le suivra toute sa vie) étant juste de gagner de l'argent : il devient éditeur, puis imprimeur, puis encore autre chose, se plante partout et, du coup, parce qu'il n'a pas mieux à sa disposition, revient à l'écriture. Là, 1829, il devient Honoré de Balzac. On ne peut pas imaginer plus grande distance entre lui et Horace de Saint-Aubin : il bâclait des murs de cuisine, il pose les pinceaux ; il les reprend, c'est la Naissance de Vénus.

dimanche 14 octobre 2012

M. Hollande se serait-y pas un peu fait enfumer ?


« Comme tous les voyageurs de passage à Dakar, François Hollande devrait se rendre à Gorée, île inscrite au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Or, ce n’est pas pour y visiter un des plus beaux sites de l’Afrique de l’Ouest, lieu dégageant une impression envoûtante, mais pour y sacrifier à la sempiternelle repentance.

« Gorée est en effet présentée comme ayant été une des bases de la traite par laquelle des millions de malheureux esclaves auraient transité. Les voyagistes américains proposent même au public afro américain la visite pèlerinage de l’île qui aurait vu passer leurs ancêtres ; au mois de février 1992, lors d’un voyage au Sénégal, le Pape Jean-Paul II lui-même accrédita la légende de « Gorée l’île aux esclaves ».

« Le « clou » de la visite est la tristement célèbre « Maison des esclaves » où les chaînes qui retenaient les captifs sont encore en place. L’histoire de ce bâtiment est racontée avec lyrisme par des guides auxquels aucun superlatif n’est étranger. Ils racontent ainsi qu’elle fut construite par les Hollandais au XVII° siècle, que ce fut à l’origine une « esclaverie », qu’elle fut le cœur du honteux système esclavagiste régional centré sur l’île de Gorée. Ses murs ont vu passer des centaines de milliers ou même des millions de Noirs arrachés à leur terre. La visite détaillée permet d’ailleurs de se faire une idée des épouvantables conditions de vie des malheureux. Elle se poursuit par la découverte des cellules des hommes, de celles des femmes et même, moment particulièrement émouvant, de celles des enfants. Le cachot n’est pas oublié dans lequel étaient enchaînés et enfermés les sujets rebelles.

« Cette maison a fière allure depuis qu’elle a été restaurée. Une plaque apprend ainsi au visiteur que, parmi les mécènes figure une association prestigieuse, la Fondation France Liberté, présidée par Madame Danielle Mitterrand, veuve d’un ancien président de la république française.

« Le seul problème, mais il est de taille, est que la « Maison des esclaves » n’en n’était pas une et que Gorée ne fut pas un centre important de la traite esclavagiste !

« La véritable histoire de la « Maison des esclaves » a en effet été écrite notamment par deux historiens de l’IFAN (Institut fondamental de l’Afrique noire), Abdoulaye Camara, préhistorien et archéologue, ancien conservateur du Musée de Gorée puis du Musée d’Art africain de Dakar, et par le père jésuite Joseph Roger de Benoist, spécialiste de l’histoire du Sénégal. Le lecteur curieux pourra se reporter à ce sujet au journal Le Monde en date du 27 décembre 1996 et à l’article intitulé « Le mythe de la Maison des esclaves qui résiste à la réalité ».

« L’histoire racontée par ces historiens est bien différente de la légende officielle de Gorée pieusement récitée par les guides locaux :

1) Ce ne seraient pas les Hollandais qui construisirent la « Maison des esclaves » au XVIIe siècle, mais les Français et cela en 1783, donc à une période où la traite européenne avait cessé dans la région de la Sénégambie depuis plusieurs décennies. Une traite subsistait certes à cette époque, mais elle était à destination de l’Afrique du Nord et elle était pratiquée par des esclavagistes arabo-musulmans. Gorée ne fut pas concernée par elle.
2) Cette maison aurait été commandée par Anna Colas, une signare, c’est à dire une riche métisse.
3) Les « cellules » auraient été en réalité des entrepôts de marchandises.
4) Comme toutes les demeures coloniales de cette époque, la maison abritait une nombreuse domesticité et certainement même des esclaves qui y assuraient les tâches les plus ingrates, mais ce n’était pas une « esclaverie ».
5) A l’époque de la traite florissante, Gorée ne fut pas un centre esclavagiste. Au maximum du mouvement, c’est à dire au XVIIe et peut-être au début des XVIIIe siècles, les historiens estiment en effet entre deux cents et cinq cents le nombre d’esclaves qui y transitaient annuellement.

