vendredi 27 octobre 2023

Homme libre toujours tu chériras la grammaire (billet instructif)


 Le maniement du participe passé associé à l'auxiliaire avoir est parfois un peu délicat, notamment lorsqu'il est suivi d'un verbe à l'infinitif dans une proposition subordonnée. Cela vaut également pour les verbes pronominaux, ainsi que je m'en vas le montrer tout à l'heure.

La règle veut que ce participe s'accorde avec le complément d'objet direct de la proposition principale uniquement si celui-ci est également sujet du verbe à l'infinitif. J'en vois déjà qui haussent les épaules, pensant qu'il s'agit là d'un byzantinisme hors de saison, et que l'important est “que tout le monde comprenne”.

Mais justement…

Prenons ces deux phrases presque identiques d'apparence mais de sens tout à fait différents :

Je vous présente la femme que j'ai laissée peindre

Je vous présente la femme que j'ai laissé peindre

La première signifie en gros : “la femme que j'ai autorisée à se mettre à la peinture” ; alors que la deuxième veut dire : “la femme dont j'ai permis que l'on fasse le portrait”. Dans le premier cas, la femme est sujet de peindre, dans le second elle n'en est que l'objet.

(On notera que, pour lever d'un coup toutes les difficultés, il suffit de faire preuve d'un peu d'autorité mâle, d'abord en supprimant à cette pétasse tout ce qui peut ressembler à un pinceau, d'autre part en virant de chez soi le barbouilleur prétendant la portraiturer ; d'autant plus qu'il est très certainement son amant.)

C'est la même chose, disais-je, avec les verbes pronominaux, lorsqu'ils sont eux aussi suivis d'un verbe à l'infinitif. Ainsi, la malheureuse de tout à l'heure, privée de peinture, devra écrire à sa meilleure amie : “je me suis fait niquer” ou, plus correctement : “je me suis laissé avoir”,  sans accorder son participe, vu que qu'elle ne s'est pas eue elle-même – encore moins niquée. En revanche, elle devra écrire : “je me suis vue piquer ma crise”, car c'est bien elle qui risque de se rouler par terre en bavant et avec des cris suraigus.

Pour finir, on notera que s'il est un domaine où les hommes conservent un net avantage sur leurs compagnes, n'en déplaise aux dragonnes égalitairolâtres, c'est bien celui de l'accord des participes passés. 

Ce qui est assez réconfortant.

mercredi 25 octobre 2023

Le calvaire de Dame Budé

 

J'ai toujours beaucoup aimé cette anecdote – authentique ou controuvée, peu importe – concernant Guillaume Budé, à qui un de ses valets, affolé, vient annoncer que la maison est en feu, et qui, sans lever le nez du livre qu'il est occupé à lire, lui répond tranquillement : « Avertissez ma femme, vous savez que je ne me mêle point du ménage. » 

Je m'en amuse, tout en sachant que je devrais sans doute m'en offusquer plutôt. Car la remarque dénote chez l'ignoble Bill un sexisme parfaitement inacceptable : quel déplorable exemple pour nos chères têtes blondes crépues, que ce refus méprisant d'un généreux partage des tâches ! Et personne pour se demander comment la pauvre Dame Budé s'est tirée de ce mauvais pas...

Sait-on seulement comment elle s'appelait, cette triste victime du patriarcat de style Renaissance ? Gertrude Budé ? Solange Budé ? Guillermine Budé ? Rien, pas un mot à son sujet, même chez Dame Ternette ! Encore une pauvre invisibilisée, sacrifiée sur l'autel d'un mâle probablement cisgenre et arrogamment content de l'être !
 
Bien heureuse encore si, entre deux déchiffrements de grimoires hellènes, son prédateur d'époux ne se soit pas, sur l'agnelle sans défense ni recours, livré à quelque viol conjugal récréatif, selon la triste habitude de ces butors à pourpoint et haut-de-chausse qui pullulaient en cette sombre époque.

dimanche 22 octobre 2023

Pour qui donc brille ainsi ce soleil d'Austerlitz ?


