lundi 30 novembre 2020

Chanson à la moulinette


 J'ai plusieurs fois, par le passé, tenté d'alerter le peuple insouciant sur le danger de certaines chansonnettes qui, sous leurs anodines ritournelles, cachent en réalité de puissants acides destinés à corroder la morale commune et à dissoudre les vertus les mieux trempées. Je pense que, grâce à mes efforts, nul ne peut plus écouter les Grands Boulevards de Montand ou le Trousse-chemise d'Aznavour, pour ne citer que deux exemples, sans tressauter d'une juste indignation. 

Je me devais à moi-même de poursuivre cette tâche sacrée. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous allons nous attaquer à une œuvre particulièrement pernicieuse et passer à la moulinette Les Roses blanches de Mme Berthe Sylva. Commençons par le commencement :

C’était un gamin, un gosse de Paris,
Pour famille il n’avait qu’ sa mère

D'entrée, le ton est donné, l'ambiance misérable dessinée : nous sommes confrontés à une famille mono-parentale, cette abomination des temps modernes. Et l'on imagine sans peine, mais avec chagrin, les pressions morales que l'innocent rejeton a dû subir, depuis sa naissance ou quasi, les récriminations d'une mère aigrie contre les hommes, faisant retomber le poids de ses frustrations infinies sur la tête de son enfant. Il y a là, en germe, de quoi dégoûter à tout jamais un gosse des amours ordinaires : on ne serait pas surpris de le voir se métamorphoser plus tard en fiote amateur de gay prides. Cette mère abusive, qui est-elle ?

Une pauvre fille aux grands yeux rougis,
Par les chagrins et la misère

Ah ! ils ont bon dos, les chagrins et la misère ! Ces “yeux rougis”, on se doute bien qu'ils ont d'autres causes moins avouables : des nuits passées à se saouler de mauvaises gnôles et à rouler entre les bras de quelques apaches des barrières, afin de noyer doublement, dans l'alcool et le stupre, les remords que devraient lui causer les échecs successifs de sa lamentable existence. Un indice de cette vie dissolue qu'on lui entrevoit ?

Elle aimait les fleurs, les roses surtout,

Non, pénible garce, non : on n'aime pas les fleurs, et encore moins les roses, quand on est une honnête ouvrière, s'acharnant par son seul travail à faire vivre son enfant sans père ! Du reste, on commence à le comprendre, ce père, probablement un brave et simple travailleur, horrifié et s'enfuyant à toutes jambes en découvrant le fond de vice de celle dont il avait d'abord rêvé de faire sa chaste épouse. Il a bien fait car elle n'aurait sans doute pas mis grand temps à le corrompre, tout comme elle a commencé à corrompre le fils qu'il lui a laissé. En effet :

Et le bambin tous les dimanche
Lui apportait de belles roses blanches,
Au lieu d’acheter des joujoux

On nous a dit que sa mère était dans la misère, n'est-ce pas ? Alors je formule la question que tout le monde se pose déjà : où diable le “bambin” trouve-t-il l'argent pour acheter des roses, fleurs dispendieuses s'il en est ? Même sans aller jusqu'à imaginer le pire – il ne manque pas de messieurs dépravés, autour des fortifs, pour apprécier le charme interdit des bambins… –, on se doute bien qu'il ne se procure pas ses bouquets par des moyens honnêtes. Et d'ailleurs :

Un matin d’avril parmi les promeneurs
N’ayant plus un sous dans sa poche
Sur un marché tout tremblant le pauvre mioche,
Furtivement vola des fleurs

Voilà où  mènent l'exemple d'une fille-mère et l'éducation qu'elle peut donner ! Et comme dit si bien la sagesse populaire : « Qui ce jour vole une rose / vole bientôt autre chose. » On le retrouvera donc très vite, devenu adulte, occupé à détrousser les bourgeois sur les boulevards, s'il ne se transforme pas en un répugnant julot-casse-croûte, contraignant aux bordels de Pigalle ou au tapin de la Madeleine de pauvres filles qu'il aura séduites en leur payant des cocktails opiacés et leur offrant des cigarettes à bout doré – bref : des portraits vivants et plus jeunes de sa mère, cette mère qui, dès les langes, lui a indiqué la voie de la dépravation comme on ouvre une voie royale.

