Dans l'article que Georg Lukàcs consacre au roman Les Paysans, dans son Balzac et le réalisme français,
on trouve la phrase suivante (éditions de La Découverte, p. 40) : « La
vision d'une fin du monde, de la fin de la culture, est toujours la
forme amplifiée par idéalisme du pressentiment de la fin d'une classe. »
Sans doute, en effet, applicable à Balzac,
et particulièrement dans ce roman-ci, l'est-elle aussi à Renaud Camus,
notamment à celui de ces dernières années, au “politique” ? De même que
Balzac voit très bien, et montre encore mieux, l'irrémédiable agonie de
l'aristocratie et de la grande propriété foncière, de même Camus ne
cesse de décrire le déclin et la disparition programmée de la
bourgeoisie, tuée, étouffée, absorbée par ce qu'il prétend être la petite-bourgeoisie.
Nous sommes quelques-uns à mettre en doute l'absolue pertinence de ce
dernier terme pour décrire la réalité que nous vivons (dans ce cas
précis, l'Homo Festivus de Muray me paraît un outil plus
efficace) ; mais nul ne conteste, je crois, la première partie du
constat, à savoir le retrait jusqu'à perte de vue de la bourgeoisie “à
l'ancienne”, son emprise de plus en plus faible sur la vie et les mœurs
de ce pays, les rapports sociaux qui y ont cours.
De même, les deux auteurs lient effectivement ce qu'ils voient à la fin du monde – ou au moins d'un
monde – et à celle de la culture qui lui est tenue pour
consubstantielle. Cette liaison, là encore dans les deux cas, débouche
sur une déploration, plus marquée et insistante dans le cas de Camus,
davantage fataliste chez Balzac, me semble-t-il. Ont-ils raison ? Ou
bien sont-ils victimes, l'un et l'autre, de cet “idéalisme” dont parle
Lukàcs et qui leur ferait prendre la fin d'une classe pour celle du
monde et de la culture.
Évidemment, peut-on se dire, en tant que marxiste single malt,
Georg Lukàcs a tendance à voir des classes partout, comme d'autres des
nains, et sa foi l'aveugle ; c'est possible. Il reste que, pour ce qui
est de la culture, la bourgeoisie qui naissait à l'époque de La Comédie humaine a repris, entretenue et même développée celle qu'elle avait saisie des mains de l'aristocratie à son dernier soubresaut.
On pourra aussi se dire que Camus est, lui, placé dans une situation tout à fait inédite, et que ni Balzac, ni Lukàcs n'ont eu à voir et penser l'équatorialisation de leur univers.
Ça me rappelle certaine conversation...
RépondreSupprimerQuitte à passer pour l'optimisme que je suis, j'ai du mal à envisager la fin d'un monde et encore plus celle du monde.
Cela présupposerait qu'un monde stable ait jamais existé. Alors que, comme le disait Montaigne, le monde est une branloire pérenne.
Quand Balzac constate la disparition de l'aristocratie en tant que classe dominante, il ne fait que constater une réalité.
On peut se demander si, au-delà du simple constat, le pessimisme de certains n'est pas lié à la conscience de leur inéluctable disparition personnelle et, partant, de celle d'une société ou plutôt de l'image idéalisée qu'ils s'en sont patiemment forgée. Dans ce cas, ils auraient parfaitement raison : le monde tel que chaque individu le conçoit disparaît avec son concepteur.
Balzac ne consacre pas tant la disparition de l'aristocratie – dans les années où il écrivait, c'était bien le moins ! – que la montée de la bourgeoisie et du capitalisme qui arrivent tout juste.
SupprimerEt vous avez remarqué comme on a ses aises, ici, quand je ponds ce genre de billets ? On se croirait à l'abbaye Blanche fin septembre…
Ce billet à comme un petit air de Lampedusa et m'a remémoré cette phrase de Tancrède : "Si nous voulons que tout reste en l'état, il faut que tout change".
RépondreSupprimerTout comme Tancrède qui pour pouvoir conserver les privilèges de son rang alors que le Prince Salina lui ne comprend plus le monde qui l'entoure et voit le sien s'effondrer, l'aristocratie n'a pas disparu, elle a muté. J'ai eu comme camarades de classe pas mal de vicomtes, barons, etc. Ils ne sont plus LA classe dominante mais globalement ils ont su faire partie de celle qui domine aujourd'hui et partagent ses aspirations, malheureusement. Il reste bien quelques aristocrates qui ont su conserver les anciennes valeurs, mais ils ne font pas partie de la classe dominante et le plus souvent galèrent pour continuer à entretenir leur alleu.
Pas sûr qu'ils galèrent tant que ça : l'Etat républicain sait leur donner de bienveillantes subventions pour entretenir leur petit chez-eux, du moment qu'il est classé Monument historique. Ces gens là rebondissent toujours.
Supprimer(la blague dans la signature est intentionnelle. C'est pour de rire).
Le problème n'est pas tant que Renaud Camus voit des fins de civilisation partout, on se moque de ses obsessions, ce qui est indigne c'est que contrairement à Balzac, il a trouvé les coupables et les désigne à la vindicte.