 Question difficilement soluble, pour le lecteur français de Guerre et Paix : lorsque prend fin la bataille d'Austerlitz, a-t-il, en tant que Français, le sentiment d'une victoire éclatante, ou bien, en tant que lecteur, celui d'une cuisante défaite ? 

Je sais bien que, s'agissant d'un événement achevé depuis 218 ans (moins six semaines), le dilemme pourra paraître de peu de poids et le suspense voisin du nul. Mais tout de même :

On ne devrait jamais relire Guerre et Paix...


mardi 17 octobre 2023

Pas de héros en vue

Je commence à en avoir plus qu'assez d'entendre un peu partout qualifier de héros, les gardiens d'enfants professeurs massacrés par tel ou tel islamopithèque. 

Ils ne sont nullement des héros. 

Si l'on tient absolument à leur accoler une étiquette ronflante, je rappelle l'existence, déjà fort ancienne et dûment éprouvée, du mot martyr ; qui, lui, conviendrait fort bien aux situations qui nous occupent et à ceux qui en pâtissent. 

À moins que la coloration religieuse de ce terme ne froisse par trop la sensibilité, toujours un peu à vif, des laïcards délicats et provisoirement survivants.

jeudi 12 octobre 2023

Itinéraires spiritueux


 Ouvrons ce livre, tout juste débarqué ici : Itinéraires spiritueux de Gérard Oberlé. On s'éveille dans le gris de la Lorraine des primes années cinquante, avant de filer bien vite vers les coteaux ensoleillés et vinifères qui bordent la plaine d'Alsace. 

Quelques années plus tard, nous voici en Bourgogne, majestueusement vignée elle aussi, après un détour coloré par le neuvième arrondissement de Paris et un rapide, mais généreusement alcoolisé, crochet par le Val d'Aoste. 

Soudain, à la page 135, nous sautons à pieds joints au milieu du bar de Grand Marais, Péninsule Nord du Michigan ; où, il fallait bien s'y attendre, nous accueille un Jim Harrison trônant, qui darde sur nous son œil valide, pendant que l'autre semble tenter – et tenté – de suivre la croupe de la serveuse qui vient de lui renouveler son whisky vespéral. 

Et nous ne sommes qu'à l'exacte moitié de ce livre, assez mince contrairement à son auteur, mais peu chiche en effluves divers.

mardi 10 octobre 2023

Mange ce que veux !

 

À Marco P.

J'aimerais “rebondir” sur mon dernier billet ; ou, si l'on préfère, le prolonger. J'y disais que, dans le domaine du goût, ou de la gastronomie, pour parler plus pompeusement, j'étais d'un libéralisme sans frein, confinant à un laxisme qui pourra sembler scandaleux à certains ; à tout le moins irrecevable. C'est tout à fait exact.

J'estime que, dans ce domaine, le haut commandement appartient aux papilles gustatives de chacun, et que rien ni personne ne devrait songer à contraindre leur autorité. Si un quidam apprécie davantage son foie gras lorsqu'il l'arrose d'une canette de coca plutôt que d'un flacon de sauternes, parfait, grand bien lui fasse ce mariage : ce n'est pas moi qui irai jouer les puristes et lui faire la leçon.

En commentaire du billet sus-évoqué, je me suis amicalement moqué de Marco Polo, qui s'était croisé en faveur de la cuisine allemande : pure gaminerie de ma part puisque, en réalité, je lui accorde parfaitement le droit, comme à n'importe qui d'autre, d'accéder à l'orgasme gustatif selon le vecteur culinaire qui lui convient. L'important, entre deux individus normalement civilisés, est que les désaccords de leurs respectives papilles ne les empêchent pas de prendre langue.