Certes, la morale semble sauve in extremis, puisque la mère du futur maquereau va très logiquement finir ses jours à l'hôpital, probablement d'une cirrhose en phase terminale ou d'une bléno mal soignée. Mais ce n'est là qu'apparence. Car enfin, qui est-ce qui va le payer, ce séjour hospitalier ? Certainement pas elle, qui n'est riche que de ses chagrins et de sa misère, ni son monomaniaque de fils qui ne pense qu'à ses putains de fleurs.

Eh oui, on l'aura compris : c'est encore nous qui allons y être de notre poche.


mercredi 25 novembre 2020

Terreur festive à la cantine


 Je me suis bien sûr, comme chacun, trouvé plusieurs fois en situation d'être, ou au moins de me sentir ridicule. Je crois l'avoir assez bien supporté, ne pas y avoir, même sur le moment, attaché une grande importance et n'en avoir senti aucune “cuisson” de l'amour-propre qui ne fût aussitôt cautérisée. 

En revanche, j'ai nettement plus de mal à supporter le ridicule chez les autres, en particulier lorsque ces autres n'ont pas conscience de ce ridicule que je discerne, moi, fort bien. C'est ainsi que, même enfant, je n'ai jamais aimé ce type d'émissions de télévision qui s'est d'abord appelé “caméra invisible” avant de devenir “caméra cachée”. Et je me souviens d'une anecdote, j'y ai repensé tout à l'heure en souhaitant sa fête à Catherine. 

C'était un 25 novembre, donc, dans les années quatre-vingt. Nous autres, gens du rewriting, avions accoutumé de descendre ensemble à la mangeoire d'entreprise du groupe Hachette, sis à l'époque au 6 de la rue Ancelle, à Neuilly. C'est ce que nous faisons donc, ce jour-là comme les autres. La première chose qui me saute aux yeux, en pénétrant dans cette grande cantine en sous-sol, c'est que les serveuses et les caissières, du moins les célibataires d'entre elles, ont “coiffé Sainte-Catherine”.  

Bien entendu, comme elles sont toutes affublées du même couvre-chef hautement grotesque et mal seyant, on comprend tout de suite que, en fait, c'est leur direction qui les a contraintes, dans un but festif, à se déguiser de la sorte. Les deux caissières, le visage aussi morose qu'à l'ordinaire, sont particulièrement pitoyables, tant est grand justement le décalage entre leur mine et la coiffure qu'elles arborent, qui se veut joyeuse. 

« Non, là, je ne vais pas pouvoir… dis-je à mes habituels commensaux. Passer devant ces pauvres filles… Je crois que je vais aller me chercher un casse-dalle aux Sablons. » Yves Josso, notre chef à tous, me répond alors : « Mais elles doivent en être ravies, de leur chapeau ! C'est leur grand jour en quelque sorte… » Il pensait sans doute, disant cela, me faire changer d'avis, sa remarque eut l'effet inverse, le ridicule de l'accoutrement redoubla d'un coup à mes yeux. Et je m'enfuis.  

Au bistrot des Sablons, tout était normal, aucune catherinette n'était repérable parmi le personnel. Et leurs sandwichs étaient à peu près propres à la consommation.

 

samedi 21 novembre 2020

De l'avenir de la pédale


Donc, pour satisfaire aux exigences rétrogrades d'une bande d'auto-proclamés “écologistes” frisant la maladie mentale, notre gouvernement d'écouillés ferme docilement, une à une, ces centrales nucléaires que le monde entier nous enviait. Conséquence attendue : de prochaines coupures sauvages d'électricité, comme dans n'importe quelle pétaudière tiers-mondiale. 

Par voie himmelienne, un mien ami me faisait remarquer ce matin que cela risquait de contrarier quelque peu la saine propagation du télétravail, remède miracle au petit Chinois ainsi que chacun le sait. Je lui ai fait observer qu'au contraire ces pannes aléatoires allaient nécessairement avoir une influence très-bénéfique sur l'emploi, dans la mesure où chaque télé-travailleur devra bientôt embaucher un manœuvre non qualifié, mais bien musclé des mollets, qui sera chargé de pédaler avec le plus de régularité possible, de neuf heures à midi puis de deux à six heures, de façon à faire fonctionner la dynamo qui aura été préalablement reliée à l'ordinateur de son employeur, occupé à sauver l'économie française sans bouger de son gourbi – les deux partenaires ayant évidemment pris soin, avant de s'atteler à leurs bécanes respectives, de s'enturbanner le groin des muselières agréées.

