Retour de promenade avec Charlus. Sur la voie romaine, on ne croise
généralement personne, et quand oui, ce sont soit des cyclistes, soit,
comme nous-mêmes, des promeneurs de chiens. Aujourd'hui, coup nouveau :
une femme poussant devant elle un véhicule à bébé. Que pouvait-elle bien faire là, loin du village, sur ce ruban pierreux et malcommode aux petites roues ?
Mon premier réflexe a bien entendu été de me dire qu'il devait s'agir d'une “mule” qui, maligne, avait choisi cet insoupçonnable mode de transport pour la drogue qu'elle était chargée, partant d'Évreux, de livrer à Mantes-la-Jolie voire à Aubergenville (elle marchait effectivement dans ce sens-là).
Mes soupçons se sont trouvés considérablement renforcés lorsque la pousseuse m'a aimablement dit bonjour avec un large sourire : pour qu'une Normande soit à ce point avenante, il faut qu'elle ait quelque chose de très compromettant à cacher, des soupçons à dissiper, des gendarmes à semer, un innocent promeneur à enfumer, que sais-je ?
En fait, non : c'était bel et bien une ébauche d'être humain qui dormait dans la poussette, ou au moins qui faisait parfaitement semblant. Charlus a bien lancé après l'attelage un ou deux brefs abois, mais son entraînement de renifleur de dope étant ce qu'il est, on pouvait difficilement faire fond sur cette manifestation sonore…
Après que femme et nourrisson eurent
disparu, je me suis dit que j'avais manqué de présence d'esprit et d'instinct de limier ; que sans doute la drogue devait avoir été
cachée par la première dans les Pampers du second, lequel avait bien entendu
été loué, voire enlevé, à cette seule fin. Et probablement drogué pour ne pas gêner par ses atroces criailleries sa mère d'emprunt et ses abjects trafics. Je suis rentré à la maison avec le regret tenaillant de ce magistral coup de filet avorté.
On ne s'ennuie pas, au Plessis-Hébert, il arrive même qu'on y frôle des gouffres. Normandie, terre de contrastes et de poussettes.