Je n'ai pas toujours été d'une aussi exemplaire “sagesse”. Je me souviens par exemple de notre dîner de noces – noces civiles pour l'heure –, pris en 1994 à l'Auberge des Templiers (photo), sise à Boismorand dans le Loiret. Agapes en comité restreint : en dehors des jeunes époux, n'y participaient qu'Élodie, fille et témoin de la mariée, Kent, témoin de votre serviteur, et sa femme.

À la table immédiatement voisine de la nôtre, dînaient en tête à tête Alain Delon et sa compagne de l'époque, superbe grande femme brune d'origine batave ; et prénommée Rosalie comme la baïonnette, si ma mémoire ne me trompe pas. J'avais été vaguement scandalisé de la voir accompagner son très-excellent repas de cette boisson qui a, ou avait, pour nom Gini, un genre de soda à peine ingérable seul, à mon goût. Rosalie et ses pratiques de table me laisseraient aujourd'hui parfaitement zen.

Mais enfin, tout de même, du Gini

vendredi 6 octobre 2023

La balade (culinaire) de Jim

De Jim Harrison, dans son Journal gastronomique américain* : 

« Les grandes cuisines, la française et la chinoise arrivant largement en tête, émergent dans des économies de pénurie où la rareté des ingrédients garantit le maximum d'ingéniosité. À l'inverse, le panier américain est tellement rempli que le fond vient de céder et que nous mangeons d'ordinaire la bouillie ramassée par terre. Pas toujours, mais très souvent. »

Jim Harrison place donc en tête de son palmarès gustatif les cuisines française et chinoise : tout chauvinisme ou sinophilie excessive mis à part, on ne peut que lui donner raison. Lorsqu'il se sent d'humeur à garnir la troisième place de son podium, il cite toujours la gastronomie italienne : c'est là que nous divergeons. Bien que trouvant la tambouille transalpine pleine de charme, sa réputation me semble un tantinet surfaite. Et je crois que malgré mon islamophobie rabique et hautement blâmable, je ferais passer devant elle la cuisine marocaine.

Mais enfin, chacun mange bien ce qu'il aime et veut : je suis, sur ce chapitre, d'une tolérance qui confine au laxisme le plus débridé.

* Ce journal, assez bref, se trouve dans le volume édité en 2002 par Christian Bourgois et intitulé Aventures d'un gourmand vagabond : le cuit et le cru. Voilà. Vous ne pourrez pas venir vous plaindre qu'on vous laisse dans l'ignorance… ni sur votre faim.


 

mercredi 4 octobre 2023

La vieille lanterne de Gérard

Tout à l'heure, par sms, Nicolas et moi évoquions Gérard de Nerval – comme quoi tout peut se produire en ce monde sublunaire, y compris le plus surprenant.

 Cela m'a rappelé que dans ma jeunesse parisienne, il m'est arrivé plusieurs fois d'aller assister à des spectacles au Théâtre de la Ville, place du Châtelet. Chaque fois, avant que l'agitation scénique ne commence, je contemplais longuement le trou du souffleur en rêvassant. Car je savais que cette salle avait été construite là où était, jusqu'au milieu du XIXe siècle, la rue de la Vieille-Lanterne ; et que j'avais lu je ne sais plus où que ce trou se trouvait à l'emplacement exact de la grille à laquelle, un lugubre matin de janvier 1855, on avait retrouvé Gérard de Nerval pendu.

Si Nicolas et moi en sommes venus, dès potron-jacquet, à parler de Gérard, c'est parce que je venais de lire une forte sentence que Jim Harrison lui attribue :

« Il faut boire, sinon quelqu'un d'autre boira à ta place. »

Paroles d'airain qui, on me l'accordera, valaient à coup sûr de tirer des limbes matinales notre sympathique et un tantinet rabelaisien Kremlino-Loudéacien.

dimanche 1 octobre 2023

Bûchers, Croisades et autres menus plaisirs


 Septembre fut, cette année, assez nettement médiéval.