« François Hollande a donc à son tour cautionné un montage historique. Et pourtant, il ne manque pas de lieux, réels ceux-là, où il est possible de voir comment était véritablement organisé l’odieux commerce des esclaves.

« J’en citerai un seul dans cette Afrique de l’Ouest littorale qui vit tant de royaumes africains esclavagistes vendre plusieurs millions d’hommes, de femmes et d’enfants à leurs partenaires européens. Il s’agit du fort de Cape Coast, situé au Ghana, à environ 200 kilomètres à l’ouest d’Accra et qui fut le principal point d’exportation des esclaves vendus par le royaume Fanti aux négriers anglais, hollandais et même suédois qui s’y succédèrent. Il serait également possible de citer, entre autres, Elmina à l’est de Cape Coast et Christiansborg (ou Osu) à Accra.

« La « mauvaise monnaie chassant la bonne », les petits arrangements avec l’Histoire sont peut-être favorables à l’industrie touristique de Gorée, mais, outre le fait qu’ils décrédibilisent ceux qui les cautionnent, ils risquent de faire le lit de ceux qui nient la traite esclavagiste ou qui la relativisent. »

Bernard Lugan
12/10/10 

vendredi 12 octobre 2012

Le Nobel des ravis de la crèche est attribué à Dame Doudette


J'avais juré, c'est vrai, que je ne me moquerais plus jamais des pauvres filles. Mais là… mais là… comment résister à ces premières phrases, à propos de la réjouissante mascarade qu'est le prix Nobel de la paix ? Tenez :

« Je n'ai pas pu retenir mes larmes. Elles ont coulé, tranquilles, sur mes joues rebondies par un sourire que je n'arrivais pas effacer. Un sourire de soulagement. Un sourire de bonheur. Parce que cette Union Européenne que j'aime tant était enfin reconnue pour ce qu'elle est d'abord et avant tout : un facteur de paix.

« Parce qu'aussi en lui remettant le prix, le comité Nobel reconnait qu'elle est autre chose qu'une simple communauté économique, qu'elle a une force qui va au delà d'alliances de circonstances destinées à faire progresser uniquement des intérêts nationaux.

« Je vous recommande la lecture du communiqué de presse : le comité Nobel récompense plus de six décennies où l'Union Européenne a contribué l'avancement de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'Homme en Europe. (…) »

La suite est à l'aune, le “profil” à la hauteur. Grâce soit rendue à Nicolas, ce prodigieux dénicheur de talents blogosphériques.

Gosier en pente mais pied marin


La photo n'est là que pour complaire à Dame Suzanne qui, allez savoir pourquoi, n'en pouvait plus de la précédente. Les trois personnages ici représentés sont restés à ce jour impossibles à identifier avec certitude ; mais il se murmure qu'un vieux réac pénible se serait malignement glissé dans ce petit groupe de joyeux progressistes tout éternuant d'embruns – d'embruns d'État, évidemment, puisqu'il s'agit de gauchistes certifiés.

jeudi 11 octobre 2012

Discriminator dans tous ses éclats


L'un des principaux credos de la modernité ravageuse est : il n'y a pas de raison ; on peut le compléter comme suit : il n'y a pas de raison de s'arrêter en si bon chemin – quel que soit le chemin bien entendu, même si celui emprunté conduit droit au portail de l'asile le plus proche. Ainsi de notions réjouissantes comme la parité, la discrimination et sa sœur jumelle quoique ennemi : l'égalité. Dans ces domaines, à force de ne pas s'arrêter en si bon chemin, on va rapidement aboutir à des situations fort curieuses à observer.