 

vendredi 20 novembre 2020

Notre flamboyante jeunesse rebêle


D'après un sondage Odoxa (j'ignore absolument ce que peut être cette officine parasitaire), 65 % des 15 – 30 ans approuvent le claquemurage. C'est bien, c'est très bien : leur existence commence tout juste, entre acné et premier boulot à temps partiel, que les voilà déjà dociles et impeccablement dressés. Et si jamais, suite à un improbable court-circuit dans le disque mou, certains se prenaient à renâcler un peu, pas de problème, le cas est prévu, l'éventualité parfaitement circonscrite : les cellules de soutien sont restées ouvertes ; et, derrière leurs muselières à élastiques auriculaires, les psys de toutes obédiences sourient à pleines dents sur le pas des portes.

 

samedi 14 novembre 2020

Laissez parler les petits papiers

 


J'ai donc repris ce matin la biographie que M. Pierre Chevallier a consacré au roi Louis XIII. Le “donc” de la phrase précédente, je le reconnais, peut présenter un aspect quelque peu saugrenu ; il le conservera tant que l'on n'aura pas pris connaissance de mon journal de ce mois, et notamment de l'entrée du 14. Le livre somnolait sur son étagère depuis des temps plus ou moins immémoriaux à notre fragile échelle humaine.  

J'ai ressenti une sorte de pincement dans la région sub-costale lorsque, manipulant le volume, j'ai vu s'en échapper un petit papier, a priori une page arrachée à son calepin natal. Elle portait, de mon incertaine écriture, le nom de Jean-Philippe Chatrier, suivi de son numéro de téléphone. Celui-ci commençait par 01 47, ce qui est bien, on pourra vérifier, l'indicatif de Neuilly-sur-Seine, ville que ce grand garçon flegmatique et drôle habitait en effet.

Je suis donc, ce papier dormant le dit, resté assez longtemps sans m'intéresser à la vie de Louis XIII, puisque Jean-Philippe est mort voilà dix ans et quelques mois, ainsi qu'en fait foi ce billet que je lui avais alors consacré : on peut en toute confiance faire fond sur lui et sa date de publication, car je n'ai encore jamais pratiqué, à ce jour, le billet nécrologique préventif.

Je me suis retrouvé silencieux et un brin crispé, dans une main un gros volume de près de sept cents pages bourrées de mots formant des phrases, dans l'autre ce petit papier ne portant qu'un nom et dix chiffres. On aura peut-être du mal à me croire, mais le volume s'est tu, et c'est le petit papier qui s'est mis à parler.


vendredi 13 novembre 2020

Islamogauchiste : enfin la définition officielle !


 L'autre matin, sur son blog, le Professeur Cingal affirmait assez péremptoirement, en tout cas un peu vite, que le terme “islamogauchiste” ne correspondait à aucune réalité identifiable, que c'était un non sens. Je suis bien navré de devoir le contredire – et, ce faisant, impressionné de me lever seul contre l'Université tout entière –, mais je dois le proclamer : non seulement le mot recouvre une réalité, parfois même une réalité explosive,  mais il est en outre permis d'en donner la définition précise, ce que je fais ici pour la première fois, non sans une certaine émotion :


Un islamogauchiste est un type particulier de communiste 

qui milite activement pour l'avènement de 

la dictature du proléchariat.

 

Comme, n'étant pas de gauche, je demeure insensible aux miroitements trompeurs de la richesse, le mot que je viens de créer restera entièrement libre de droits jusqu'à la consommation des siècles.


mercredi 11 novembre 2020

Soyons hanséatiques !

 

C'est très bien, Wodehouse, et fort drôles sont les mésaventures mettant aux prises ce jeune crétin de Bertie Wooster et son génial butler, l'illustre Jeeves, vraiment très bien. Mais l'humour à ce point anglais et à ce point toujours égal à lui-même, voilà qui finit par lasser un peu. Et quand on veut se déshumoriser, le plus simple, le mieux et le plus radical est encore de se tourner vers l'Allemagne, pays qui, comme on le sait, est peuplé d'Allemands, dont certains écrivent de gros livres implacablement sérieux.