RépondreSupprimerEt ben, comme disait mon grand-père, on est un con... Quant à Lèon...
Supprimer(Tiens revl'à Léon!)
SupprimerIl n'y a qu'à ouvrir sa radio ou sa télé régulièrement, et maintenant quotidiennement, pour se rendre compte que ce n'est pas la petite-bourgeoisie qui menace la bourgeoisie mais la banlieue, et que celle-ci ne se contentera pas de fouler au pied la culture. Il ne s'agit plus ici de remplacer une classe dominante, de se fondre en elle, il s'agit de la supprimer.
Renaud Camus est prisonnier de sa géo-graphie, pesante et minéralisée, dans un monde banlocalisé. C'est un perdant (économique) de la mondialisation qui a misé sur l'enracinement, la transmission, le patrimoine au moment où la quasi-totalité des flux et richesses se sont affranchies du territoire. Les dominants n'ont plus ni tours ou forteresses, ni îles ni domaines, ni appartenances ni lignées ; ils sont hors sol, peu atteignables par toutes les formes de pouvoir qui s'exercent à partir de la maîtrise du sol. Camus est un barbare (un écrivain vernaculaire si l'on veut) dont l'univers se limite à ce que son regard atteint. Il n'est pas étonnant que ses ennemis directs lui semblent être les hordes néo-territorialisées qui lui disputent sa géographie.
SupprimerLéon noir, je vais te botter le cul si tu reviens !
Pas sur que la noblesse et la haute bourgeoisie aient tant disparu que cela.
RépondreSupprimerD'un côté c'est vrai qu'elles ont perdu pas mal de domination sur l'espace public. La noblesse dominait beaucoup plus l'espace public sous l'Ancien Regime, et la noblesse et la haute bourgeoisie dominaient beaucoup plus l'espace public avant la IIIeme Republique.
Mais il me semble qu'elles se sont simplement desinvesties de l'espace public, ont fait un peu secession avec le peuple :
- tout en s'organisant pour conserver un tres beau train de vie, mais simplement a l'abri des regards, dans des espaces seulement a elles, ou elles sont sures que le peuple ne viendra plus jamais les embeter : belles demeures bien situees, beaux chateaux, lieux de vacances chics, ecoles privees chics, clubs prives chics, golf, equitation, regroupements, par exemple dans le XVIemme arrondissement ;
- en conservant quand meme quelques belles positions visibles dans l'espace public : beaux appartements dans les endroits les plus centraux des grandes villes, rues de commerces tres chics ;
- et surtout, en gardant une grande emprise sur l'activite economique, restant maitresses du capital, et des medias. Au lieu de se presenter directement au peuple comme son maitre, elles tirent les ficelles de marionnettes-fusibles.
Je trouve que c'est ce qui ressort du livre "Sociologie de la bourgeoisie" du couple Pinçon-Charlot.
Si vous prenez les pinçon-charlot comme référence, archétype du sociologisme aigri et envieux, on n'a pas fini. Le problème des sociologues, c'est qu'ils ne connaissent que les statistiques. Bien sûr qu'il y a encore des riches! Çà vous gêne ? Pas moi. Le problème, c'est qu'ils sont devenus aussi crétins que les pauvres...
RépondreSupprimerLes Pinçon-Charlot font beaucoup d'immersion, regardent les réalités et pas seulement des chiffres, je pense.
SupprimerQu'il y ait des riches ne me dérange pas, par contre qu'il y ait des pauvres me dérange, or c'est loin d'être toujours de la faute des pauvres s'ils sont pauvres. C'est aussi parce que le système est injuste, lèse beaucoup de pauvres au profit de beaucoup de riches.
Personnellement, je trouve très bien qu'il y ait des pauvres. L'existence des pauvres me parait être une condition indispensable de celle des riches, qui me réjouit profondément. Sans inégalité, il n'y a pas de progrès économique, il n'y a pas de culture. Le problème, c'est justement qu'il n'y a pas de question sociale en France. Il y a une question religieuse et ethnique. Nos pauvres, nous les importons, et nous exportons les riches. Tant que les Pinçons et les Charlots de leur espèce ne seront pas capables d'accepter qu'il faut faire des différences entre les hommes et que la discrimination est la qualité la plus noble de l'esprit humain, nous courons au désastre.
RépondreSupprimerMais pourquoi prendre la peine de courir, alors que le désastre est à deux pas ?
Supprimeril serait effectivement plus sage de ralentir… mais y parait que c'est pas bien (nauséabond, pas beau, caca, discriminant, et of course raciste et xénophobe),
Supprimeret vu l'inertie (l'inertie d'un corps est sa résistance à une variation de vitesse), c'est un peu tard…
Vous vous réjouissez qu'il y ait des pauvres, pourvu quand même que ce ne soit pas vous. Je me demande quel chemin il faut emprunter pour en arriver à penser comme vous ? Est-ce l'éducation, une expérience traumatisante, l'oisiveté et le besoin d'excentricité ?
SupprimerUne expérience traumatisante, bien sûr. J'ai rencontré des humanistes.
RépondreSupprimer:D
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