Prenons, au hasard, le cas d'un vieillard vivant chez lui, mais devenu à demi impotent et ayant cependant les moyens financiers de s'offrir les services d'une aide à domicile. Que se passera-t-il s'il refuse d'engager autre chose qu'un homme, sous prétexte qu'il se sentirait humilié d'être lavé et changé par une femme ? Ou l'inverse ? On va le poursuivre pour discrimination à l'embauche ? 

Et les gynécologues, tiens. Je connais beaucoup de femmes qui n'envisageraient jamais d'être suivies par un homme, en ce domaine. À l'inverse, une amie me confiait l'autre jour n'avoir jamais été consulter une gynécologue, simplement parce que l'idée d'être touchée, à cet endroit-là, par une femme lui a toujours profondément répugné. On les traînera devant les tribunaux, ces salopes discriminatrices ? 

On va me répondre évidemment (mais au fond je n'en suis pas sûr…) que non, que ce serait idiot, que les femmes sont bien libres de choisir qui elles veulent pour les tripoter médicalement, et les vieillards de même pour leur toilette intime. Fort bien, mais dans ce cas pourquoi n'en irait-il pas de même pour un patron ou un propriétaire d'immeuble ? Au nom de quoi le premier se verrait interdire de préférer travailler avec des hommes (ou des femmes) ? Pourquoi le second n'aurait pas le droit de louer exclusivement ses appartements à des Français “de souche” (ou à des Africains dessouchés) si cela lui agrée davantage ? 

Là encore, on va me répondre par un autre axiome de la modernité censé tout régler : « C'est pas pareil ! », ou par son corollaire obligé : « Comparons ce qui est comparable ! » (Piteuse tautologie, soit dit en passant.). D'où ma dernière question : qui a décrété que “c'est pas pareil” ? Quel est ce mystérieux personnage qui, son gros pinceau à la main, a pris sur lui de tracer la fameuse “ligne jaune” que nul n'est censé franchir sous peine d'infamie ? Bref : qui parle, qui édicte, qui condamne ?


mercredi 10 octobre 2012

Le sous-sol ou : voiture garée dans un souterrain


« Chouette ! », m'exclamai-je muettement, en constatant que, les six places étant vides de voitures, je n'allais pas avoir à manœuvrer pour ranger la mienne sur l'une d'elles ; comme il n'était que huit heures et demie, je ne songeai nullement à m'en étonner : le journaliste généralement se lève à l'heure où l'éboueur se couche. C'est alors que survint le premier signe.

Parcourant le chemin me séparant des ascenseurs, je m'avise soudain que le petit personnel a profité de mes deux semaines de vacances pour repeindre en orange certains murs de ce troisième sous-sol que je suis en train d'arpenter. Plus fort encore : ils les ont enduits d'une peinture sale, et même écaillée par endroits. À ce stade, aucune connexion notable ne s'établit dans mon cerveau.

Rien ne me semble non plus anormal dans le fait qu'en une cinquantaine de mètres, mon œil repère trois ou quatre voitures intéressantes, que je n'avais encore jamais vues ici.

Pénétrant dans l'ascenseur qui a bien voulu descendre jusqu'à moi, je constate qu'il affiche - 2 au lieu de - 3 comme il le fait d'ordinaire. Étant habitué à des dysfonctionnements de tous ordres chez ces antédiluviennes machineries, je me contente de hausser les épaules – et toujours pas la moindre connexion synaptique à signaler sous ma boîte crânienne.

Trois quart d'heures plus tard environ, passant devant le bureau ouvert du directeur artistique, et constatant qu'il est là, je le salue aimablement. Il me rend mon bonjour, puis : « Qu'est-ce qui t'a pris, ce matin, de te garer au deuxième sous-sol plutôt qu'au troisième ? C'est malin : me fiant sur ta bagnole j'ai failli faire la même connerie ! »

Là, tout se replace en moins d'une seconde, les divers indices se mettent à concorder comme des bêtes, leur étrangeté se dilue ; et ils m'informent sans la moindre ambiguïté qu'en effet j'ai dû me tromper d'un étage, ce qui ne m'était encore jamais arrivé. 