C'est pourquoi je n'ai pas hésité, hier entre déjeuner et dîner, à tirer de leur rayonnage germanique Les Buddenbrook, premier roman de Thomas Mann, écrivain assuré de ses moyens et talent et qui n'a pas peur de se montrer un peu ennuyeux lorsque cela lui paraît nécessaire. Mais, personnellement, l'ennui ne m'ennuie pas, ce n'est donc pas lui qui me fera reculer. De toute façon, elle reste passionnante et dense, cette histoire d'une opulente famille d'une ville de la Hanse – Lübeck apparemment, mais je n'en jurerais pas – confrontée, sur trois ou quatre générations, à une inexorable décadence.

Quoi qu'il en soit, c'est sans importance : si je suis venu raconter cela qui ne présente pas le moindre intérêt, c'est surtout pour faire plaisir à M. Fredi Maque, dont la vue et la délicatesse étaient offensées par la photographie des quatre répugnants pitres en phase civilisationnelle terminale qui, depuis trois longs jours, s'étalait en ouverture de ce blog, pourtant si digne d'habitude.

Il faut bien reconnaître que, de ce point de vue, Herr Mann correspond davantage à l'idée que les impénitents traditionalistes persistent à se faire de l'homme. Ce qui, au vu de son nom, est bien la moindre des choses.


dimanche 8 novembre 2020

On covid et on s'en va


Les vieillards ont toujours adoré parler de leurs maladies, réelles ou supposées, déclarées ou seulement menaçantes, discourir sans fin sur leurs symptômes, leurs effets, les moyens de s'en prémunir ou de les vaincre, etc., à perte de vue et de salive. Dans ma jeunesse, cette manie était l'occasion de moqueries plutôt affectueuses. 

Il est intéressant de constater que, depuis l'arrivée du petit Chinois, un pays entier ne parle plus que de maladie, et ce dans toutes les tranches d'âges, tous les milieux, toutes les classes. Comme si, sans même nous en apercevoir, nous étions, tous et d'un seul coup, devenus d'égrotants vieillards, ne formant plus que la queue d'une civilisation entrée en phase terminale, et pour laquelle il n'existe aucun modèle efficace de respirateur artificiel.


lundi 2 novembre 2020

À l'heure des post-visionnistes


 Dans le livre ardu mais passionnant que je lis depuis trois jours : Antifragile de Nassim Nicholas Taleb, je tombe sur un paragraphe qui me paraît correspondre idéalement à l'époque absurde et très-comique que nous vivons en ce moment même, et dont l'absurdité a été opportunément réactivée par la remise à l'honneur du Grand Claquemurage. Ne reculant devant nul sacrifice ni peine, je recopie donc les quelques lignes en question, que l'on est prié, pour d'évidentes raisons prophylactiques, de lire sans ôter sa petite muselière à élastiques auriculaires. On les retrouvera dans leur contexte à la page 466 de l'édition des Belles Lettres que j'ai proposée en lien plus haut. Voici :

« Conséquence de la déformation rétrospective, les gens qui n'avaient bien sûr pas vu arriver un événement vont se rappeler une de leurs pensées prouvant le contraire, et réussir à se convaincre eux-mêmes qu'ils avaient prévu l'événement en question, avant d'entreprendre d'en convaincre les autres. Après chaque événement, il y a toujours beaucoup plus de “post-visionnistes” que de véritables prévisionnistes – des gens qui ont eu une idée sous la douche sans l'amener jusqu'à sa conclusion logique, et, comme beaucoup de gens prennent beaucoup de douches […], ils n'auront que l'embarras du choix parmi les idées qu'ils ont eues. Ils ne se souviendront pas de la pléthore d'idées qui leur sont venues dans le passé sous l'effet du bain, et qui n'étaient que du “bruit” ou contredisaient le présent observé – mais comme les êtres humains aspirent vivement à être cohérents avec eux-mêmes, ils ne retiendront que les bribes de pensées passées qui sont cohérentes avec leur perception du présent. »

Bien entendu, on aura toujours le loisir de se dire que ce pauvre M. Taleb raconte vraiment n'importe quoi. Ou encore que ce malheureux D.G. n'a vraiment rien compris à ce qu'il a lu. Ce qui, hélas, n'est pas totalement à exclure.


dimanche 1 novembre 2020

Le Plessis passe la frontière belge


 À cause de lui, notre octobre fut fort pluvieux…