|
Athénaïs de Montespan, née Rochechouart de Mortemart, par Pierre Mignard |
Au Prince d'Aquitaine à la Tour abolie…
Dans les tableaux successifs de ses Belles Esclaves, La Varende séduit parce qu'il est injuste : autant est sensible la tendresse qu'il éprouve pour Mademoiselle de La Vallière, autant s'exerce sa hargne contre Madame de Montespan. Il faut lire ces deux textes à la suite, qui dans le livre sont séparés par la centaine de pages consacrées à la Grande Mademoiselle, nièce de Louis XIII et, par conséquent, cousine du Quatorzième. La Varende, donc, discrimine et stigmatise ; il est partial jusqu'au comique. Le portrait physique qu'il brosse de la favorite du roi est une manière d'exécution sommaire. Lisons :
« Toute la physionomie, l'allure même de Madame de Montespan, se composaient autour de son nez aquilin, ce nez qui vint d'Espagne et n'apparut si tard en France que pour y devenir prestigieux grâce à la dynastie dont il sera le signe distinctif – comme, en Autriche, cette lèvre très ourlée que les infants avaient reçue de Philippe le Beau. Le nez Bourbon est d'une belle fierté, à coup sûr, mais il ne tient en rien de cette sérénité, presque divine, qui s'appuie sur le nez droit, ni de cette gentillesse, de cette douceur aimable qui flottent autour de certains nez retroussés, un peu retroussés. Le XVIIIe siècle allait très vite relever, à la Roxelane, le nez français, pour en faire ce tout petit museau prêt à s'enfoncer dans les roses pompons, à se barbouiller de crème aux laiteries de parade, à éternuer dans les coussins fleuris. Le nez du XVIIIe siècle ne s'abaissait que pour sourire, le reste du visage remédiant à cette gravité anormale. Mais Madame de Montespan eut du bec ; ses yeux étaient un peu gonflés, très largement fendus : de magnifiques globes bleus et blancs dont la saillie augmentait encore l'éclat, et aussi la mobilité, l'accent, l'impétuosité. Bouche petite et dents vives.
Cependant, indéniable ! tout ce visage était entraîné par son nez, par cette trop longue courbe ennuyeuse qui faisait un peu mouton, malgré tous les dires admiratifs, et quelque peu bélier. L'espace manquait entre le menton et les narines ; l'espace régulier manquait où la petite bouche perdait alors de sa joliesse pour paraître une nécessité de ce resserrement.
Cela aurait dû être désagréable. Cette figure tendait à la sphère, offrait une rondeur de bouclier. L'Amour tendre n'y trouvait pas à pénétrer alors que Louise de La Vallière offrait sa face saturnienne de Pierrot.
Il y a discussion, mais Athénaïste devait être assez courte, plus râblée en ponette qu'allongée en pur sang. Je crois même qu'elle fut, corporellement et dans ses riches appas, assez commune, si l'on veut s'arrêter à sa grande mine, à ses airs de tête. La Vallière complétait son amant, le rendait plus mâle et aussi l'affinait par sa fragilité personnelle qui devenait, pour l'homme robuste, une déclaration de délicatesse. Madame de Montespan n'ennoblit pas le Roi ; elle le rendait plus grossier. C'était une beauté qu'on a toute sous la main. »
Pour commencer, j'ignore ce qui pousse La Varende à prénommer son sujet Athénaïste : partout on ne trouve que le plus classique Athénaïs, y compris dans l'indispensable Dictionnaire encyclopédique d'histoire de Michel Mourre – passons.
Si La Varende exécute à ce point sa victime, c'est peut-être pour mieux louer son esprit dès la page suivante, cet esprit que, au dire des contemporains, tous les Mortemart ou presque recevaient en partage. Les nôtres étaient quatre frère et sœurs, tous célèbres à des titres divers. L'aînée était Madame de Thianges, fort belle en sa jeunesse, hideuse en son âge mûr, ainsi qu'en témoigne férocement Saint-Simon : « Madame de Thianges avait les yeux fort chassieux, avec du taffetas vert dessus, et une grande bavette de linge qui lui prenait sous le menton. Ce n'était pas sans besoin, elle bavait sans cesse et fort abondamment. » Voilà qui ravalerait notre La Varende au rang des portraitistes à l'eau de rose…
La deuxième sœur était notre Marquise, et la troisième fut abbesse de Fontevrault, la seconde femme de France par ses immenses revenus. Quant à l'unique mâle de cette fratrie glorieuse, le duc de Vivonne, il était déjà Général des Galères à 33 ans, et il dut son bâton de Maréchal de France moins à sa parentèle qu'à sa réelle valeur militaire. En outre, le contraire d'un sot, si l'on en croit Voltaire : « Le duc de Vivonne était un des hommes de la Cour qui avaient le plus de goût et de lecture. » Un brevet qui vaut bien le bâton.
À propos de lui et de ses sœurs, le même Voltaire ajoute : « Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlée de plaisanterie, de naïveté, et de finesse, qu'on appelait l'esprit des Mortemart ; elles écrivaient toutes avec une grâce particulière. » À peu près au même moment, à La Ferté-Vidame, dans le secret de son château, Saint-Simon écrit lui aussi une page à la gloire de cet esprit des Mortemart – mais pas plus que Voltaire il n'en donne d'exemple concret, ne cite le moindre “mot”. Et c'est finalement tant mieux pour nous autres, lecteurs du XXe siècle et du suivant.
Car c'est bien parce que Proust s'agaçait de cette carence, qui le frustrait grandement, qu'il eut à cœur, écrivant sa Recherche, de surpasser et Voltaire et Saint-Simon : ne se contentant pas de doter les Guermantes d'un esprit, assez proche de celui des Mortemart si l'on s'appuie sur les quelques mots de Voltaire, il entreprit de le créer, de le mettre en action, de nous le donner à entendre. Et c'est probablement en discret hommage au modèle historique qu'il rebaptisa le Loir la Vivonne.
Pour terminer sur une note plus énigmatique, un aparté pour happy few, je dirais qu'en étant une Mortemart, Madame de Montespan me devient étrangement proche, d'une manière toute matérielle pour ne pas dire prosaïque.