Remerciant mon camarade de jeu, je fonce (oui, enfin, bon…) vers les ascenseurs, afin d'aller déplacer cette malheureuse Mégane délocalisée. J'appuie évidemment, par réflexe, sur le bouton du troisième sous-sol, celui où ne se trouve pas ma voiture ; je remonte d'un étage en me traitant d'alzheimerolâtre.

Là, toute l'horreur me saisit, à quoi je viens d'échapper. Je déroule le scénario de cette fiction d'épouvante. Son déclencheur est une simple question : que serait-il advenu si Jean-Michel n'avait pas repéré ma voiture – qui l'est en effet bien peu, sauf justement pour lui qui possède la même – au deuxième sous-sol ? C'est évident : cet après-midi, je serais descendu au troisième et aurais constaté avec un accablement extrême que l'on m'avait volé ma voiture. Je serais peut-être allé le signaler au personnel de surveillance, mais ce n'est pas certain. Le plus probable est que j'aurais filé droit au commissariat afin d'y faire enregistrer le dit vol. Je suppose que j'aurais eu l'idée d'en informer également mon assureur. Ensuite, il se serait agi de rentrer à la maison (train + taxi, puisque nous n'avons qu'une seule voiture, et donc désormais plus du tout) et de se trouver un véhicule de remplacement d'ici demain. Tout en maudissant les voleurs et mon sort, j'aurais certainement pris un apéro massif afin d'oublier ma profonde misère. À partir de là, mon scénario bifurque en deux versions, l'une soft, l'autre hard, voire gore.

Dans la soft, le légitime bénéficiaire de la place que ma voiture occupe indûment chope les boules au bout de deux jours, va faire du foin auprès du personnel de sécurité afin que l'on retrouve l'indélicat. On m'identifie et me localise rapidement : j'en suis quitte pour le ridicule d'avoir été porter plainte auprès de la police, pour une voiture qui m'attendait sagement au-dessus de ma tête et n'a jamais bougé de la place où je l'avais moi-même garée.

Dans la version hard, la place en question n'a pas de titulaire – ce qui n'aurait rien d'étonnant : toutes les rédactions du groupe comprimant furieusement leurs effectifs, beaucoup de places de parking se sont libérées ces dernières années…

Que se passe-t-il alors ? Rien. J'ai déjà vu certaines voitures ne jamais bouger de leur place durant des mois d'affilée sans que personne ne s'en émeuve. C'est donc, fort logiquement, ce qui arrive à la Mégane : elle s'empoussière gentiment, semaine après semaine… Jusqu'à ce que, finalement, mon assureur me la rembourse et que je cesse tout à fait de penser à elle. Ce second scénario peut s'arrêter là,  mais il peut aussi déraper dans le gore. Pour cela, il suffit d'admettre que, pour une raison ou une autre, on finisse par découvrir que j'en suis le propriétaire, et ce peu après que l'assurance m'aura payé. Pour peu que, dans l'intervalle, je me sois mis à parader au volant de ma Volvo toute neuve, mon compte est bon : je suis fortement soupçonné de fraude à l'assurance, voire inculpé.

C'est ainsi qu'une simple étourderie matinale peut vous conduire tout droit aux fossés de Vincennes.

lundi 8 octobre 2012

Sacré Félicien, tu mérites bien…


Le monde créé par Balzac est à ce point riche, foisonnant, vivant, qu'il n'est presque plus besoin de s'y rendre pour en tirer du plaisir, des émotions, du dépaysement. Se replonger, par exemple, dans l'irremplaçable essai de Félicien Marceau, Balzac et son monde, revient à regarder un excellent documentaire sur la Toscane quand on aime plus que tout la Toscane : cela procure évidemment des bonheurs bien moindres que de retourner à Florence ou à Sienne, mais on peut le faire de son fauteuil et, de ce fait, ne pas manquer le dîner familial. Le danger du documentaire, évidemment, surtout s'il est admirablement fait, c'est de vous faire vous précipiter sur le site de la première agence de voyage venue pour y réserver hôtel et billets sans même passer par celui de votre banque, qui serait seul capable, par les sommes négatives qu'il vous présente, de vous dissuader.

dimanche 7 octobre 2012

Balzac et Camus sur le grill de Lukàcs

Dans l'article que Georg Lukàcs consacre au roman Les Paysans, dans son Balzac et le réalisme français, on trouve la phrase suivante (éditions de La Découverte, p. 40) : « La vision d'une fin du monde, de la fin de la culture, est toujours la forme amplifiée par idéalisme du pressentiment de la fin d'une classe. »
Sans doute, en effet, applicable à Balzac, et particulièrement dans ce roman-ci, l'est-elle aussi à Renaud Camus, notamment à celui de ces dernières années, au “politique” ? De même que Balzac voit très bien, et montre encore mieux, l'irrémédiable agonie de l'aristocratie et de la grande propriété foncière, de même Camus ne cesse de décrire le déclin et la disparition programmée de la bourgeoisie, tuée, étouffée, absorbée par ce qu'il prétend être la petite-bourgeoisie. Nous sommes quelques-uns à mettre en doute l'absolue pertinence de ce dernier terme pour décrire la réalité que nous vivons (dans ce cas précis, l'Homo Festivus de Muray me paraît un outil plus efficace) ; mais nul ne conteste, je crois, la première partie du constat, à savoir le retrait jusqu'à perte de vue de la bourgeoisie “à l'ancienne”, son emprise de plus en plus faible sur la vie et les mœurs de ce pays, les rapports sociaux qui y ont cours.
De même, les deux auteurs lient effectivement ce qu'ils voient à la fin du monde – ou au moins d'un monde – et à celle de la culture qui lui est tenue pour consubstantielle. Cette liaison, là encore dans les deux cas, débouche sur une déploration, plus marquée et insistante dans le cas de Camus, davantage fataliste chez Balzac, me semble-t-il. Ont-ils raison ? Ou bien sont-ils victimes, l'un et l'autre, de cet “idéalisme” dont parle Lukàcs et qui leur ferait prendre la fin d'une classe pour celle du monde et de la culture.
Évidemment, peut-on se dire, en tant que marxiste single malt, Georg Lukàcs a tendance à voir des classes partout, comme d'autres des nains, et sa foi l'aveugle ; c'est possible. Il reste que, pour ce qui est de la culture, la bourgeoisie qui naissait à l'époque de La Comédie humaine a repris, entretenue et même développée celle qu'elle avait saisie des mains de l'aristocratie à son dernier soubresaut.

On pourra aussi se dire que Camus est, lui, placé dans une situation tout à fait inédite, et que ni Balzac, ni Lukàcs n'ont eu à voir et penser l'équatorialisation de leur univers.

samedi 6 octobre 2012

La Bretagne commence en Normandie


Comme nous étions en avance pour notre rendez-vous chez Jacques Étienne, et que je suis un garçon scrupuleux sur ce chapitre, nous avons effectué un léger détour par Mortain, afin de voir un peu à quoi ressemble cette paisible bourgade de la Manche. Nous avons découvert qu'elle possédait une abbaye Blanche, diablement désaffectée, et nous sommes allés fugitivement peupler sa déshérence – d'où la photographie ci-dessus, afin qu'il en soit attesté pour les siècles des siècles. Cette abbaye, imposante, peut s'enorgueillir d'un demi-cloître, d'un gros touriste à lunettes vert fluo et d'une petite chienne, suisse mais claudicante. Il y a aussi, au patrimoine, une photographe à cheveux courts (pour les chiens, on dit plutôt “à poil ras”), que l'on ne voit pas sur ce cliché pour des raisons faciles à comprendre.

Après quoi, nous nous sommes présentés à la demeure champêtre de Sire Étienne, où nous avons passé l'essentiel de la soirée à regarder un gigot se prélasser dans le four tout en sirotant des alcools forts (pas le gigot : nous) et en parlant de Frédéric II de Hohenstaufen. À la fin le gigot était cuit, mais nous l'étions largement plus que lui : limite cramés.

vendredi 5 octobre 2012

C'est rouvert…

Cathédrale Saint-Tugdual de Tréguier (mais la photo n'est pas de Catherine…

Nous sommes rentrés un jour plus tôt que prévu, après une semaine aussi fatigante que réussie. Pour plus de détails, il faudra patienter jusque fin octobre et fin novembre, et les découvrir dans les journaux de septembre et d'octobre. En attendant, un petit apéro de remise à niveau ne fera pas de tort…

Mais que sont les fascistes d'antan devenus ?


Alain Finkielkraut a avancé que l'antiracisme dogmatique, idéologique, serait le communisme du XXIe siècle, idée reprise et développée dans un livre par Renaud Camus. L'évolution de notre monde exsangue semble malheureusement leur donner raison à tous les deux ; il faut simplement espérer que, de ces deux communismes, le second aura une durée de vie plus brève que le premier – et qu'il fera moins de morts, ce qui n'est pas certain. 

Ces deux plaies sont entre autres semblables sur un point. Elles s'auto-légitiment par le coup de force intellectuel, le pronunciamiento idéologique qui consiste à croire et à proclamer que toute personne peu ou prou décidée à secouer le carcan se place ipso facto dans le camp de l'adversaire. Ainsi, de même que, durant des décennies, un anticommuniste, même light, était immédiatement transformé en “fasciste” par les voix autorisées du Parti et leurs serviteurs dociles, tout “anti-antiraciste” d'aujourd'hui se retrouve taxé de racisme, bientôt soupçonné de vouloir ouvrir de nouveaux camps d'extermination ou de réactiver la traite négrière. Et il ne sert rigoureusement à rien d'argumenter ni de démontrer l'inanité d'une telle simplification infantile : l'étiquette prime toujours sur le produit.

mercredi 3 octobre 2012

L'écrivain et son double : Duane McArus, camusien caustique





Il y a une dizaine de jours, dans ce billet, je faisais allusion au livre en ligne de Renaud Camus qui s'intitule… qui s'intitule comme sur la photo ; allusion trop rapide, je le crains, pour que l'on puisse se faire une idée de l'œuvre en cours d'écriture. Je disais bien, en effet, qu'il s'agissait, entre autres péripéties, d'un portrait de Camus par un double imaginaire et peu porté, a priori, à l'empathie vis-à-vis de lui. Mais il m'aurait fallu préciser que cette mise à distance, cette sortie de lui-même opérée par Camus, cette façon de s'absenter de soi se faisait par deux voies complémentaires ; d'une part le regard volontiers critique, acerbe, ironique, que McArus pose sur Camus lorsqu'il lui rend visite ; d'autre part l'écriture elle-même, ce qui était indispensable : comment un écrivain pourrait-il se contempler et se décrire de l'extérieur, devenir autre, s'il reste bien installé au cœur de son propre style, protégé par une langue depuis longtemps apprivoisée ? Non, il était nécessaire de s'aventurer dans les territoires extérieurs et de tenter d'en établir les codes, d'en rendre possible la cohérence. C'est à quoi joue Camus, à mesure que s'écrit ce livre. Mais, évidemment, il est impossible de s'en faire la moindre idée sans avoir pu en goûter au moins un échantillon. Avec l'autorisation de l'auteur, en voici donc un, la dernière “entrée” publiée au moment (27 septembre) où j'écris ces lignes :


25 sept. /. j’suis allé voir Kµ c’t’après-midi, au château / c’était un peu pour  voir comment i’ prenait la guerre à mort dans son parti, qu’j’ai suivie sur le Net tous ces derniers jours / & un peu pour voir si des fois il aurait pas eu des nouvelles d’A, p’isqu’i’ sont assez copains, tous les deux, plus que lui et moi, bien qu’c’est moi qui les ai présentés, mais bon / i’ sont plus du même monde & tout ça, pas mal snobinards & tout, mieux faits pour s’entendre

 quand j’suis arrivé il était en pleine “crise boulimique”, qu’il appelle, en train d’bouffer à lui tout seul dans sa cuisine une grosse terrine de l’Aveyron, qui m’a dit, un truc envoyé par une copine, en s’tapant une bouteille d’crémant de Bordeaux, aussi un cadeau, i’m’a dit / c’est marrant, les gens arrêtent pas d’lui faire de cadeaux, il est pourtant pas tellement sociable

 i’ m’a quand même proposé d’partager mais bon, même si ça avait l’air super bon j’sortais de bouffer, j’étais pas du tout en crise boulimique, moi, et p’i j’ai pas un parti politique en révolution à gérer / ça l’a fait marrer qu’j’parle de ça / qu’je sois au courant et tout / faut dire qu’i’ sont pas tellement discrets, à l’In-nocence : dans l’genre linge sale lavé d’vant tout le village global on fait pas mieux / c’est la grosse grosse transparence, chez eux / sauf qu’la seule chose qui les protège c’est qu’le village global il en a rien à cirer, d’leur baston d’cour d’récrée / t’as rien à cacher t’intéresses personne / les gens i’veulent des trucs qu’i’croient qu’c’est des super secrets qu’on leur file parce que c’est eux & qu’i’ connaissent les bonnes filières

quand même il était d’accord qu’la crise boulimique c’était lié à ça, même si ça a l’air d’s’calmer un peu, là, la guerre civile  / lui i’ parle toujours d’démissionner, r’marque / et c’est vrai qu’il a l’air d’en avoir plein l’cul, d’l’In-nocence & des In-nocents

 i m’a dit qu’s’i s’faisait vider i’fonderait un aut’ parti i’ l’appelerait Parti Réactionnaire Français ça serait plus net / j’lui ai dit qu’oui c’était super sympa comme nom / tu sais jamais s’i’ rigole ou quoi / s’il est complètement débile, complètement jeté ou quinze coups en avance dans la partie / un peu des trois j’dirais

 une fois qu’il a fini d’bouffer sa grosse terrine à lui tout seul, & de la conf de poires pour faire passer ça, le tout sur les mêmes crackers, avec 2/3 verres de crémant (question bouffe au moins c’est sûr qu’c’est pas un raffiné, putain), i’ passe à son atelier, par l’arrière, direct de la cuisine, que des pièces que j’connaissais pas, un beau foutoir entre parenthèses, mais ça a pas l’air d’le gêner / qund tu vois la cuisine le mythe du château il en prend un coup, grave / on est loin du « Céline est-ce que vous auriez la gentillesse de nous monter un peu d’café s’i’ vous plaît » du début / ch’ai pas où c’est qu’elle était passée, la Céline / en même temps c’est vrai qu’c’est pas lui qu’est allé m’chercher / en tout cas j’suis traité comme quelqu’un d’la maison, maintenant, on m’cache rien  / ch’suis pas sûr si c’est un compliment

 pareil il a peint d’vant moi, pas gêné du tout / un tout p’tit tableau pa’ce c’est tout c’qui lui reste / il a plus d’fric pour s’acheter des toiles i’ m’a dit / pareil pour la peinture, i’ s’sert des tubes et des pots qui traînent là, t’en as qu’tu vois qui sont ouverts d’puis la saint glin-glin c’est plus d’la peinture c’t’une espèce d’caoutchouc hyper visqueux / i’ s’en fout i’ fout ça sur sa toile au pif, au pinceau, au couteau, à la p’tite cuillère, n’importe quoi / genre on verra bien c’que ça donne /  forcément ça donne pas grand chose

 i’ joue à ça 10/15 minutes, avec un air hyper concentré, même s’il est  là à m’parler ou à m’écouter / une fois le p’tit quart-d’heure  passé il arrête net, rideau, i’ remonte travailler, comme i’ dit / là j’ai vu qu’l’audience était terminée

 du coup j’me suis fait baiser j’ai pas eu l’temps d’le cuisiner sur A, c’est quand même pour ça qu’j’étais v’nu / mon idée c’est qu’i sait des trucs mais il a pas envie d’parler / i’ m’a dit qu’il avait gaffé, l’aut’ fois, avec le coup d’la carte postale du cimetière qu’i’ croyait qu’j’étais au courant

 une fois i’ m’avait quand même expliqué qu’d’après lui, dans les couples, quand ça va pas ça va pas, c’est pas la peine de s’buter, même si c’est hyper passionné / il avait l’air d’savoir c‘qui parlait / mais bon, c’est quand même pas la même chose


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